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Articles sur Montherlant (hors presse)149. Montherlant (1895-1972) : un sportif olympique, par Henri de MeeûsN.B. : Ce texte a été publié dans le n° 3 (printemps 2020) de la Revue Générale, aux Presses Universitaires de Louvain S’il montait à cheval avec son père, et s’il toréait à 16 ans de jeunes taureaux en Espagne, Montherlant en 1918, après deux années sous les armes, et blessé (Croix de Guerre), cherche à s’ouvrir vers le monde extérieur, et décide de s’inscrire à un club sportif où il va tâter, à son rythme, durant un an, de toutes les “spécialités” sportives sous la direction de Georges Carpentier, son moniteur. Montherlant, un sportif avec une hypertrophie cardiaque ? Et après avoir été blessé de sept éclats d’obus en juin 1918 ? Oui ! Il a pris sciemment des risques pour retrouver une camaraderie, un esprit comme celui connu au collège, une jeunesse avec qui se sentir de plain-pied. Son médecin, le docteur de Martel[1] l’autorise à jouer au football et à courir le cent mètres, course où Montherlant pouvait bloquer sa respiration. “Le cent mètres est une course pour idiots, c’est pourquoi j’y réussissais. Au “Préparez-vous”, on se gonfle d’air la cage thoracique, et on la bloque ; au “Partez”, on pousse comme un sourd : c’est tout (…) Je courus le 100 mètres en onze secondes 4/5, temps honorable, réalisé sur la piste de l’hippodrome de La Courneuve, (…) mais mon temps ne fut pas homologué par un chronométreur officiel (Mais aimons-nous ce que nous aimons ?, Paris, Gallimard, 1973, p.113-114). Le record fut signalé dans L’Auto, ce qui remplit Montherlant de fierté ! En 1923 meurt sa grand-mère maternelle la Comtesse de Riancey, née Marguerite Potier de Courcy, avec qui il vivait seul depuis la mort de ses parents, son père Joseph de Montherlant à 49 ans en 1914 et sa mère Marguerite de Riancey à 43 ans en 1915. En 1924 : Publication des Olympiques. Ce sont trois livres : Histoire de la petite 19. Voici le détail de ces publications de 1924 : Histoire de la petite 19, Paris, Bernard Grasset, 1924, avec un portrait de l’auteur par Gaspérini [éd. séparée d’une nouvelle extraite des Onze devant la porte dorée, 1924, p. 89-124].
Le Paradis à l’ombre des épées. Première Olympique, coll. “Les Cahiers verts”, 31, Paris, Bernard Grasset, 1924 [achevé d’imprimer : décembre 1923], 191 p. [4 textes, dont “Tibre et Oronte” daté d’août 1923].
Les Onze devant la porte dorée. Deuxième Olympique, coll. “Les Cahiers verts”, 41, Paris, Bernard Grasset, 1924, 245 p. [3 textes et une suite de poèmes]. Il s’agit d’un ensemble de textes en prose, de poèmes et de dialogues mettant en scène des jeunes hommes ou des jeunes filles pratiquant les sports les plus variés : football, athlétisme, cross-country, boxe, course de relais, etc. Mais, c’est l’athlétisme qui passionne Montherlant, tant comme athlète que comme entraîneur. Il recherche dans le sport, la communauté, la camaraderie, “la plaine couverte d’un vaste tutoiement”. Montherlant n’invente rien. Ne supportant pas d’être enfermé dans un bureau d’assurances où son grand-oncle le baron de Courcy l’avait fait entrer comme petit employé, (1914-1915), il démissionne et occupe une partie de ses journées en compagnie des sportifs de 1914 à 1917, et de 1919 à 1923. Il vit réellement l’expérience du sport dans diverses disciplines. Il a pratiqué, il sait de quoi il parle, il n’invente rien. Il a couru sur des pistes, joué au foot, boxé, il est aussi un coach pour entraîner et donner des conseils aux jeunes sportifs, garçons et filles, qu’il enseigne, encourage, réprimande s’ils se relâchent ; il aime la discipline, l’exactitude, il a horreur du laisser-aller et peut se montrer exigeant et tyrannique. Mais la guerre prit le pas sur le sport. En 1917, Montherlant sert dans l’Infanterie et monte sur le Front. Le 6 juin 1918, son unité subit un tir d’artillerie. Son sous-officier est tué devant lui. Montherlant, simple soldat, compte parmi les blessés. Il a sept éclats d’obus dans le dos, l’épaule et les reins. Une opération ne permettra de retirer qu’un des sept éclats. Il souffrira toute sa vie de cette blessure qui, à l’époque, fut considérée comme superficielle. En octobre 2018, il suit un stage pour être interprète de l’armée américaine et est détaché ensuite, auprès des Américains au moment de l’Armistice. Il sera démobilisé en 1919, recevra la Croix de Guerre, et sera choisi par le Maréchal Pétain comme premier Secrétaire Général de l’Ossuaire de Douaumont. * Montherlant est un écrivain très en avance sur son temps avec ses textes sur le sport. Le critique Ernst-Robert Curtius[2] dira “qu’avec les Olympiques, Montherlant avait ouvert grandes les fenêtres de la chambre où venait de mourir Proust”. Certains poèmes ont des cadences à la Claudel. Les textes décrivent des jeunes gens confrontés à leurs limites physiques, cherchant à se dépasser, à souffrir, à vivre intensément. L’écrivain est attentif à ceux qui échouent. Il est plein d’affection pour les athlètes féminines qu’il décrit avec minutie et émotion. Il va résumer les sentiments qui le guident dans ce livre : sympathie, camaraderie, gentillesse. Pour Montherlant, dans le sport, l’essentiel n’est pas battre des records, mais : “(…) ce sont les heures de poésie que le sport nous fit vivre, dans la grâce - la beauté parfois - des visages et des corps de jeunesse, dans la nature et dans la sympathie (…) La poésie, là est peut-être le résidu du sport.” (Préface de 1938 aux Olympiques). “L’année 1924, où je publiai Les Olympiques, m’apporta la notoriété et m’en retira le goût. J’eus l’idée de ce que c’était : cela me suffit. Ce fut la seule année où je sentis autour de mes ouvrages une sympathie sans mélange, sentiment que peut-être je ne suis pas fait pour soutenir. Je vis le chemin de velours, et bronchai.” (Avant-propos de Service inutile écrit en 1935). Prenons pour illustrer ces œuvres sur le sport un exemple, celui de la boxe : Montherlant est fasciné par la boxe. Un de ses plus beaux poèmes publiés dans Les Olympiques est consacré à la boxe. Voici quelques extraits du Critérium des novices amateurs : “(…) Eh là ! le voilà dans les cordes, et le sang sur le corps frais lavé, Les Olympiques (1924) de Montherlant, qui auront bientôt un siècle, n’ont pas vieilli. La beauté du texte magnifie les corps souvent considérés au XIXe et au XXe siècle par les moralistes chrétiens comme des occasions de chute. L’idée du péché est étrangère à Montherlant. Le sport l’introduit dans un monde paradisiaque où l’honnêteté doit régner. Pour Montherlant, le corps est innocent, radieux, c’est le travail de la volonté, le courage et la discipline qui vont le transfigurer vers l’exploit. Mais la victoire n’est pas essentielle. Ce qui compte, c’est l’état d’esprit poétique présent dans le spectacle des athlètes qui se donnent entièrement dans l’effort, sans tricher, sans la corruption de l’argent. Dans Les Olympiques, on est très loin des dérapages, scandales et autres dopages qui depuis cinquante ans alimentent la presse sportive, sans oublier les salaires exorbitants des joueurs de football, qui sont de véritables fautes contre l’Esprit. Montherlant n’a pas connu le sport gangrené par l’argent et la politique, (par exemple le cas actuel de la Russie exclue des compétitions internationales pour les quatre prochaines années). Citons encore deux autres poèmes des Olympiques : Soleil de nuit Jeune fille Ah ! la bonne petite fille ! Elle est sage comme une image ! (Les Olympiques, Romans I, Pléiade, p. 327) * Les coureurs de relais Tous quatre lancés comme une seule arme, comme une seule bête, comme une seule barque, Quatre et nous sommes un seul. La parfaite solidarité. Allons, prenons nos postes. Au revoir, petit vieux ! au revoir, petit vieux ! Je les vois, isolés, perdus, sur trois points cardinaux du terrain. (Les Olympiques, Romans I, Pléiade, p. 331) * Une soixantaine de feuillets manuscrits inédits de Montherlant, retrouvés en juin 2019, permettent de faire connaître d’autres écrits sportifs de Montherlant. Lire à ce sujet sur le site www.montherlant.be, les articles 139 et 143 : Ouvrir les liens suivants : http://www.montherlant.be/article-139-demeeus.html http://www.montherlant.be/article-143-demeeus.html Voici quatre de ces textes inédits parmi de nombreux autres : Poème sans nom Les gens qui s’amusent s’amusent ; ce ne sont pas des gens qui font ceux qui. * L’Alerte J’ai couru, lancé le poids et hier, j’ai couru quarante mètres peut-être derrière un autobus, et soudain j’ai senti le mal. Et j’ai eu une sorte d’angoisse. * Le Chant de l’équipe sixième Chez nous tout est nature. Pas de trucage. Pas de gens corrigés. Ceux qui ne valent rien laissent tomber d’eux-mêmes le jeu. Quand un homme a des aptitudes pour être arrière on le met arrière * La leçon de football dans un parc X ne t’obéit pas. Sacque-le. Etre dévoué, c’est-à-dire me soutenir toujours, sans que j’aie besoin de te donner les raisons de mes actes, me soutenir même si tu ne les comprends pas, même si tu les réprouves, en te disant que j’ai mes raisons que je ne dis pas et que, même quand je le parais, je ne m’éloigne jamais de ce que je t’ai promis. Et cependant cela serait nécessaire ! Un homme qui est vraiment tout seul, je n’en réponds pas. Mais un homme qui a une âme damnée, une seule, fût-elle pas de très grand secours et pas très importante, comme toi, celui-là j’en réponds. J’ai toujours été assez généralement détesté, toujours isolé, mais j’ai toujours eu une ou deux âmes damnées. Il y avait au collège un enfant de douze ans qui se serait laissé accuser faussement, qui se serait laissé renvoyer du collège pour moi. Il y a eu à la guerre un garçon à qui j’aurais dit : « Passe devant. C’est toi qui recevras la balle », qui serait passé en me remerciant. Il y a maintenant quelqu’un dans Paris qui tuerait si je le lui demandais, sans que je lui donne une raison. Et ce quelqu’un ne le ferait ni par affection, ni par intérêt, ni par peur. Il le ferait simplement parce qu’il ne peut pas se dérober à moi. Bon, sans aller jusqu’à ce dévouement, dans l’équipe en qui pourrais-je avoir une certaine confiance ? * Dans le n°155 de La Table Ronde daté de novembre 1960, entièrement consacré à Montherlant, on peut lire les textes de 28 critiques. Celui de Maurice Bruézière, agrégé de lettres, qui fut directeur de l'Ecole Pratique de l'Alliance française, est à retenir. Voici sa conclusion : « Si Les Olympiques sont, de tous ses livres, celui que Montherlant préfère, c’est parce qu’elles ont exprimé, dans son tréfonds, la nature même de l’écrivain. Il fait d’ailleurs une comparaison qui va loin : « Moi aussi j’ai une longue course à fournir et moi aussi je la mène comme je veux : cette course est ma vie. » S’il a donné au sport, qui est un des phénomènes sociaux les plus originaux de notre époque, la seule grande œuvre littéraire que celui-ci ait inspirée, c’est que le sport, de son côté, lui a beaucoup donné. Les Olympiques sont le fruit d’un échange entre un écrivain d’exception et une activité qui, pour un trop grand nombre d’hommes, n’est qu’exceptionnelle, elle aussi. Dans l’iconographie du XXe siècle, on peut imaginer que la Fortune saluant le Génie laissera place à une allégorie plus simple : une poignée de mains, comme sur le podium s’en donnent les vainqueurs olympiques, entre le Sport et Montherlant … »[3]. Notes[1] Le Docteur de Martel : Fils du comte Roger de Martel de Janville et de son épouse, née Sibylle de Mirabeau, romancière connue sous le nom de Gyp, Thierry de Martel est élevé dans un milieu nationaliste, patriote et antidreyfusard. Sportif de haut niveau, il joue au rugby et devient avec son frère, A. Martel de Janville, champion de France en 1896 avec l'Olympique. 1898 - 1903 : externe des hôpitaux de Paris. 1903 - 1905 : interne des hôpitaux de Paris. Il s'oriente vers la neurologie. Élève d’Achille Souques. 1907 - 1911 : chef de clinique à la Salpêtrière. 1911 : Chirurgien à l'institut neurochirurgical et à l'hôpital de la glacière. Pendant la Première Guerre mondiale, il sert comme médecin militaire ; il est blessé et cité à plusieurs reprises. Il perd son fils, sans doute par suicide, celui-ci ayant été traumatisé par les combats. Le professeur de Martel développe la neurochirurgie en France avec son collègue Clovis Vincent (1879-1947). Le 14 juin 1940, les troupes allemandes entrent dans Paris. Désespéré, Martel se suicide le jour même en absorbant de la strychnine. Grand officier de la Légion d'honneur le 6 janvier 1939 ; Croix de guerre 1914-1918 ; Military Cross (1917). Il fut un ami très admiré par Montherlant. [2] Ernst Robert Curtius, né le 14 avril 1886 à Thann et mort le 19 avril 1956 à Rome, est un philologue allemand, spécialiste des littératures romanes. [3]Montherlant et le sport, de Maurice Bruézière, p.55 à 67, du n° 155 de La Table Ronde, novembre 1960, entièrement consacré à Henry de Montherlant, 238 p. |
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