AccueilBiographieOeuvresBibliographieArticlesAudio & Video | ||||||||||
Articles sur Montherlant (hors presse)91. Montherlant analysé par Marcel Arland (1899-1986) dans La Grâce d’écrire (Gallimard 1955) : un chapitre intitulé Race du Soleil est consacré uniquement à Henry de Montherlant (pages 79 à 88)
Marcel Arland, né en 1899 à Varennes-sur-Amance (Haute-Marne) et décédé en 1986 à Saint-Sauveur-sur-École (Seine-et-Marne), est un romancier, essayiste, critique littéraire et scénariste français. Il fut un personnage influent (co-directeur avec Jean Paulhan) de La Nouvelle Revue française (NRF). Il sera élu membre de l’Académie française en 1969.) Extraits de RACE DU SOLEIL de Marcel Arland “Dans son œuvre comme dans sa vie publique, on ne peut trouver trace de fiel, de méchanceté ni de jalousie.” Sur PasiphaéMarcel Arland commence son article Race du soleil par une critique acidulée de la pièce Pasiphaé de Montherlant représentée à la Comédie française. “On peut accuser à bon droit le jeu des interprètes : ils psalmodient et déclament, ils donnent au texte de Montherlant la signature d’Annunzio.” Il reconnaît cependant que Pasiphaé, comme l’écrit Montherlant, n’est qu’un épisode extrait d’une vaste pièce : Les Crétois, dont Montherlant jadis caressa le projet. Livré seul et porté au théâtre, l’épisode n’est à nos yeux, écrit Arland, qu’un poème. Puis Arland se tourne vers le livre : “Quittons la scène pour le livre : Pasiphaé prend son plein sens et sa valeur. Ce texte qui pouvait nous sembler pompeux et froid, qui en tout cas restait inefficace, montre enfin son éclat et sa vigueur. Un peu apprêté çà et là, mais dru et amplement articulé. Nous ne nous soucions plus de vraisemblance, d’action ni d’autres qualités scéniques. Voici, précédé des commentaires de l’auteur (tantôt insolents, tantôt sagaces), remis à sa place exacte dans l’œuvre entière de l’écrivain, voici un des plus beaux textes de Montherlant, essai de moraliste, éclat de tempérament, haut jeu d’art.”
Sur Textes écrits sous une OccupationHomme d’humeurs, Montherlant se donne tout entier à chacune de ses humeurs. Et chaque fois qu’il se donne, c’est bien entendu, pour toujours. Telle est sa sincérité, faite de sincérités contradictoires. Ce serait peu ; de chacune, il entend qu’elle nous convainque. Mais nous, qui sommes crédules et d’esprit un peu simplet, qu’allons-nous faire ? Une éclatante affirmation nous frappe, nous convainc ; l’instant d’après, ou l’an d’après, c’en est une autre, qui n’a pas moins de vigueur ou d’aplomb. Comment nous y prêter du même cœur ? On se sent joué ; on boude ; on se fâche parfois : “Ah ! non, il ne nous y prendra plus.” Et Montherlant sait bien que, pour avoir voulu gagner sur tous les tableaux, il s’est attiré méfiance et rancune. Il le méritait certes ; mais, trop crédules d’abord, n’allons-nous pas devenir injustes ? Heurtés ou aveuglés par les parades, ne risquons-nous pas de négliger un homme ? C’est à travers ses contradictions qu’il faut le découvrir ; et non pas malgré elles, mais par leur rythme et leur loi. Elles sont de tous ordres. Prenez son dernier livre ; s’agit-il d’une attitude politique ? Il est évident que Montherlant se prêtait et se réservait tout ensemble. De l’esprit de ce livre ? Les purs conseils moraux, le sarcasme, la frivolité, les hymnes voluptueux s’y rejoignent. De sa composition ? On y passe d’une simple note, d’un croquis de guerre, d’un article de journal, d’un exercice, d’une boutade, à la haute plénitude d’un essai lyrique (Le Roi des Rois), à la précise vigueur d’un essai littéraire (Saint-Simon), à cet autre essai, sur un tableau, La Balance et le Ver, où la hauteur et la familiarité se confondent, l’examen lucide et le tour désinvolte, pour donner le meilleur Montherlant. Il est aujourd’hui l’un des plus virulents adversaires de l’esprit chrétien. Mais chrétien, c’est un titre qu’il a plus d’une fois revendiqué ; s’il le rejette, il en connaît la place dans ses bagages ; et peut-être n’a-t-on point perdu tout espoir de l’en décorer de nouveau quelque jour. A ce propos, Montherlant, était-il besoin d’ajouter à La Ville dont le Prince est un enfant, cette belle pièce, votre chef-d’œuvre peut-être, une douteuse comédie de références, de “couverture”, de précautions, de refus et d’appels ? Mon Dieu ! comme vous vous rendez la vie difficile ! Montherlant exalte la guerre ; mais on a fait un recueil de ses Pages de Tendresse. Il se vante d’un souverain détachement, et même d’un mépris universel ; toutefois il enseigne, blâme, exalte ; il va jusqu’à prêcher la charité. Il veut servir et il veut jouir. Il est l’homme de la chevalerie et l’homme de Cypris. Je sais bien que jusque dans la jouissance il entend être un héros, jusque dans la rigueur d’un voluptueux. Les deux courants n’en traversent pas moins son œuvre, qui parfois s’allient, plus souvent s’opposent, mais enfin se permettent l’un l’autre, assurant à cette œuvre une ample respiration. Et s’agit-il du ton ou de l’attitude ? S’agit-il de la figure publique ? “Moi, dit Montherlant, qui n’ai pas de vanité littéraire ; moi qui méprise le succès…” De vous à moi, Montherlant, croyez-vous qu’il se trouve beaucoup d’écrivains, j’entends de votre rang, qui fassent davantage pour le succès de leurs œuvres ? Je n’y vois aucun mal ; je souhaiterais simplement que vous n’en ayez nulle vergogne, que bien plutôt vous le proclamiez avec cette superbe où vous êtes sans égal. Je n’aime point, encore une fois, que vous descendiez au prétoire. Après cela, qu’il s’agisse non de vanité, mais d’une forme particulière de modestie, je le veux bien ; il n’est que de s’entendre sur les mots. J’irai plus loin. Si peu que je connaisse Montherlant, je suis persuadé qu’il existe en lui beaucoup plus de simplicité que son œuvre et son jeu ne prêtent à croire. Il parade, mais il le sait. Cette parade, il l’aime, mais il la juge. Il s’exalte, mais il se moque. (Et sans doute, se moquant, c’est encore un être unique qu’il nous propose.) Il se tend, il se gonfle ; mais soudain une pirouette, un ton de farce, un mot trivial : le ballon se ride ou éclate, (Et sans doute le mot trivial est encore mot de grand seigneur ; sans doute aussi, quand Montherlant tient à nous dire : “Voyez, je ne suis pas sérieux”, c’est au nom d’un autre, d’un vrai sérieux qu’il parle : celui qui convoque et dépasse la noblesse et la farce.) Que dire encore ? Qu’il ne parle que de lui, qu’il ne songe qu’à lui ? C’est là une de nos vérités nationales. Je remarque pourtant que, dans son œuvre comme dans sa vie publique, on ne peut trouver trace de fiel, de méchanceté ni de jalousie. Il irrite et exaspère, il a plus d’ennemis que personne. Je pense que, tout à la fois, il en souffre un peu, s’en accommode et s’en flatte. (…) … Montherlant est un orgueilleux prodige qui ne se découvre inégal à rien, qui a tout saisi et percé, qui n’emprunte un mètre, un mouvement, une image, que pour affirmer ses droits universels et la souple richesse de sa voix. Aussi bien se plaît-il à nous montrer, par une rupture, un son discordant, un clin d’œil au lecteur, qu’il joue encore, mais de tout instrument. Qu’est-ce à dire, enfin, sinon que Montherlant, telle est la maîtrise de son art, et tel le sentiment de sa maîtrise, se prête à l’écriture plutôt qu’il ne s’y confie, lui donne plutôt qu’il n’attend d’elle, et ne l’en tient pas toujours pour médiocrement honorée. Mais quoi ! c’est Montherlant ; c’est par là qu’il s’exprime et triomphe. Je ne connais pas aujourd’hui d’écrivains qui fassent de notre langue un maniement plus impérieux et plus sûr. Il a le sens naturel de cette langue. Il l’a trouvée au château de Montherlant, authentifiée au cimetière des aïeux, analysée sur les bancs de Sainte-Croix, promenée sur les routes de France, d’Espagne et d’Afrique, sauvée de l’invasion, abritée enfin quai Voltaire, à mi-chemin de l’Institut et de la N.R.F. Il a le sens du mouvement et de la coupe, celui de l’image, celui de l’aplomb. Aux grammairiens les scrupules ; aux béjaunes la patience et la crainte ; Montherlant a ses négligences, ses heures ricanantes ou faciles : mais c’est encore ainsi qu’il montre à l’égard de cette langue, sa familiarité native, sa tendresse et jusqu’à son respect. (…) Avide, désabusé, avide encore, avide jusque dans le ricanement et la sagesse ; orgueilleux avec parade, avec défi, avec cynisme, mais trouvant là peut-être la seule pudeur qui lui convienne ; toujours épris de grandeur, quelques défaillances qu’il y montre, quelque ostentation qu’il y apporte : Montherlant n’est point de ceux qui nous désarment par l’exacte décence de leur voix, le scrupule de leur pensée ou la pure générosité de leur passion. Il dédaigne de séduire, et cherche trop à violenter. Mais telle est sa nature ; tel est, de son prix, la condition ; tel aussi, peut-être son drame… Sources
|
||||||||||
TOP MENU |