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Articles sur Montherlant (hors presse)143. Manuscrits inédits de Montherlant achetés en juin 2019 (2/2)IntroductionCet article 143 est une suite de l’article 139 déjà inséré sur ce site. Il s’agit du décryptage de 10 autres feuillets manuscrits, brouillons inédits, indépendants les uns des autres, qu’on peut situer autour de 1923-1924, mais toujours consacrés au sport, au corps, aux athlètes. Les notes explicatives et commentaires ont été rédigés par Pierre Duroisin, que je remercie pour son travail remarquable. Ces manuscrits donnent un éclairage particulier, inattendu, au livre Les Olympiques de Montherlant, publié en 1924. Henri de Meeûs, juillet 2019 15e feuilletLe texte manuscrit qu’on lira ci-après figure au dos d’une copie carbone d’une lettre de Montherlant, datée « Paris, 15 Février 1924 », au Vicomte de Bondy. Monsieur, Dans un article d’EXCELSIOR du 5 février 1924, vous tendez [sic] de ridiculiser les jeunes gens « qui jouent trois fois par semaine tout nus avec le fils de leur concierge. » Je ne relèverais pas cette phrase si je ne trouvais horrible cette façon que vous avez là de vous boucher le nez. S’il y a des phrases destinées à faire lever la haine, c’est bien celles de ce genre-là. J’ai vu dans de petites parties d’entraînement, tel industriel, chevalier de la Légion d’Honneur, qui jouait dans la même équipe qu’un apprenti de qui[nze ans], qui aurait pu aussi bien faire partie de son [usine. J’ai] trouvé ça très beau. Il y a la fameuse formule « d’aller au peuple » qui vaut ce qu’elle vaut. Ici, on se trouve avec le peuple sur un même terrain, avec les mêmes sentiments. Et cela vaut mieux. Enfin, il y a eu un autre terrain sur lequel on se trouvait avec le fils de la concierge. C’était à la guerre, Vicomte de BONDY, vous deviez être alors bien content qu’on y soit. Croyez à mes sentiments distingués. Comte de Montherlant L’écrivain réagissait à un article, paru en effet le 5 février dans le journal Excelsior, où Bondy ironisait à propos de l’édition française de l’Orlando furioso d’Arioste illustrée par Gustave Doré : Le volume est d’un poids, par exemple, un des in-folio les plus encombrants qu’il soit possible de concevoir, c’est un véritable exercice athlétique que la manipulation de ces Gustave Doré ! J’en suis du reste assez heureux, car ayant conscience d’être un parfait idiot (comme d’après ce que je viens de lire dans un livre de M. de Montherlant, sont de parfaits idiots tous ceux qui font autre chose que de jouer trois fois par semaine au football tout nus avec le fils de leur concierge), je sais que je n’acquerrai rien par la lecture de l’Arioste, de Dante, de La Fontaine ou de Perrault, mais j’espère qu’au moins les efforts faits pour soulever ces pesants volumes, dans leur édition illustrée par Gustave Doré, me mèneront vers un peu plus de spiritualité. Mais les choses ne se limitèrent pas à une lettre, Montherlant ayant tenu à régler publiquement ce qui avait été déclaré publiquement. Voici donc ce qu’on lira peu après dans la Deuxième Olympique, Les Onze devant la porte dorée, dont l’achevé d’imprimer est du 16 juin 1924 : J’ai vu de petites parties d’entraînement, pour s’amuser, où Ducellier, industriel, chevalier de la Légion d’honneur […] jouait dans la même équipe qu’un apprenti qui eût pu appartenir à son usine. Je trouve cela bien. On connaît la formule d’aller au peuple, qui vaut ce qu’elle vaut. Ici, sans formule, on se trouve avec le peuple sur un même terrain, dans les mêmes sentiments. Mais il paraît que ce n’est pas encore cela (1). (1.) M. le vicomte de Bondy, écrivant dans un quotidien à propos du Paradis à l’ombre des Épées, se moquait de ces jeunes gens qui « jouent trois fois par semaine tout nus (sans blague ?) avec le fils de leur concierge. » « Phrase odieuse, pensai-je, parente de celles qui justifient les révolutions. Je connais un autre endroit où l’on était côte à côte avec le fils de sa concierge. C’était à la guerre. Ce vicomte trop dégoûté devait être bien content qu’on y fût ». Mais enfin le vicomte était dans les sentiments qui jadis furent ceux de sa caste. Et Montherlant de continuer en citant, sur le même sujet, un commentaire sarcastique du « citoyen Hodée, secrétaire de la Fédération des Travailleurs de l’Agriculture », avant de conclure ainsi sa note : Ainsi l’on est d’accord, à droite et à gauche, pour trouver ridicule cette « union sacrée » qui se fait sur un champ de sport. Un fils de concierge ! Pouah ! D’un même mouvement, le vicomte et le citoyen se bouchent le nez. Je ne nous vois pas mûrs pour la démocratie[1]. [1] Les Onze devant la porte dorée, p. 23-24. Cette page et la note furent reprises dans toutes les éditions des Onze et des Olympiques. Dans le volume Romans 1 de la Pléiade, Montherlant y ajouta « (1924) » après « Je ne nous vois pas mûrs pour la démocratie » (R1, p. 317). Ajoutons enfin que quelques mois après la parution des Onze, Montherlant donnait à l’Université des Annales une conférence sur le thème Le Sport et la paix dont le texte sera publié le 15 janvier 1925 dans la revue Conferencia, avant d’être repris en 1929 dans la Troisième Olympique : Earinus. Le conférencier, qui évoque la camaraderie du sport, souligne que ce sentiment « naît, le plus souvent, entre classes sociales différentes » : « J’ai cité le cas, dans Les Onze devant la Porte Dorée, de petites parties d’entraînement où un assez gros industriel, chevalier de la Légion d’honneur, jouait dans la même équipe qu’un apprenti qui eût pu appartenir à son usine. J’ai dit combien je trouvais cela sympathique. On connaît la formule d’aller au peuple. Là, sans formule, on se trouve avec le peuple sur un même terrain, dans les mêmes sentiments » (Earinus, Hazan, 1929, p. 44). * Le texte au verso de la lettre à Bondy est une réponse de l’écrivain à des reproches qu’on lui fit à propos des Olympiques, ou une réponse à des reproches qu’on pourrait lui faire. Montherlant avait publié dans la Nrf du 1er mai 1923, sous le titre « Notes relatives à la religion et aux passions. À propos du “Songe” », une défense de son héros du Songe, Alban de Bricoule, qu’un critique avait, semble-t-il, qualifié de « saugrenu ». Le texte qu’on va lire est lui aussi une défense de l’œuvre. Si c’est la réalité que l’on veut connaître, c’est autre part qu’il faut la chercher. Quand on met dans son livre un équipier qui cite Aristote[2], on n’a pas, bien sûr, la prétention qu’il représente l’état d’esprit courant des sportifs. 2° J’ignore le rôle des instincts et de l’individualisme dans le jeu. Si j’écoute les étrangers, si je lis seulement les compte rendus de nos rédacteurs sportifs, je vois que ce que l’on reproche, depuis toujours, aux équipes françaises, c’est précisément leur jeu à la va-comme-je-te-pousse, expression dont individualisme est l’équivalent dans le style noble. Un joueur causant avec son cadet comme c’est le cas dans le Paradis[3] aura toujours raison 3° On n’a jamais demandé un rapport à un capitaine. On l’a demandé au moins une fois, dans un grand club, à un capitaine de juniors, preuve que ce trait n’est pas inventé ; et <même, un> extrait du rapport parut dans le bulletin du club. Mon invention, et sans doute mon erreur, est d’avoir écrit qu’on lui en demandait un chaque semaine[4]. 4° Machiavélisme naïf, p. 170[5]. Oui d’accord. 5° Shoot irréalisable. Vous arrêtez avec la poitrine, la balle coule et vous échappe. Vous bloquez avec le pied et dégagez. Naturellement, Nicolas[6] ferait cela plus vite. Mais il s’agit de Peyrony qui a 15 ans. 6° La course ne naît pas des reins. Évidemment non ! C’est une image, et qui, à présent encore, me paraît rendre assez heureusement la course pesante d’un homme qui n’a pas couru depuis deux ans[7]. Quand un romancier écrit de son héros « l’amour gonflait sa poitrine[7] », l’idée ne vous vient pas de vous rebiffer : « Pas du tout ! C’est des blagues ! Au centimètre, le tour de poitrine resterait le même. » 7° On ne s’embrasse pas, comme je l’ai décrit, après une course. Allez donc ! Allez donc ! Nous l’avons tous fait (cinquante) fois ! [2] Aristote est cité deux fois dans Les Olympiques : dans La Gloire du stade, pour avoir soutenu qu’ « un beau pied est l’indice d’une belle âme », et dans La Leçon de football dans un parc, où le « demi aile » explique à Peyrony (et c’est à ce passage que fait allusion notre manuscrit) que ce qu’ « Aristote demande à la gymnastique : créer “un esprit fertile en stratagèmes, une âme hardie et prudente, entreprenante et acceptante” », est précisément ce que donne le football (p. 92 et p. 170 de l’édition originale de la Première Olympique, parue chez Grasset avec un achevé d’imprimer du 23 décembre 1923 ; R1, p. 263 et 295-296 respectivement). [3] Le Paradis à l’ombre des épées est le sous-titre de la Première Olympique. [4] Le rapport en question se lit aux pages 67 et 68 de la Première Olympique (R1, p. 252). [5] C’est évidemment à la p. 170 de l’édition originale de la Première Olympique qu’il faut ici se reporter, sinon aux pages 167 à 170, où le demi aile a expliqué à Peyrony que l’un des « enseignements de la partie » qu’ils ont jouée « l’autre jour contre Rouen », c’est que « la faiblesse fait lever la haine », que « la faiblesse est mère du combat ». [6] On trouvera sur la Toile tout ce qu’il faut savoir sur Paul Nicolas, joueur et entraîneur de football français, né le 4 novembre 1899 à Paris et mort le 3 mars 1959 près de Gy-l'Évêque. [7] Cf. ces lignes de La Gloire du stade : « La course n’est pas dans les jambes. Elle naît des reins, comme l’amour » (p. 98 de l’éd. originale ; R1, p. 265). 16e feuilletRecto Le sport comme la matière de l’âme. On s’est étonné de trouver un essai de théorie de la vie dans un livre sur le sport. C’est le contraire qui eût été une lacune. Le sport ne s’explique qu’en fonction d’une morale générale et n’a de sens que dans une harmonie. Je pense que le but de la vie est de donner son rendement maximum à la totalité de l’être humain et ce en le mettant autant que possible au service de son pays et en l’accordant autant que possible avec une religion. Mais qu’est-ce que l’être humain ? Un esprit, principe de l’intelligence ; une âme, principe de la générosité, du courage, du désir de la grandeur et de la religion ; un cœur, principe de la tendresse ; des entrailles, principe des instincts ; enfin, un corps, considéré dans sa personnalité distincte. Dans un être, une de ces parties peut être déficitaire, et longtemps, je n’y ai pas fait trop attention. Puis j’ai vu la laideur et le peu d’intérêt des spécialistes du sport, qui ne savent faire qu’une chose et sont incapables des autres. J’ai vu comme ils sont peu humains, et ce désaccord qui me choquait dans le corps visible m’a choqué dans l’invisible. C’est, je l’annonçais tout à l’heure, le plus grand transport qui m’ait été fait du corps à l’âme. Celui qui laisse en friche son esprit, ou son cœur, ou ses instincts, ou son corps, n’accomplit La suite manque mais un n° 1 dans le coin supérieur gauche de la page donne à penser qu’on a ici le départ d’un texte assez long dont le thème est défini par les premiers mots : « Le sport comme la matière de l’âme. » Ce qui est assez dans l’esprit des pages de La Gloire du stade intitulées « Le corps à l’image de l’âme », où on lit par exemple ceci : « Ainsi le corps m’apparaît comme une image de cette âme » (R1, p. 255). Verso Le verso, sur du papier à en-tête d’un hôtel particulier situé au n° 6 de la rue de Messine dans le 8e arrondissement, rassemble les notes les plus diverses. 1. On y trouve d’abord des notes qui concernent la boxe, le mot « BOXE » figurant d’ailleurs en grand, au crayon rouge, à la hauteur de ces notes. Mais il n’y a là rien de très étonnant. Montherlant l’a dit à maintes reprises (dans son « Avant-propos » pour Physiologie de la boxe d’Édouard des Courrières qui parut chez Floury en 1929, et qu’il avait d’abord publié dans Les Nouvelles littéraires du 6 octobre 1928 ; dans « Vel d’hiv », un récit sur la boxe qu’on lira dans la Deuxième Olympique lors de la première édition collective chez Grasset en 1938 ; dans Paysage des “Olympiques”, qui parut lui aussi chez Grasset en 1940, et même dans Mais aimons-nous ceux que nous aimons ? en 1972), vers 1919-1920, il s’était proposé « pour tenir à la Nouvelle Revue Française une chronique régulière de la boxe ». André Gide donna un accord de principe en y mettant quelques conditions, mais finalement, « d’un commun accord », les deux hommes renoncèrent au projet. Cela dit, on peut quand même lire, aux pages 23 à 27 de Paysage des “Olympiques”, « des fragments de sa première chronique ». 2. On a ensuite une définition du syncrétisme par le biais de ce Julien qui avait très tôt retenu l’attention de Montherlant. Il avait envisagé, en 1922, de lui consacrer un essai et en 1926 encore, il louait « un petit appartement meublé » rue de la Harpe, alors qu’il avait « le quartier en horreur », « parce que, de [s]es fenêtres, [il] vo[yai]t les thermes de Julien, que les chrétiens appellent l’Apostat » (Moustique, La Table Ronde, 1986, p. 113). 3. On a enfin des considérations sur la démocratie dans le sport où l’on retrouvera, avec le mot du vicomte de Bondy, un peu du texte qu’on a déjà lu sur le feuillet 15. Les notes barrées sont précédées d’un astérisque. * les jeux dédiés aux morts * les 2 furieux, épuisés, s’appuyant l’un contre l’autre ; soudain amis au bord de l’inimitié[8] * et tous les raffinements de la sobriété * passéisme : forme s’atteignant par détachement / le strict nécessaire dans un combat de boxe / le mouvement réduit au nécessaire * « Mon poing, c’est ma jambe »[9] * démocratie * santé physique menant à santé morale / qqch. d’intact / enfanter le goût du bien les trois ill. de l’arbitre syncrétisme : le paganisme des esprits cultivés au IVe s., celui que Julien a tenté de sauver, est sous sa forme dernière, une religion unifiée VI, 50 Hippias[10] démocratie. « jouer trois fois par semaine tout nus avec le fils de leur concierge » Voilà un vicomte bien dégoûté. / <journée> de trêve sacrée qui durant les jeux s’établissait par décret entre tous les peuples de la Grèce. Liberté, Egalité, Fraternité. Avec ce peuple je suis de plain-pied. Il ne faut pas « aller au peuple » : il faut « se trouver » avec le peuple sur un terrain avec quelqu’un qui vibre des mêmes sentiments et quand on a compté les uns sur les autres * émotion républicaine Zeus Philios, dieu de l’État et de la camaraderie[11] [8] Son intérêt pour la boxe inspira à Montherlant un poème en versets, Critérium des novices amateurs, qui parut d’abord dans la Nrf du 1er septembre 1920 avant d’être recueilli dans la Deuxième Olympique (R1, p. 324 à 330). On y lit d’un boxeur groggy qu’ « il s’appuie contre celui qui le frappe comme sur l’épaule de son meilleur ami », qui fait penser à « les 2 furieux, épuisés, s’appuyant l’un contre l’autre ; soudain amis au bord de l’inimitié ». [9] Ces notes se retrouveront surtout, semble-t-il, dans « Vel d’hiv », qui ne sera d’ailleurs pas repris dans l’édition de la Pléiade : « Morphologiquement, l’homme est le plus sobre des animaux. Aucun ornement, nul luxe. […] / La boxe pousse à leur dernier point les raffinements de cette sobriété. / […] La forme obtenue par détachement. / Chez un bon boxeur, la seule élégance est l’efficacité. Le maximum de résultat avec le minimum de déplacement, le geste qu’il faut, à l’instant qu’il faut, avec le moins de dépense possible. Cette hâte mesurée, cette agitation intelligente et bien distribuée. […] “Mon poing, c’est ma jambe”, dit Georges Carpentier » (op. cit., p. 240). Cela dit, on trouvait déjà quelque chose de ces notes dans Avant les Olympiques, un article paru dans le n° 1 de la revue Demain en avril 1924 : « J’ai compris un certain dépouillement de la vie, qu’on appelle parfois classicisme, en voyant les athlètes atteindre leur forme par le détachement » (p. 222 sous la rubrique « Sportif »), et on en trouvait aussi quelque chose dans l’ « Avant-propos » pour Physiologie de la boxe : « Oui, la boxe pousse à leur dernier point les raffinements adorables de la sobriété. / […] / La forme obtenue par détachement. / […] Chez un grand boxeur, le mouvement est réduit au strict nécessaire, la seule élégance est l’efficacité. Le maximum de résultat avec le minimum de déplacement, le geste qu’il faut à l’instant qu’il faut, avec le moins d’effort possible. » Le mot de Georges Carpentier (qui devint, on le sait, champion du monde mi-lourds après sa victoire contre Battling Levinsky le 12 octobre 1920) nous rappelle, quant à lui, qu’en 1915 Montherlant, sur le conseil du directeur de L’Auto, avait fréquenté le Comité d’Éducation Physique fondé en août 1914 par Pierre de Coubertin et ensuite passé à L’Auto et que « pendant près d’un an, à dix sous de cotisation par mois, sur la pelouse du Parc des Princes, [il avait] tâté doucement de toutes les “spécialités”, sous la direction du frère de Georges Carpentier » (R1, p. 222 dans la préface de 1938 pour l’édition Grasset). [10] Hippias est un dialogue de Platon où Socrate argumente avec le sophiste Hippias sur la question de savoir ce qu’est la beauté, et quelles sont les occupations qui conviennent le mieux à la jeunesse. [11] Sauf erreur, ce Zeus Philios apparaît avec la préface de 1938 pour l’édition des Olympiques déjà citée dans la note 2 : « Chez les Grecs, c’était Zeus Philios, le dieu de l’amitié qui présidait à l’athlétique » (R1, p. 224). On le retrouvera dans Mais aimons-nous ceux que nous aimons ?, p. 34 : « C’était Zeus Philios qui présidait aux gymnases d’antan ; il devait présider aussi aux nôtres. » 17e feuillet En voilà assez ! Tu m’as fait mal à la tête à couper les cheveux en quatre. Au revoir. D’ailleurs j’ai tes habits. C’est tout ce qu’il me faut ! Je ne perds pas le nord, moi ! (il s’échappe en riant) Ici, au crayon rouge, cinq ou six mots illisibles barrés Quand on se croit une poigne de fer… Dit-il vrai ? Est-ce que tout aboutit à la question : il faut choisir de servir les gens ou de s’en servir ? Faut-il toujours qu’il y ait un sacrifice, et que sans cesse deux voix se remplacent, mais toujours pour un reproche, l’une qui dit : « Qu’as-tu fait pour ta gloire ? » et l’autre : « Qu’as-tu fait pour eux ? » Comme le général de Marc-Aurèle, moi aussi, j’ai deux maîtres, un César et un Christ[12], et ces voix dominent tour à tour. Parfois, quelques instants, j’entends bien l’unisson, mais c’est peut-être l’illusion d’une solitude <désirée>, car sitôt que la vie vous reprend, qu’à brûle-pourpoint elle offre un acte à faire ou vous jette dans les mains, comme ça, sans crier gare, un être, et qui se met à vous aimer… Il faut choisir il faut choisir et je ne sais pas lequel de mes maîtres je dois tuer. Que ne suis-je tout d’un côté, sans connaissance de l’opposé ! Quelle facilité si l’on m’avait retiré le cœur, comme aux coureurs la rate, ou bien au contraire que, tout le reste annihilé, je ne fusse qu’un cœur offert pour être partagé. Qu’ils atteignent vite leurs buts ceux-là ! Mais moi qui suis à la fois le loup et le berger ! [12] Montherlant s’est ici souvenu d’une page de Renan dans Marc-Aurèle et La Fin du monde antique : « Le plus important des devoirs civiques, le service militaire, les chrétiens ne pouvaient le remplir. Ce service impliquait, outre la nécessité de verser le sang, qui paraissait criminelle aux exaltés, des actes que les consciences timorées trouvaient idolâtriques. Il y eut sans doute plusieurs soldats chrétiens au IIe siècle ; mais bien vite l'incompatibilité des deux professions se révélait, et le soldat quittait le ceinturon ou devenait martyr. L'antipathie était absolue ; en se faisant chrétien, on quittait l'armée. “On ne sert pas deux maîtres”, était le principe sans cesse répété. » Et Renan, qui renvoie en note à saint Martin, saint Victricius, saint Taraque, cite même une inscription chrétienne tenu pour un rescrit de Marc Aurèle (op. cit., p. 594-595). D’où « le général de Marc-Aurèle » de Montherlant. On trouvera un autre souvenir de Marc-Aurèle et La Fin du monde antique dans Explicit mysterium avec le mot d’ordre d’Antonin mourant que Renan cite à la toute première page de son livre : « Æquanimitas » (p. 508 dans le vol. Essais de la Pléiade). 18e feuilletIl y a une phrase du Lysis qui l’indique sinon comme condition essentielle, du moins comme un encouragement précieux à l’entretien philosophique[13]. Des textes irréfutables l’établissent, sans qu’un doute soit permis : dans l’âge d’or de la culture athénienne, l’enseignement intellectuel, la « fécondité selon l’esprit[14] » fut basée sur la sympathie[15]. Comme tant d’autres commandements du monde chrétien, il semble que la malédiction de la Genèse : « Malheur à celui qui est seul[16] », ait été entendue… et ils l’ont cherchée à deux, à trois (toujours avec la sympathie.) Une pareille heure est un don à la divinité ; je l’imagine comme un fruit admirable que je tiens dans ma main et que j’offre. Correspondances entre ces heures. Il faudrait être un esprit très superficiel pour se dire que, tantôt, mon jeune compagnon et moi, nous nous promettions d’assister le jour de Pâques, dans le chœur, au Salut de la Madeleine, nous mettions une fausse note dans cette symphonie que j’appelais antique. C’était la même <vertu> qu[i] il y a 2000 ans était demandée comme un des éléments de l’ordre. Donner tous nos soins à l’éducation : (Platon-Républ.) la meilleure partie d’eux-mêmes avec l’aide de la meilleure partie de nous-mêmes [17]. [13] Le Lysis de Platon est sous-titré De l’amitié, et il est vraisemblable que c’est à l’amitié, ou à la sympathie comme le suggère la suite du texte, que pense ici Montherlant. À quelle phrase du dialogue fait-il allusion ? On pourrait, avec toutes les réserves qui s’imposent, penser à cette question que Socrate pose au jeune Lysis : « Si donc tu acquiers des lumières, mon enfant, tout le monde deviendra ton ami et te sera dévoué, car tu seras utile et précieux : dans le cas contraire, personne n'aura d'amitié pour toi, ni tes proches, ni ton père, ni ta mère» (210 d dans la traduction de Victor Cousin). [14] L’allusion au Banquet de Platon est évidente, et plus précisément à ce passage (en 210 d) où Socrate rapporte ce que Diotime, la dame de Mantinée, lui a dit de la nature profonde de l’amour et que Montherlant avait repris dans Thrasylle (voir la p. 48 dans l’édition Laffont-Grand Pont de 1984). [15] Avec ce mot nous retrouvons le Zeus Philios du verso du feuillet 16 ainsi que la préface de 1938 pour Les Olympiques : « Chez Les Grecs, c’était Zeus Philios, le dieu de l’amitié, qui présidait à l’athlétique. Et l’autre divinité des gymnases et de jeunesse était Hermès, de qui la baguette changeait en or ce qu’elle touchait : cette baguette devait être la sympathie » (R1, p. 224-225). [16] Ce n’est pas dans la Genèse qu’il faut chercher ce mot, mais dans l’Ecclésiaste : Vae soli quia cum ruerit non habet sublevantem (410), « Malheur à celui qui est seul et qui tombe, sans avoir un second pour le relever ! » Montherlant prendra le mot à contre-pied dans La petite Infante de Castille pour sa description du « chialeur international, qui hante les trains comme la punaise les lits » : « Vae soli ? Ah, grand Dieu, bonheur, bonheur, trois fois bonheur à l’homme seul ! Et jamais assez seul, à mon gré » (R1, p. 590). [17] C’est un extrait, dans la traduction d’Augustin Bastien, d’un passage du livre IX de la République (en 590 e-591 a), sur « la dépendance où l'on tient les enfants » : « Nous ne souffrons pas qu'ils disposent d'eux-mêmes, jusqu'à ce que nous ayons établi dans leur âme, comme dans un État, une forme stable de gouvernement, et qu'après avoir donné tous nos soins à la meilleure partie d'eux-mêmes avec l’aide de la meilleure partie de nous-mêmes, nous en fassions pour eux comme pour nous leur gardien et leur maître ; alors nous les abandonnons à leurs propres lumières » (L'État ou la République de Platon, Paris, Garnier frères,1879, p. 389). 19e feuilletqui veux tout, et, <vénérant> Dieu, à tout m’étais refusé, qui dis : « La haine me décuple » et qui dis[18] : « Je ne sais qu’aimer[19] », prêt pour la pourpre et le cloître, assoiffé de vin et de lait, alternant les « Je me suffis » et les « Je ne suis pas digne », sans scrupules et les ayant tous, impitoyable et ayant mal de tout parfois, à force de pitié, portant en moi, comme dans une cage, deux oiseaux, le bien et le mal, et ne sachant jamais lequel va s’envoler ! Ce serait beau si j’étais poète : ressentant tout, je pourrais tout exprimer. Mais il s’agit d’agir et cette unité que je saisis parfois dans la solitude (ah, tout est facile sur le papier !) et qui m’échappe quand il faut agir dans la vie, je ne sais pas encore si elle m’échappe parce qu’elle est inviable, ou parce que je n’ai pas assez de valeur pour l’imposer ou pour trouver le biais où elle m’apparaîtra. Mais l’obtiendrai[-je] jamais assez pour en entendre la voix et ill. lever un remords, comme dans ce stade où j’ai entendu la voix de l’âme se plaindre, jusqu’à ce qu’enfin elle ill. <échappe>, la voix de la douceur sacrifiée ? Mais au moins si je dois m’égarer, que je n’en égare pas d’autres avec moi ! [18] Le manuscrit donne à lire « dit », qui est à l’évidence une coquille. [19] Sauf erreur, c’est dans Le Songe que Montherlant a cité pour la première fois ce mot : « Amoureux du front… La parole de Socrate lui revint : “Je ne sais qu’aimer.” Et lui, savait-il rien faire autrement qu’avec cette folie ? » (R1, p. 27). Le mot dérive du Banquet de Platon quand Socrate dit : « Je ne sais qu’une chose, l’amour » (en 177 d). Montherlant citera de nouveau le mot de Socrate dans ses carnets de 1969 et de 1971, ainsi que dans les toutes dernières pages de Mais aimons-nous ceux que nous aimons ?, où il y décrit un rêve qu’il a fait au petit matin du 12 décembre 1971. Quelqu’un lui est apparu, qu’il a « aimé en des temps très lointains ». Ce rêve qu’il refait « tous les sept ou huit ans » lui a cette fois-ci montré que « cet être était le seul qu’il ait aimé de sa vie entière » : « Moi qui ai répété tant de fois : “Je ne sais qu’aimer”, n’aurais-je aimé qu’une fois ? » (op. cit., p. 217). 20e feuilletLes notes barrées sont précédées d’un astérisque. Transparent comme la cire sortant d’un fleuron deux mots au crayon ill. pr les ports, arsenaux, etc… (voir Gorgias.)[20] * Le jugement est la seule chose qui rajeunisse en vieillissant[21]. * Les actions, branches du cep de notre âme, ont besoin d’être ployées et contraintes pour nous rapporter leurs fruits * ill. bleue, comme de l’acier martelé qui coulerait Boxe : le pugiliste ancien se déclare vaincu en levant la main <comme pour> le passage du témoin * Lui Je suis sûr qu’on pouvait avoir confiance en lui à la guerre * Son air modeste * La saillie des pectoraux allant droit jusqu’à l’aisselle, de façon à, de face, empiéter un peu sur elle (par ex. Oreste, pl. 12 Hébert) mais lui ses rebords externes sont verticaux[22] * vêtements faits à son corps sacs comme corbeilles mystiques * lutteurs : on couvrait deux hommes <sur un char> ill. l’agonistique / καλοκαγαθια[23] quels sont les ill. * la liberté de cette jambe intéressant p. 305 ill. en pédagogie * la course, le 1er des jeux en ancienneté * Les courses des jeunes garçons : dans les inscriptions leurs noms sont toujours cités les premiers[24] p. 308 Travinski course antique par séries[25] [20] Socrate va mettre dans l’embarras le sophiste Gorgias, qui est de passage à Athènes pour y enseigner la rhétorique : « Voyons, je te prie, ce que nous devons penser de la rhétorique. Pour moi, je ne puis encore me former une idée précise de ce que j'en dois dire. Lorsqu'une ville s'assemble pour faire choix de médecins, de constructeurs de vaisseaux, ou de toute autre espèce d'ouvriers, n'est-il pas vrai que l'orateur n'aura point alors de conseil à donner, puisqu'il est évident que, dans chacun de ces cas, il faut choisir le plus instruit ? Ni lorsqu'il s'agira de la construction des murs, des ports, ou des arsenaux ; mais que l'on consultera là-dessus les architectes ; ni lorsqu'on délibérera sur le choix d'un général […] ; mais qu'en ces circonstances les gens de guerre diront leur avis, et les orateurs ne seront pas consultés. Qu'en penses-tu, Gorgias ? Puisque tu te dis orateur, et capable de former d'autres orateurs, on ne peut mieux s'adresser qu'à toi pour connaître à fond ton art » (455 b-c, trad. Victor Cousin). [21] « Ne savez-vous pas que le jugement est la seule chose qui rajeunit en vieillissant, et que la prudence n’est mûre qu’en l’arrière saison, comme les fruits ? » Passé en proverbe, le mot figure dans le Discours de Jacophile à Limne, généralement attribué à François de Lescours Savignac (voir l’édition critique de Lydie Dessis Pince). [22] Ces lignes s’éclairent par le préambule de 1938 à Mademoiselle de Plémeur, championne du “trois cents” : « Ne rencontrant jamais dans la vie les corps de femmes de la statuaire grecque, ou de certains peintres d’autrefois, j’en avais conclu qu’ils n’étaient que des inventions de l’idéalisme. Mais en 1919 je vis dans les stades des jeunes filles entraînées athlétiquement, j’en vis d’autres développées selon la « méthode naturelle » de Georges Hébert, je lis l’indispensable livre de Hébert, l’Éducation physique féminine. Quelle révélation ! Comme celle d’un nouveau sexe. Je compris alors que le corps de la femme pouvait être beau, s’il était exercé » (R1, p. 279). Un des poèmes des Onze : « Le Chant des jeunes filles à l’approche de la nuit », porte même « sur les monitrices de Hébert » (R1, p. 333). Cela dit, personne mieux que Pierre Charetton n’a mis en lumière la parenté qu’il y a entre les figures féminines des Olympiques ou celle de Dominique Soubrier dans Le Songe et la « doctrine » de Hébert. On en trouvera quelques échantillons sur la Toile avec son livre Le Sport, l’ascèse, le plaisir. Éthique et poétique du sport dans la littérature française moderne publié par le CIEREC (Centre Interdisciplinaire d’Études et de Recherches sur l’Expression Contemporaine) de l’Université Jean Monnet / Saint-Étienne, Travaux LXVI, 1990, ainsi que dans sa communication « Les incidences du sport et de l’idée athlétique sur l’esthétique corporelle » dans les Actes, édités par le même CIEREC, du colloque « Sport et Société » de juin 1981 (p. 207 et sv.). De cette communication, on retient plus précisément son commentaire sur ce passage du poème « Soleil de nuit. Jeune fille, troisième dans la course des jeunes filles » (R1, p. 337) : « Elle est solide. Elle est bien charpentée. Elle a une excellente ossature ». « Hébert, dit Charreton, partage ces vues et plusieurs planches de son traité tendent à prouver “l’identité du développement musculaire chez l’homme et la femme”, tel ce groupe d’Oreste et Électre qu’on peut voir au Musée National de Naples : “Seules les proportions du bassin sont différentes” ». De là vient la note de Montherlant : « (par ex. Oreste, pl. 12 Hébert) ». Le groupe d’Oreste et d’Électre (découvert à Pouzzoles, il mesure 160 cm et il est daté du 1er s. av. J.-C.) se trouvant très facilement sur la Toile, on y verra combien la remarque de Hébert est justifiée. [23] Le mot définit le caractère et la conduite une « parfaite honnêteté » jointe à une « probité scrupuleuse » du « parfait honnête homme », le kalos kagathos qu’a décrit Xénophon dans ses Mémorables et qu’on rapproche volontiers de l’honnête homme du XVIIe s. [24] Deux notations qu’on trouve dans la Première Olympique : « Et c’est la course, le plus antique des jeux ! » (Le Paradis à l’ombre des épées, p. 84 ; R1, p. 259), et : « Dans les inscriptions olympiques, les noms des enfants victorieux viennent toujours avant ceux des hommes » (Le Paradis, p. 121), qui deviendra : « Dans les inscriptions d’Olympie, les noms des enfants… » (R1, p. 276). [25] L’ouvrage de Hébert, Éducation physique féminine Muscle et Beauté plastique, paru chez Vuibert en 1919 ne compte que 198 pages. Ce n’est donc pas là qu’il faut chercher des pages 305 et 308. 23e feuilletToutes les notes sont barrées. Recto Eh bien, vous n’avez pas la gale ! Sur sa demande, je lui prête mon crayon, qu’il se met à mordiller. <À l’autre> guerre, tu en as entendu de ce ton-là. La tête à peine en arrière FILLES le thermos [26] Mystère total autour de ce « Megykona II ». Verso SPORTS [27] Il suffira ici de recopier bravement ce que dit Wikipédia : « En 1886, à proximité du jardin du Pré-Catelan et de sa croix (la croix Catelan), des lycéens créent un site sportif du nom de Croix-Catelan. Ils obtiennent une concession de 2,8 hectares sur le lieudit du parc aux Daims, où se trouvaient des animaux des daims et des mouflons, qui furent ensuite confiés au Jardin d'Acclimatation. Une piste en herbe de 500 mètres y est mise en place, qui accueille les premiers championnats internationaux d'athlétisme en 1886, puis les épreuves d'athlétisme des Jeux Olympiques de 1900. Des terrains de tennis y voient aussi le jour pour les matchs du championnat de France, jusqu'à l’édification du stade Roland-Garros en 1927. » [28] « Vents, ne soufflez pas de face quand il sera dans la ligne d’arrivée » dans « Les Coureurs de relais » (R1, p. 332). [29] « La joie que donne le sport est une ivresse qui naît de l’ordre. Celle que vous ressentez à la lecture d’une belle fiche physiologique » dans Le Paradis à l’ombre des épées, p. 87 qui deviendra : « La joie que donne le sport est une ivresse qui naît de l’ordre. Celle que vous ressentez à la lecture de ce poème qu’est une belle fiche physiologique » (R1, p. 260). [30] « Dans mes bras, foulée de deux mètres, et les quatre litres de capacité vitale ! » dans « À une jeune fille victorieuse dans la course de mille mètres » (R1, p. 347). [31] On renverra pour cette ligne à la note 15 du feuillet 18. [32] C’est un mot de Sénèque dans sa Lettre 6 à Lucilius : In hoc aliquid gaudeo discere, ut doceam, « Si je me réjouis d’apprendre, c’est pour enseigner. » [33]L’Échange est une pièce de Paul Claudel dont la première version date de 1893. [34]Montherlant avait sans aucun doute lu l’anthologie de Léon d’Hervey-Saint-Denys parue chez Amyot en 1862 sous le titre Poésies de l’époque des Thang (VIIe, VIIIe et IXe siècles de notre ère). Il y avait trouvé à la p. 204 un « fragment » du poème « La montagne n'est que silence et solitude », de Ouang-Oey (ou Wang-Wey), qu’il vaut la peine de lire en entier : « La montagne n'est que silence et solitude ; / On n'y voit que des herbes touffues et des arbres épais. / La cour est la patrie des hommes d'élite ; / Seigneur, comment demeurez-vous dans ce sauvage désert ? / La culture des lettres n'exige point de relations fréquentes ; mes pensées sont profondes ; / La science de la philosophie est difficile, et, pour l'acquérir, je marche seul. / J'aime les sources pures, qui serpentent entre ces rochers ; / J'aime aussi ma cabane rustique, paisiblement assise au milieu des pins. » Et ce n’est probablement pas un hasard si, évoquant « la piste olympique de Colombes », l’auteur des Onze devant la porte dorée écrivit : « Je voudrais la voir de près, à l’heure où le stade n’est que silence et solitude » (op. cit., p. 77). Autre poème qu’on lira aux pages 57-58 de l’anthologie de Léon d’Hervey : « À l’heure où les corbeaux vont se percher sur la tour de Kou-Sou [aujourd’hui Sou-Tcheou ou Souzhou] », de Li-Taï-Pé. En voici la première strophe : « À l'heure où les corbeaux vont se percher sur la tour de Kou-sou, / Dans le palais du roi de Ou, la belle Si-chy déploie tout l'entrain de l'ivresse. / Elle chante les plus joyeuses chansons, elle danse les pas les plus lascifs ; / La moitié du soleil a déjà disparu derrière les coteaux verdoyants, mais sa gaîté ne faillit point. » [35] Ce fatalisme est tout entier dans ces lignes du Songe où le héros, qui vient d’apprendre la mort de son ami Prinet, trouve un apaisement dans une double parole de Marc Aurèle: « Quand tout était accompli, une parole lui venait aux lèvres, déjà prononcée par un homme, mais qui germait si spontanément de lui-même qu’elle en était comme recréée : “Ô monde, je veux ce que tu veux. Tout ce qui arrive arrive justement” » (R1, p. 166 et Marc Aurèle X, 21, 1 et IV, 10, 1). 24e feuilletRecto Chrétiennement Il n’y a plus que le sport qui compte pour moi, j’ai supprimé tout le reste, exprès. Devenir un champion, me faire connaître. Il est possédé par une passion dévastatrice. Premier jet de la suite : Cette pureté, cette défense de la pureté qui ne naît que par le sport, qui s’est substituée aux antiques défenses du sens moral et de la religion, elle me fait peur. Dans ce premier jet, Montherlant a introduit des corrections mais qu’il n’a pas conduites jusqu’à leur terme, d’où ce résultat boiteux : Cette pureté, cette défense de la pureté qui ne naît que par le sport ill. d’entraînement, cet idéal sportif, qui s’est substituée aux antiques idéal moral ou religieux [et de la religion qui aurait dû être barré], elle m’a ébloui d’abord, et parfois maintenant, elle me fait peur. « Le sport, seule sauvegarde contre tout ! » Je ne peux m’empêcher de frémir de cette petite barrière de papier entre ces enfants et le précipice. Que deviendront-ils le jour où, sur les pistes, ils connaîtront la défaite ? Que deviendront-ils quand ils se feront vieux ? <Si> je ne <peux> moi, socialement ill. : je dis moralement : où sera leur armature ? qu’est-ce qui les tiendra droits ? Verso Presque tout le texte est barré soit d’un trait continu soit d’un trait ondulé transversal. Il n’est pas dur de mourir, mais il doit être très dur de mourir en sachant que l’on n’est pas regretté Ah, je l’ai donc enlevée de moi, cette force que je vous ai donnée. Pureté voulue. Tu n’as pas 17 ans, et j’en ai 27. Quel scandale ![36] Que je te regarde, que je te regarde, toi qui n’aimes pas ! Toi qui ne sais pas quelle chose extraordinaire c’est, d’aimer quelqu’un. On ne peut plus s’en passer. m’avoir fait connaître les gens auxquels je devrai de devenir quelqu’un La reconnaissance que tu me dois n’est pas pour les choses que tu sais, mais pour celles que tu ne sais pas. Ta pauvre mère ! J’étais toujours de ton parti, contre elle. Comme tu dois lui faire mal ! Je ne m’en aperçois pas. Je sais bien que tu ne t’en aperçois pas. [36] Fait un peu penser à ces lignes du poème « Le poète pense à un repas sacré » : « Le plus vieux de nous avait vingt-cinq ans, le plus jeune en avait seize » (R1, p. 331). |
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