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Articles sur Montherlant (hors presse)164. Extraits du livre de Christian Dedet, paru en novembre 2021, « Nous étions trop heureux », Journal 1967-1970, Editions de Paris, rue des Saints-Pères, 75007 Paris.NoteNous présentons quelques extraits consacrés à Montherlant par Christian Dedet qui publie ce mois de novembre 2021 le troisième tome de son Journal. Nous en conseillons vivement l’achat et la lecture. (Henri de Meeûs) ⁂
Chapitre 2 : 21-23 janvier 1967, pages 48-49 Limbes « Je trouve dans mes courriers en absence plusieurs Arts au format désormais “tabloïd” ! L’un d’eux, en octobre, comportait une violente offensive anti-Montherlant à l’occasion de la reprise de La Reine Morte au Français. Rien d’inattendu de la part d’une demi-douzaine d’énergumènes, jeunes ou moins jeunes, si Sandier n’en avait rajouté, dans sa critique, sur un « demi-siècle d’imposture » et « ce théâtre d’avant le déluge » ! Pis : cette saloperie de Peyrefitte y allait d’une Lettre ouverte à Henry de Montherlant dont la perfidie laisse pantois. « Très cher, Souffrez que je vous appelle publiquement ainsi, comme dans notre correspondance amicale, et notez que je n’ajoute pas : « de l’Académie française », dans le titre de cette lettre ouverte, puisque, ce titre-là, je ne vous l’ai jamais donné. Vous êtes, après Cocteau, mon plus illustre ami littéraire, qui se soit donné le ridicule de faire partie d’une Compagnie qu’il méprise et dont il n’avait pas besoin pour sa gloire. » L’entame laisse entendre bien d’autres compliments pour préparer l’exécution : « Nul n’admire plus que moi l’homme et l’écrivain que vous êtes(…) J’ai aimé en vous , non pas seulement un maître du langage, mais un maître dans l’art de vivre et de travailler (je me souviens d’un petit article de vous, publié pendant la guerre : “Le travail bien fait… “) On parle toujours de votre orgueil et de votre égoïsme, mais je connais votre dévouement et votre modestie.. » Judas ! Ce sont ces compliments (syncrétisme et alternances peyrefittesques !) qui préludent à la démolition de l’œuvre dramatique…. « Chapitre 4 : page 112 « Jean Vigneau devient plus débonnaire ; me fait part d’anecdotes, à bâtons rompus, sur son vieil ami Montherlant. Susceptibilité. Syndrome de persécution. Pingrerie. Comment son pittoresque valet de chambre du quai Voltaire troque sa livrée râpée, le soir, et complète ses émoluments en allant faire de la figuration à la Comédie française. Il y brandit la hallebarde et crie : « Mourons pour notre roi ! » Chapitre 6 : page 150,151,152 7 avril 1968, à propos de Montherlant « Fini de lire avec un plaisir qui ne se dément jamais les 500 pages de La Rose de sable. Quelle aisance ! Quelles ressources jaillissantes et variées dans l’art de raconter ! Que de vrai, de beautés, d’humour, de connivences avec l’indigène aussi bien dans ses candeurs que dans ses fatalités. Et quels dons d’empathie humaine que l’on chercherait en vain chez bien des ”humanistes” qui se disent de gauche. Seulement voilà, M. de Montherlant publie ce livre après un long délai ; il a gardé pour lui son anticolonialisme tant qu’a duré la guerre d’Algérie ; cela pour raisons patriotiques - dit-il, et n’avoir voulu desservir son pays pendant le drame qu’il traversait. Choix légitime ou, selon ses détracteurs perpétuels, justifications de vieux réac ? Si j’ai réussi à désamorcer la querelle à Combat, par chronique d’ordre plus général, en prenant les devants, le mois dernier (Montherlant et l’appel du Sud), je me demande si, à Esprit, aura quelque chance de passer l’étude autrement fouillée et circonstanciée que je m’apprête à soumettre à Jean-Marie Domenach. Bien qu’acrimonieux par principe envers Montherlant, je pense que Camille serait, quant à lui, assez esthète et impartial pour la publier. » « Malheureux Montherlant qui, ces derniers jours, aurait fait, dit-on, une chute dans l’escalier de son immeuble, quai Voltaire et, donnant de la tête dans la rambarde et ses reliefs, se serait crevé un œil, risquerait même de perdre complètement la vue ! Effroyable vieillesse ! De lui, Jouhandeau qui est un peu plus âgé mais se tient droit comme un “i”, me disait il y a peu : « Une décrépitude ! » Compassion pour le confrère - et discrète satisfaction pour soi, non sans une ombre d’ inquiétude. Chapitre 7 : 13 mai 1968, pages 158, 165, 175, 184 … « Ainsi d’une lettre d’Henry de Montherlant (dictée à sa secrétaire), en réponse au message de sympathie que je lui adressai lors de sa chute. Il me confirme la gravité de l’accident et apporte une précision touchante de dignité, par-delà le désarroi d’un homme de cet âge : « L’oeil est perdu, mais je ne suis pas défiguré». Aurait-il été opéré à Genève, comme j’ai cru l’apprendre et donc de retour à Paris ? Par- delà le bien et le mal, la stupeur ou la résignation, la vie continue. En l’absence de clients, pour fuir tant de diatribes et d’angoisses, je termine la mise au point de l’étude sur La Rose de sable. En réalité, une épopée de l’échec, ce livre, tant il y est montré que le caractère d’Auligny (officier doué d’états d’âme) comportait à la fois faiblesse et générosité, sensibilité et insuffisance. Il était donc inscrit sur les tablettes des dieux que faisant “peu”, il serait plus critiquable que ceux dont la règle est de ne faire “rien”. Il sera le contraire d’un chef qui parle à l’imagination des indigènes. Voulant être juste, il ne réussira qu’à être faible. Quant à Ram, la petite bédouine, elle aussi le lâchera, et avant qu’il ait compris qu’il l’avait lui-même rejetée. On croirait percevoir ici l’écho du fameux « tout ce qui est atteint est détruit ». Épopée de l’échec, oui, dans une solitude si prévisible ! Mais là est la vie, dans toute sa cruauté. Alors, complice par cette lucidité de ton si juste d’un ancien monde oppressif ? Anticolonialiste avant l’heure de par ces mêmes intuitions ? Les deux, à coup sûr, sans qu’il soit possible d’en être autrement. S’il est une sincérité de Montherlant, je pense qu’elle se résume mieux encore dans la préface de ce livre aujourd’hui rédigée sous le signe de la roue solaire : « Dans X années, peut-être une vaste croisade sera entreprise par les nations d’Europe pour reconquérir les anciennes colonies, au nom de l’idéalisme. Les choses seront faites extrêmement bien : intox à l’échelle internationale, hymnes, bannières, adhésion des grandes puissances tant occultes que spirituelles.(…) Des enthousiasmes, de l’héroïsme, une peine infinie, une douleur infinie, de la mort seront répandus à gogo et de bon coeur, comme sait le faire l’humanité quand elle s’y met. Ceux qui ne seront pas d’accord seront fusillés. Ensuite réhabilités. Ensuite des cérémonies commémoratives, des reconstitutions gonflées de mensonges, des allocutions, des allocations, enfin tout. A mois que les anciens peuples colonisés ne prennent l’initiative en sens contraire. » Singulière coïncidence ! Ce livre est assez roboratif, lu à l’heure où le monde redevient tragique « parce que les gens montent de toutes pièces des tragédies superflues, c’est à dire parce qu’ils ne sont pas sérieux. » Courant juillet 1968 L’étude sur La Rose de sable vient de paraître dans Esprit de ce mois, passée sans la moindre réticence par l’honnête Jean-Marie Domenach. Pour la revue, Camille [Bourniquel] m’adresse diverses propositions avant son départ pour Buffalo où il se rend comme les autres étés à titre de visiting professor. Un arrangement pratiqué par plus d’un de nos intellectuels de progrès ; très gratifiant en dollars à condition de se couler en douceur dans le qu’en dira-t-on de ces campus américains et de savoir y flairer les chausse-trapes. Un mot de Camille, un jour m’est resté gravé dans la tête. Selon lui, le grand écrivain est celui qu’on peut ouvrir à n’importe quelle page sans que l’on y relève une seule faiblesse. Sûrement vrai pour Stendhal, pour Bernanos ; l’est-ce pour Claudel ou pour Céline dont certains passages ne peuvent être lus qu’au couteau, dans l’attente que la merveille ou la simple adhésion reprennent ?
9 septembre 1968 Lettre d’Henry de Montherlant, où passe comme un ravissement : « Mon agence de coupures de presse ne m’envoie que ces jours-ci votre article daté de juin-juillet dans Esprit. Il est très sensible et très probe, dans le meilleur sens de ce dernier mot un peu galvaudé et qu’on a rarement à employer de nos jours. « Vous résumez avec beaucoup de justesse ma vie de vingt-sept à trente-deux ans, et vous parlez des scènes d’amour de ce roman avec une épithète que les Français n’emploient plus guère à mon endroit. De même pour la dernière épithète [superbe] de votre étude. « Je pensais, je vous l’avoue, qu’Esprit ne publierait pas votre article mais je vois que vous y êtes un puissant personnage. […] » Je me demande s’il ne suffirait pas, bien souvent, de demander (au pis, de plaider) pour avoir carte blanche ; l’ostracisme dont Montherlant se plaint si fort tenant moins, me semble-t-il, à des ordres occultes qu’à une manière d’être (son être “moral”) dans une époque à éthiques futiles ou paradoxales. Chapitre 12 : p 316, 317, 323 3 avril 69 La une des Nouvelles littéraires partagée avec Henry de Montherlant ! (lui, son très beau texte Trois Antiques). Est-ce un rêve ? Aurais-je pu espérer pareille chose à 18 ans quand je sollicitais le maître pour Montpellier-Étudiant et qu’il m’adressait par retour la scène de Cisneros et de Jeanne la Folle, tirée du Cardinal d’Espagne, pièce encore inédite ! L’avantage de naître en province fait qu’au contraire des jeunes gens nés sur place, qui ont tout vu, on découvre Paris et ses grands hommes avec l’émerveillement d’une ascension de l’Everest[1]. Sentein m’a raconté comment, la première fois que Montherlant l’avait reçu, sous l’Occupation, ce génie de la littérature française souffrait d’une rage de dents. Il ne se serait jamais imaginé à Montpellier (et moins encore à Bédarieux !) en train d’accompagner un jour l’auteur de La Reine morte sur le boulevard Saint-Germain, jusqu’à une pharmacie où ils avaient poireauté pour acheter de la métaspirine ! ⁂ Notice sur Christian DedetNé à Cournonterral en 1936, Christian Dedet est issu, par son père, d’une lignée de hobereaux languedociens viticulteurs, qui remonte au XVIIe siècle, et, par sa mère, d’une lignée de commerçants remontant au Second Empire. Il passe avec ses deux frères son enfance au château de cette commune au sud-ouest de Montpellier. À la fin de la Seconde Guerre mondiale, son père ayant créé dans le Gard un cabinet d’expertise comptable, il poursuit ses études secondaires à Alès, assorties de plusieurs séjours linguistiques à l’Istituto ecclesiastico Maria immacolata de Rome. À l’été 1955, avec quelques camarades, il parcourt sac au dos la Grèce continentale, le Liban, la Syrie et l’Égypte : voyage initiatique à la suite de quoi il commence ses études universitaires à la Faculté de médecine de Montpellier. Au cours de ces études, Christian Dedet publie ses premiers écrits littéraires, sous le regard amical de l’écrivain Joseph Delteil, et anime la revue Les Cahiers de la Licorne, créée par le Néerlandais Henk Breuker, fixé dans le Midi. Il séjourne par ailleurs à plusieurs reprises en Espagne et s’initie à la tauromachie. Appelé sous les drapeaux en 1963 comme médecin-aspirant, Christian Dedet voit son service réduit à dix-huit mois par la fin de la guerre d’Algérie. Une fois libéré, pour répondre à sa double vocation de médecin et d’écrivain, il choisit d’exercer la médecine thermale à Châtel-Guyon, ville d’eaux auvergnate réputée, ce qui lui permet de se consacrer à l’écriture, à Paris, pendant les sept mois où il n’exerce pas. Cet arrangement parfois acrobatique, toujours heureux, se poursuit pendant plus de trois décennies qu’il partage auprès de Paule Garrigue, peintre-illustrateur des arts du spectacle, qu’il a épousée en octobre 1967. Elle lui donnera une fille, Joséphine, qui est aussi journaliste et écrivain. Christian Dedet a 20 ans quand, remarqué par les Éditions du Seuil, il publie son premier roman : Le Plus Grand des taureaux, qui retient l’attention du jury Goncourt. Nouveaux récits d’inspiration hispanique, en 1965, avec La Fuite en Espagne. La tauromachie, passion de jeunesse, fera souvent situer l’auteur à ses débuts sous le signe de Montherlant ; le roman Le Métier d’amant, quant à lui, tenant moins du mythe de Don Juan que de L’Homme couvert de femmes, de Pierre Drieu La Rochelle. Toujours au Seuil paraît en 1967 le roman L’Exil, marqué par le récent drame algérien ; puis, à La Table Ronde, le roman La Casse, une traversée ironique et désinvolte des événements de Mai 68 ; enfin, autre roman, chez Julliard, en 1973 : Le Soleil pour la soif, qui se situe dans le cadre de la coopération et des premières années de l’Algérie indépendante. De ses débuts littéraires en 1961 aux années 1980, Christian Dedet publie, parallèlement à ses propres romans, près de 300 articles : chroniques, pages ou critique littéraire dans les principaux organes de presse. Notamment les hebdomadaires Arts, Le Figaro littéraire, Les Nouvelles littéraires et des textes ou études dans des revues comme La Table ronde, la NRF, La Revue de Paris, La Revue des Deux Mondes, L’Herne. Dans la seule revue du personnalisme chrétien Esprit, dont il sera membre du comité littéraire, 150 études ou notes de lecture, de 1965 à 1982. Il collabore également sur des sujets d’actualité aux quotidiens Le Figaro (les livres du monde arabo-islamique), Le Monde (envoyé spécial en Afrique) et, surtout, à Combat, d’Henry Smadja (nombreux articles d’humeur en une), puis au Quotidien de Paris de Philippe Tesson. À partir des années 1980, au journalisme littéraire se substitue pour Christian Dedet le goût de l’Afrique et de l’aventure. Il en résulte un récit « vrai » : La Mémoire du fleuve. Cette histoire d’une famille de myénés orungo du Gabon, des débuts de la colonisation aux indépendances et, à travers elle, la fabuleuse destinée du métis Michonet, témoin de toutes les ambiguïtés de l’Afrique, est un des grands succès de presse et de librairie des années 1984-1985 (prix des Libraires, « Apostrophes »). Paraîtront ensuite dans la même veine narrative et anthropologique inspirée du continent noir : Ce violent désir d’Afrique et Au royaume d’Abomey. Combinant épisodes oubliés et aventures humaines exceptionnelles, Christian Dedet publie en 1986 un nouveau best-seller avec Le Secret du Dr. Bougrat, ce médecin marseillais condamné à tort pour homicide, évadé du bagne de Cayenne et devenu docteur des pauvres au Venezuela. C’est en quête de ce personnage que l’auteur entreprend en 1986 un voyage en Guyane, au Surinam et au Venezuela que retrace le récit Carnets de Guyane, En descendant le Maroni (Transboréal, 2019). Vient ensuite, en 1991, une biographie romancée d’Émile Bertin, ingénieur du Génie maritime français, créateur de la marine japonaise à l’époque Meiji : Les Fleurs d’acier du mikado. À partir de 2005, Christian Dedet revient à la littérature pure et se tourne vers ses souvenirs. Plusieurs jeunes revues lui demandent alors d’évoquer les grands écrivains qu’il a connus : Céline, auquel il rendit visite à Meudon trois jours avant sa mort, Montherlant, Delteil, Jouhandeau, Cailleux, Vialatte, le groupe des « hussards », etc. Commence la publication de son journal, chez son ami de jeunesse Max Chaleil (Les Éditions de Paris), à ce jour trois volumes, qui couvrent la Ve République du général de Gaulle : Sacrée jeunesse, Journal 1958-1962, L’Abondance et le Rêve, Journal, 1963-1966 et Nous étions trop heureux, Journal 1967-1970, à paraître. Par ailleurs, ses trente-trois saisons de médecin à Châtel-Guyon lui ont inspiré Histoire d’eaux, document sur les aspects pittoresques et socioculturels du monde thermal. Christian Dedet a présidé la Guilde européenne du raid de 1990 à 1992 et, depuis 2012, est membre de la Société des explorateurs français. Source : Transboréal |
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