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Articles sur Montherlant (hors presse)

166. “La luce lavora sull’ombra”. Montherlant, la tauromachia e Don Chisciotte, par Stenio Solinas, journaliste italien


Le texte repris ci-dessous est une traduction de l’article original en italien disponible sur Pangea News

On comprend peu Montherlant si l'on ne garde à l'esprit son amour pour l'Espagne, cultivé depuis son enfance et jamais abandonné. L’une de ses tragédies « espagnoles » les plus célèbres, La Reine morte, date de 1942, alors que l'auteur a donc plus de quarante ans, une autre, Le Maître de Santiago, viendra cinq ans plus tard, une troisième, Don Juan, verra le jour vingt ans plus tard, ainsi qu'une quatrième et dernière, Le Cardinal d'Espagne.

Tous se réfèrent consciemment à cette idée de Ramón María Valle-Inclàn (1866-1936) qui concevait l'action théâtrale de la même manière que les tercios dont se compose une corrida, et c'est précisément une corrida, vue encore adolescent à Bayonne, l'élément déclencheur de cet amour pour l’Espagne. Les Bestiaires (1926), son grand roman sur la tauromachie, naît alors dans son imaginaire et trouvera son accomplissement lorsque l'auteur vient d'avoir trente ans et s'apprête à quitter la France pour vivre ailleurs. Où ira-t-il? Souvent et volontiers en Espagne. Et c'est encore et enfin l'Espagne, et la tauromachie, pour revenir dans ce qui est le roman extrême de Montherlant, Le Chaos et la nuit, une réflexion amère sur la misère de vivre.

Pour ceux qui souhaitent en savoir plus, nous recommandons la lecture de Montherlant et l'Espagne, en effet, de Manuel Sito Alba (Librairie C. Klincksieck, 1978) qui en plus d'être centré sur les sources espagnoles de La Reine morte, contient aussi ces savantes précisions qui ravissent les chercheurs : par exemple, le nombre de fois où Montherlant mentionne Cervantes, Calderòn, Quevedo, Gongora, Unamuno...

N’étant pas un érudit, nous laisserons volontiers de côté cette recherche minutieuse de préférences littéraires voire géographiques (Tolède non, et pourtant l'Andalousie oui...) et nous ne ferons pas de tort au lecteur en tentant de paraphraser la belle introduction de Montherlant au chef-d'œuvre de Cervantès présenté ici. Plus simplement, nous articulerons quelques réflexions autour de la passion taurine de cet écrivain français, qui fait alors corps avec sa passion, nous l'appelons espagnole.

Je crois ne pas me tromper en disant que ce qui fascinait Montherlant dans la corrida était essentiellement la peur. Il y avait bien sûr toutes les autres motivations esthético-rituelles, c'est un euphémisme, la cérémonie et la récitation, le prêtre et la victime sacrificielle, le chœur et les couleurs, l'art en mouvement, etc., mais elles étaient secondaires à ce sentiment dominant. J'ai écrit la peur et non le courage et je ne l'ai pas écrit par hasard. Il est difficile pour les braves de céder à la peur, il est possible pour les craintifs de trouver du courage en eux-mêmes. Il y a plus d'alternance dans la seconde conception que dans la première et l'alternance est une des clés de l'éthique de Montherlant, ainsi que de son art : "Il n'y aurait pas d'ombres s'il n'y avait pas de lumière et la lumière travaille sur l'ombre".

 
 

Henry de Montherlant

Ensuite, il y a un deuxième élément de la corrida que Montherlant fait sien et qui en français a un mot plus ou moins intraduisible dans notre langue, à savoir  hauteur. En lui plus de choses se mêlent, style haut de gamme et allure noble, mépris et mépris de ce qui est bas, détachement et ethos de la distance, solitude et défense de soi... L'unicité, bref, au final il n'y a que vous dans l'arène, ainsi que dans la vie.

L’un et l’autre permettent de comprendre comment et jusqu'où l'Espagne chevaleresque et à la fois déchue, pauvre, mais honnête dans le passé comme riche, poussiéreuse, laboratoire antimoderne mais tragique de la modernité du XXe siècle, a agi sur son âme. Pour le trentenaire Montherlant qui l'a choisie en tournant le dos à une patrie où avoir goûté à la gloire l'avait dégoûté de la gloire elle-même, l'Espagne c'était la liberté d'être soi sans qu'on sache qui on était, le plaisir d'une vie plus naturelle, la possibilité de faire revivre le passé, de le remettre au diapason du présent.

Aujourd’hui Montherlant est un écrivain dépassé, presque incompréhensible, dans le sens où il semble venir d'un autre monde où se pratiquent des valeurs considérées comme anachroniques dans notre contemporanéité. Il eut la chance de se suicider, là où le héros de Cervantès mourut de tristesse précisément pour avoir perdu "l'idée excitante qu'il avait de lui-même". Montherlant n'a jamais renoncé à l'idée de lui-même, même s'il était parfaitement conscient que "dix ans après ma mort, j'aurai été oublié de tous". Mais il avait vécu et écrit et cela, dans le jeu de l'alternance, aedificabo ad destruam, justifiait le jeu.

Stenio Solinas, Roma, nato il 19 dicembre 1951, è un giornalista saggista italiano

Note

Les jeunes esprits qui entrent en contact avec les œuvres dites classiques doivent être mis en garde contre deux attitudes : le dénigrement systématique et surtout le respect systématique. Le dénigrement systématique passe pour typique des jeunes ; le respect systématique l'est d'autant plus.

   Ces deux attitudes sont d'autant plus attirantes à une époque où la pensée systématique - ça fait rire de juxtaposer ces deux mots qui s'excluent mutuellement - est presque la seule à être tenue à l'honneur, alors que la pensée objective est un signe de mépris et de considération. scandaleux.

   Si l'on appliquait cette approche à toutes les œuvres littéraires, sans se limiter à celles définies comme classiques, il faudrait ajouter : silence systématique. Silence dans lequel d'innombrables œuvres du passé et du présent ont sombré à jamais, ni meilleures ni pires que celles qui, après des siècles, sans faute, peuvent être reçues avec une sorte de respect obtus.