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Articles sur Montherlant (hors presse)139. Manuscrits inédits de Montherlant achetés en juin 2019 (1/2)IntroductionJ’ai eu la chance d’acheter plusieurs manuscrits de Montherlant en 2019. Ici, je mets à jour des brouillons de Montherlant, écrits dans les années 1922-1923, rédigés sur le sport, sa pratique, les athlètes (garçons ou filles), le commandement, les chefs d’équipe, les joueurs, la morale du sport, bref une série de thèmes repris dans Les Olympiques, mais inédits. Il s’agit de feuillets presque tous indépendants les uns des autres, où s’inscrit l’écriture rapide et sèche de Montherlant, avec d’innombrables corrections ; elle est difficile à décrypter. On y lira aussi des réflexions de Montherlant sur lui-même, ce qui rend la lecture fort intéressante. Je remercie Pierre Duroisin de m’avoir aidé dans le travail de déchiffrement ainsi que pour les commentaires et notes qu’il a bien voulu ajouter. Tous ces feuillets sont insérés dans un classeur dont la couverture porte de l’écriture de Montherlant « Revu en juillet 1971 ». Henri de Meeûs, juillet 2019 1er feuillet - PoèmeLes gens qui s’amusent s’amusent ; ce ne sont pas des gens qui font ceux qui. 2e feuillet - PoèmeL’Alerte J’ai couru, lancé le poids et hier, j’ai couru quarante mètres peut-être derrière un autobus, et soudain j’ai senti le mal. Et j’ai eu une sorte d’angoisse. 3e feuillet - PoèmeLe Chant de l’équipe sixième Chez nous tout est nature. Pas de truquage. Pas de gens corrigés. [1] Bernard Grasset avait créé ce prix en 1922 : « Le prix, doté de 50 000 francs par un milliardaire, est destiné à un écrivain jeune, choisi par un jury de dix membres dont Grasset supervise lui-même la composition et oriente le choix final » (Marie Carbonel, « Juges contre jurés. Les critiques et les prix littéraires (1903-1932) », dans Mil neuf cent. Revue d'histoire intellectuelle, 2008/1, n°26), p. 31 à 50, note 31). 4e et 5e feuilletsLa leçon de foot-ball[2] dans un parc X ne t’obéit pas. Sacque-le. [2] Cette orthographe est désuète mais attestée. [3] Beyssac est un nom qui est cité dans La leçon de football dans un parc (voir Romans 1, dans la Bibliothèque de la Pléiade, p. 295 et sv.). 6e feuillet […] chose désarmante, qui fait horreur. J’ai été très sculpté dans le sens de l’âpreté, par les colères et les exaspérations où j’ai été mis dans ma jeunesse par le désordre, d’abord dans un collège sans discipline, ensuite à des cours de droit où des étudiants empêchaient leur professeur de dire un mot. Je ne sais si j’exécrais le plus le professeur ou les élèves. Et si je me suis si bien fait dans l’armée en guerre, c’est que nous étions sous une autorité ; les officiers que j’ai détestés étaient des officiers qui ne commandaient pas. Maintenant il y a <Derruau>, qui est très gentil mais qui joue très mal. Faut-il le sacquer ? Si tu commandais une grande équipe je te dirais sans hésiter : oui, il y a l’ordre du jeu où il faut exceller, et il y a l’ordre des sentiments. Ils sont distincts. Rien ne t’empêche de voir <Derruau>, qui est un délicieux garçon, en dehors du jeu, et d’être aussi gentil que possible avec lui. Mais réserve le jeu, où il ne s’agit pas de cela. Sacrifice ! Sacrifice ! On a toujours ce mot-là à la bouche. [4] Montherlant met sur le compte de Spinoza un mot qu’on attribue à Goethe, et qui n’était d’ailleurs pas exactement celui-là, Goethe ayant dit dans une circonstance bien précise qui en définit mieux la portée : « C’est dans ma nature : j’aime mieux commettre une injustice que tolérer un désordre. » [5] « Moitié > que le tout » doit se lire : « La moitié est plus grande que le tout ». C’est un mot tiré des Travaux et les Jours d’Hésiode (vers 40) que Montherlant a cité à maintes reprises. On le trouve sous la forme : « La moitié est plus grande que le tout » dans Tibre et Oronte, l’essai inaugural, daté du 15 août 1923, de la Première Olympique (Grasset, Coll. « Les Cahiers verts » n° 31, 1924, p. 14), mais il était aussi parmi les mots que Montherlant avait donnés comme exemplaires à Pierre Varillon et Henri Rambaud pour leur Enquête sur les maîtres de la jeune littérature parue chez Bloud et Gay en 1923 : « Mon père est ce grand esprit antique qui a dit par la bouche d’Hésiode : “La moitié est plus que le tout” ; par celle de Socrate : “Je ne sais qu’aimer” Etc. » (op. cit., p. 112). C’est d’ailleurs par le même canal qu’il faut comprendre ce qu’on lit peu après : « Barrès - Maurras avec Rambaud ». Évoquant Barrès et Maurras pour Varillon et Rambaud, Montherlant disait : « On nous montre le maître de l’Action française se refusant à un aussi total emploi de soi-même. Barrès (sauf dans son œuvre de guerre) s’est prêté à la vie et servi d’elle. Maurras s’est donné à la vie et se laisse dévorer par elle » (op. cit., p. 110). Reste « Cicéron que orateur… », qui fait sans doute référence aux conseils de modération que donne Cicéron, quand il dit que l’orateur « saura aussi régler ses mouvements, et s’interdire tout geste inutile » (Or., XVIII). 7e feuillet Je ne prendrai plus aucune initiative pour que nous nous voyions ; mais je reste le même, à ta disposition, le jour où il te plaira. Ce n’est pas ce qu’on reçoit qui est l’essentiel, c’est ce qu’on donne, et ce que je te donne n’a pas changé. Je ne sais comment les autres sont faits. Pour moi je vois bien des raisons de t’aimer moins, mais je ne vois aucune qui soit efficace. [6] Il est difficile de ne pas reconnaître derrière l’initiale P., le Peyrony que l’auteur-narrateur décrit tout au long des Olympiques et avec qui il dialogue, en prenant pour lui-même les traits du demi aile, dans La Leçon de football dans un parc de la Première Olympique et dans Les Onze devant la porte dorée de la Deuxième Olympique. Dans Les Onze, en particulier, on évoque un passage dans une équipe d’un autre club, plus forte, “sous la direction du fameux international anglais Blackwater”. C’est Beyssac qui l’annonce d’abord au demi-aile, avant que n’arrive Peyrony (voir Romans 1, Pléiade, p. 360 et sv.). 8e feuillet Ouille ! Ouille ! 9e feuilletIl m’est impossible de croire qu’on a pu être piétiné, sentir des hommes tels que soi, ses pareils, aux lourds souliers, passer comme une trombe au-dessus de votre corps sans y prendre garde, - et se relever indemne, sans que quelque chose en soit changé dans votre façon d’être en face [de] la vie. Il est impossible que l’on ne sente pas que quantité de choses paraissent terribles et ne le sont que par cette idée que nous nous en faisons. Mais il suffit d’oser, pour son plaisir, laisser qu’elles vous piétinent, - et on se relève indemne. Si tu savais comme je sens que je ne peux pas être atteint ! Je ne suis vulnérable que dans ceux que j’aime. Plus je vais, moins il y a de choses qui ont pouvoir sur moi. En tous cas, quand on est passé par ici, ce ne sont pas les choses morales. Ah ! les choses morales ! Il y a toujours moyen de s’arranger avec elles ! Voilà ce qu’on pense quand en débutant dans la vie, c’était le corps qui était menacé, comme ont débuté ceux dont je fais partie.
10e feuilletIl faut mourir, cela est sûr, si celui qui a un sentiment magnifique de soi-même a pu dans quelques instants en douter. Je serai un jour un objet de dégoût[7] pour les petits-fils des garçons que je voyais jouer aujourd’hui. Arrêté au bord du jeu, ils enverront le ballon vers moi pour me ridiculiser ; je n’oserai pas le leur renvoyer du pied de peur d’être maladroit ; cette gêne enfin me chassera du jeu, que je leur aurai gâché. La dureté que j’ai pour la vieillesse m’empêchera de me plaindre. Que jamais je ne ill. pour le blâmer le jeune homme qui se détournera de moi, comme d’un compagnon des morts et à qui j’ai donné cet exemple aujourd’hui. La maladie et la mort sont les grands malheurs. Raisonnablement, les croyants en une immortalité devraient s’interdire de les nommer tels. Ce sont des accès à un bien qu’ils n’avaient qu’à mériter : on peut risquer quelques années pour l’éternel. Mais qu’un incroyant s’avise de les accepter sans révolte, on se rebiffe devant sa résignation. En 1911, mes camarades de collège me nommèrent président d’une « Académie », censée représenter les belles lettres et la haute philosophie. Je dus prononcer une conférence d’ouverture. Je pris pour sujet : L’Acceptation (1). À quinze ans, l’acceptation ! Comment ne pas rechercher l’unité d’une <acceptation> devant la vie dans des pages d’un enfant ! Déjà, à travers les railleries au stoïcisme que nous inculquaient évidemment des maîtres aux âmes de valets, [la suite manque] (1) Ces pages furent recopiées dans le « Livre d’or de l’Académie de l’École Ste-Croix ». Elles y sont encore, si l’on n’a pas déchiré ces pages au bas desquelles se trouvait mon nom[8]. [7] Le texte donne à lire « et de dégoût », avec un « et » inutile. Sauf à supposer un premier complément qui serait resté dans la plume de l’écrivain. [8] Le caractère autobiographique de ces lignes est évident. S’adressant, en novembre 1933, aux officiers de l’École supérieure de Guerre, Montherlant leur dira : « L’acceptation ! Voilà vingt ans que je réponds par ce mot au spectacle de l’univers. J’en avais seize quand, faisant au collège une conférence, comme président de l’Académie littéraire de ce collège, je choisissais pour sujet l’acceptation » (La Prudence ou les morts perdues, dans Service inutile, p. 673 dans le volume Essais de la Bibliothèque de la Pléiade). Et Faure-Biguet citera dans Les Enfances de Montherlant qui parurent chez Plon en 1941, une lettre qu’il avait reçue de Montherlant le 16 janvier 1912 : « J’ai une conférence à faire à l’Académie pour dans quinze jours sur “Résignation et acceptation” » (op. cit., p. 80). On sait que deux mois plus tard, Montherlant était renvoyé de Sainte-Croix. D’où la pointe de sa note : « Elles y sont encore, si l’on n’a pas déchiré les pages au bas desquelles se trouvait mon nom. » Non moins autobiographiques étaient les lignes qu’on a lues plus haut sur ces « cours de droit où des étudiants empêchaient leur professeur de dire un mot ». Faure-Biguet rapporte une autre lettre de Montherlant datant de l’automne 1912, alors qu’il a commencé son droit à l’Institut catholique, où il déplore que « le temps se passe en “chahuts” » (op. cit., p. 113). 11e et 12e feuillets« Révolte, rebellion, protestation contre l’ordre, - marque des petits esprits. » Ainsi débute la conférence ; j’y répands tout de suite mon dégoût sur « l’esprit fort, qui est l’esprit faible », « l’anarchie, mesquinerie à panache », « l’âme qui combat pour je ne sais quelle émancipation ». Puis je me demande de quoi est faite l’acceptation, et je dis : d’orgueil. Cette demande faite, suit un chant d’orgueil qui se termine par cette constatation. « Je suis grand, je suis grand, je suis effroyablement grand. » (Ah, mon cher Président, je crois m’entendre.) « A vrai dire, cette résignation passionnée est-elle tout à fait chrétienne ? » se demande soudain ce Président aux genoux nus, déjà pris de doute sur son orthodoxie. Eh bien, se répond-il, « si je n’étais pas croyant, je me résignerais quand même, pour jouir du sentiment de sublime que cela me donnerait. » La conférence se termine par un appel à une « <caste> de virilité », à la raison « que l’on accable sous le bric-à-brac sentimental », et une « acceptation joyeuse » et sans sanglots. Mon frère ! Mon frère ! Les paroles mêmes que je prononce aujourd’hui, ill. après onze années ! Tant de liens se sont faits et défaits, et dans le profond rien n’a changé ! On m’excuse cette incursion dans <des souvenirs>. C’est qu’il est intéressant de <montrer> l’éloge de l’acceptation fait par un ill. qui aujourd’hui, devant ces <clubs>, après cette journée sportive[9]. [9] La phrase est sans doute restée inachevée, mais la grandiloquence du discours tenu par ce « Président aux genoux nus » donne à penser que Montherlant a repris des mots de sa conférence de 1912. 13e feuilletCes chants en vieillissant tournent à l’âcre. C’est d’ailleurs horrible. Il est horrible d’avoir tout mis sur la tête des êtres. Je me moquerai pas mal des œuvres de l’art et de la pensée quand je n’aurai pas à en extraire le suc pour l’ajouter à mes relations avec l’un d’eux. Déjà je rejette d’instinct ce qui ne me sert pas en ce sens : vastes sont mes lacunes ; on les connaît bien ; je n’ai rien fait pour les combler. 14e feuilletRecto du 14e feuillet Le corps dans sa beauté, et l’appréciation de cette beauté, est nécessaire à la dignité de la vie universelle. Il y a plus de spiritualisme chez un peuple qui poursuit le type du beau que chez celui auquel il est indifférent. Un barbare pourra admirer une montagne ; il faudrait de longues générations <d’artistes> pour apprécier un corps humain, car cette appréciation appartient à l’intelligence. Parce qu’elle appartient à l’intelligence, la contemplation des corps est dénuée de sensualité. Les jeunes filles adonnées à l’athlétisme, on ne les désire que lorsqu’elles se sont rhabillées. La nudité est tellement chaste qu’une femme qui veut être désirée ne se mettra jamais nue. C’est le peuple le plus honnête - et dont le nom même devint symbole de mâle sérieux et [de] gravité, - ce sont les Doriens qui introduisirent en Grèce la complète nudité, et ils l’introduisirent longtemps après, comme un progrès et [un] perfectionnement social sur la nature. L’art des Grecs, qui est celui de la nudité, est le plus chaste du monde dans tous les siècles. Et l’histoire nous apprend que leur vie, si elle eut des désordres,[10] [10] La suite manque, mais il faut souligner que cette page porte un n° 10, qu’elle faisait donc partie d’un ensemble important.
29 Août[12] A transporter Comme on peut recueillir de X en son Banquet[13]. revue Les passages d’angoisse qui me submergent et ne font rien pour ma trempe d° fin rapport football[14] revue et 2e ex. ô femme biologique ! Mon visage dans le jarret quand la jambe se referme, dans la <saignée> du bras quand le bras se referme, et que je suis pris dans toute la chaleur terrestre. Parfois juste après le réveil, dans l’hiatus qui sépare la lucidité de l’inconscience, il y a une seconde où j’ai un étranger dans ma poitrine qui voit le néant ; se sent sa proie et se rétracte avec horreur… La seconde d’après, je suis moi, j’écarte du bras le néant et je passe. Voilà du moins ce que je pouvais me dire jadis. Mais à présent pourquoi ces houles d’angoisses, qui me submergent et ne font rien pour ma trempe ? Aujourd’hui[16].
Note : suite à l’article 143 sur ce site. |
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