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Articles sur Montherlant (hors presse)78. Observations de 1968 à 1972 de Paul Morand (1888-1976) sur Henry de Montherlant (1895-1972)
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Paul Morand. |
Lacretelle me téléphone d’envoyer, rue Vineuse, chez lui, le matin même une lettre de candidature à l’Académie (au fauteuil de Maître Maurice Garçon). Comme j’avais entendu parfois dire que Montherlant avait été élu sans s’être porté candidat (la cooptation), je suis étonné, mais je n’ai pas le temps d’en discuter. Je rentre et je dépose ma lettre pour qu’il la remette à Genevoix ; profondément humilié par cette démarche. Hélène aussi. Je pense qu’il y a dix ans, j’ai bien été faire une visite à un Kemp ou à un Maurois ; après ça, on n’a plus rien à refuser à sa honte ; on n’a jamais (“toute honte bue”). Il y en a donc toujours au fond du verre.
Montherlant, Brion, Bœgner, Th. Maulnier, à qui j’ai écrit, ne m’ont pas répondu.
J’entends dire que Mauriac n’est pas venu voter, que Montherlant a voté contre, sous la pression de la veuve de Me Maurice Garçon, qui me déteste, en souvenir de son mari.
Mauriac, Montherlant, Maurois. Quand je pense que Bernard Grasset avait inventé les 4 M, comme un sigle, symbole d’amitié, de confraternité, de publicité commune et d’entraide… Je les aurai eu tous les trois contre moi, à des moments différents de ma vie.
Je n’avais jamais lu de discours de réception à l’Académie. Ce n’est pas un sujet traité, mais des bavardages, des chroniques mises bout à bout. Celui de Cocteau, faussement désinvolte et prétentieux. La réponse de Maurois, excellente. Le discours de Montherlant, bâclé ; la réponse d’Antoine de Lévis-Mirepoix, très bien.
Montherlant à la fin de sa vie. |
Un Adolescent d’autrefois de Mauriac ; Les Garçons de Montherlant, les uns et les autres n’ont plus aucun rapport avec la jeunesse vivante, directe, contestataire, d’aujourd’hui. Au Masque et la Plume, Guy Dumur, (qui avait déjà attaqué Mauriac chez moi), dit que l’adolescent (c’est-à-dire Mauriac) est “foncièrement antipathique” et que le livre paraît écrit il y a 40 ans. Quant à Montherlant, Dumur, Kanters, Galey, lui tombent tous dessus : attitude littéraire de courage, de surhomme, de virilité, contrastant “avec toute une vie de lâcheté” (Kanters), qui ajoute : “chassé du collège à 14 ans, Montherlant ne s’en est jamais remis et a écrit 45 livres pour se justifier ; il est resté pour les culottes courtes ; Les Amitiés particulières valent mieux”.
Je lis La Guerre civile, de Montherlant. Ce sont des Romains en carton qui récitent des pensées détachées du sujet.
Séance Académie, avant-hier. On discute les deux sens du mot hôte. Intervention de Montherlant. “C’est comme pédéraste, lui répond le Secrétaire perpétuel ; cela peut être pris dans les deux sens.” Cette réplique qu’on ne comprend pas très bien, jette un froid.
Académie, jeudi. Montherlant de dos, effrayant : démarche lourde, nuque grasse, dix ans de plus que son âge.
Avec Montherlant et Jouhandeau, c’est Claude Roy qui écrit le meilleur français.
“Il y a deux élections dont je suis fier, dit Genevoix : la vôtre et celle de Montherlant.”
“Les deux seules personnes de l’Académie qui se taisent en séance, ce sont les deux seuls écrivains, vous et moi.” (Montherlant).
Montherlant traîné dans la boue, lors d’un Post-Scriptum à la télévision de l’horrible Polac. Malgré son titre remarquable : Un Assassin est mon maître. Montherlant n’est pas aimé de ces intellectuels de gauche. La préface de Delay trop longue, réduit le roman à 150 pages ; cela fait longue nouvelle.
Comme Directeur, je présente Un Assassin de Montherlant (absent) et le Gogol de Troyat (qui ne me remercie pas après) : a-t-il trouvé que je n’ai pas assez loué ? Cette coutume de présenter des livres des confrères déposés sur le Bureau a été inaugurée il y a dix ans seulement par François-Poncet. Mauvaise coutume : surcroît de travail.
Montherlant n’a sans doute pas voulu rencontrer Delay, son préfacier, avec qui il a échangé des mots. Quand je suis arrivé, Delay avait déjà expliqué l’affaire à d’autres, je n’ai pas osé lui faire recommencer son explication.
Recette de Montherlant pour rester jeune : faire, à l’instant, ce qui vous tente, ne pas s’obliger à faire des choses désagréables, être sans ambition.
Paul Morand. |
Montherlant dit à Massenet (ndlr : fils du compositeur Jules Massenet, Pierre Bessand-Massenet avait été secrétaire de Paul Morand à Londres en 1939) : “Un roman, ça se laboure péniblement avec une charrue de l’âge des Pharaons, on sue, on se tue de travail pendant deux ans. Ecrire une pièce, au contraire, c’est trois semaines de rien du tout. On arrose un désert d’un verre d’eau, et, sans fatigue, on voit naître un baobab.”
Montherlant m’écrit : “Il n’y a que vous et moi qui nous taisions à l’Académie. C’est que nous sommes les deux seuls à savoir écrire.”
Je lis dans les Carnets de Montherlant, année 1936, p.233, l’individu, “Pour lui, la guerre, qu’est-ce que c’est ? C’est “ils ne m’auront pas”…la guerre, pour lui, ça consiste à leur (les supérieurs) échapper. La voilà, la grande lutte qui commence.”
J’avais commencé la guerre de 1914 en bon Français, prêt à mourir “sur l’autel de la patrie”. Après avoir vu ces quatre ans absurdes, j’en étais arrivé à réagir comme l’individu : “ils ne m’auront pas”.
J’adore le “je meurs où je m’attache” de Montherlant. Il sait ce qu’est la liberté. Gide beaucoup plus attaché à son vice que Montherlant, qui le domine.
Montherlant, Service inutile “Paul Morand raconte qu’un jour, en pleine forêt équatoriale, on lui montra au fond d’un ravin un tigre endormi. “J’aime les chats, dit Morand. Les tigres sont des chats plus faibles, puisque malheureux et traqués… Que d’autres racontent leur premier tigre ; moi je raconte mon dernier.” Je suis gêné pour dire que ce mouvement de Morand me semble une preuve d’extrême civilisation, car il est celui que j’aurais eu moi-même (p.80). (Début d’un article de Montherlant paru en 1925 dans L’Intransigeant, et repris dans Service inutile).
Déjeuner chez Lacretelle, qui avait peur que je ne vienne pas voter pour Castries. Etonnant trait de (future) veuve abusive : la femme de Jules Romains (qui vient, lui, de descendre d’un degré de plus dans le gâtisme), téléphone au Figaro : “Vous avez publié un bulletin de santé de mon mari, et un autre de Montherlant ; or celui sur Montherlant était en gros caractère, et celui de J.R. en italiques ! J’attendais mieux d’un ami …” etc.
Ces mystérieux malaises périodiques de Montherlant, qu’est-ce ?
Grasset n’a pas été une rencontre heureuse ; il a abîmé le succès de mes premiers livres par une terrible publicité, d’une vulgarité effroyable, mais efficace ; il m’a donné beaucoup d’argent, des départs à 50.000 ex., mais m’a déclassé pendant dix ans (…) Ce que je continue à reprocher à Grasset, c’est d’avoir été un banquier ; la question tirage l’intéressait, mais pas l’argent. Montherlant ne lui a demandé que l’indépendance, j’ai eu le tort de me laisser aller à produire trop vite, et trop, de 1925 à 1935, pour mener une vie facile ; c’était dans mon caractère, je le déplore trop tard.
Le suicide de Montherlant. Je l’admirais toujours. Je l’admire pour avoir eu ce courage. Il est mort à l’exemple de cette antiquité qu’il aimait tant. Il faudra remonter aux classiques, à Chateaubriand, à Benjamin Constant, à Barrès pour lui donner sa place dans notre littérature. Il n’était pas fait pour vivre dans un âge vil. (AFP et Radio Luxembourg, mes déclarations, ce matin.) Fait pour un âge de tournois et non de hold-up.
Montherlant meurt à l’entrée de l’automne, comme un héros solaire. La vie d’un philosophe, le trépas d’un samouraï.
Le revolver, pour mépriser son époque, ses contemporains, cesser d’en être, ni spongieux comme Constant, ni indécis comme Barrès, ni imprégné de politique comme Chateaubriand.
Thierry Maulnier : Trois éloges sur les bras ; Romains, P-H Simon, Montherlant. Fameux trimestre directorial.
Paul Morand. |
Partout, France et Suisse, des éloges, des films, des souvenirs sur Montherlant ; grande émotion. Quelle différence avec le silence froid, l’indifférence à la nouvelle de la mort de Jules Romains !
Une Suissesse : “Les fenêtres du bel appartement de Montherlant sur le quai, en face du plus bel arbre du quai. Je le voyais parfois à la fenêtre, car, pour l’apercevoir, je m’asseyais sur un banc, en face de sa maison.”
La Reine morte. Excellent adieu de Pierre Dux, après celui de Mac Avoy, non moins bon ; Montherlant avait dit, en juillet, à Mac-Avoy que s’il devenait aveugle, il se supprimerait.
Dans la trame, la belle voix chaude, profond, articulée, contenue, sobre de Yonnel ; on entend chaque mot. (Parfois, des intonations de de Gaulle, que ce dernier a empruntés à Y. son professeur de diction). Tout ce que disent les hommes (c’est-à-dire quand Montherlant s’exprime par leurs voix) excellent, frappant, profond. Toutes ses femmes, faiblardes. D’ailleurs, plus je vais, plus je trouve qu’au théâtre, et bien plus, à la radio, à la télévision ou à l’écran, les voix des femmes sont catastrophiques : voix blanches, ch et s prononcés comme des f, diction fausse, mots incompréhensibles, récitation de pensionnaires (…)
Quand je raccompagnais Montherlant dans ma petite voiture, après l’Académie, seul ou avec sa gouvernante, il paraissait soudain rassuré et reconnaissant de ne pas avoir à traverser la rue Bonaparte et la rue des Saints-Pères.
Les deux influences, ou du moins présences, ressenties, hier soir, dans le théâtre de Montherlant : Shakespeare et Claudel. Ce qui plaît : il écrit pour lui, par besoin ; jamais de sourires, de clins d’œil au public.
1929. Nous avions pris le départ ensemble, Montherlant et moi. Dans un numéro de la NRF. Amenés par Jacques Rivière ; lui avec un Criterium de boxeurs amateurs, moi (si j’ai bonne mémoire) avec le portrait d’Aurore (Lady Constance Stuart Richardson), sorte de Lady S. Montague, qui avait vécu longtemps en Orient, dont l’atelier de Chelsea était alors mon refuge.
A Madrid, Streff a vu P., élève de Morax (médecin de Montherlant) ; Morax furieux lorsqu’on dit que Montherlant qu’il soignait, allait être atteint de cécité. On l’a dit, parce que c’était plus spectaculaire. En réalité, le mal était ailleurs.
Montherlant a coupé l’herbe sous le pied de Malraux, qui ne pourra plus se suicider sur la tombe du général, comme sur celle de Mme de Bonnemain, le général Boulanger.
Je suis humble, ou crois l’être ; ce n’est d’ailleurs chez moi, qu’une forme de la paresse, c’est-à-dire de la lâcheté. Je ne serais pas capable de me tuer par orgueil, comme Montherlant. Ce suicide, chacun l’interprète : attitude romaine, antique, philosophique, romantique, cécité, etc. Mistler me dit : “Ce fut un acte de mépris envers la France actuelle.” (Position de droite.)
Déjeuné à Pressagny, chez les Claude Gallimard ; rien qu’eux, et Antoine. Montherlant a pris du cyanure, en même temps qu’il se tuait. Il avait longuement interrogé Claude sur le suicide d’Hemingway ; Claude a en dépôt la correspondance de la jeune fille Andréa des Jeunes Filles et un pli cacheté, remis par Montherlant.
(NDLR : Il s’agit vraisemblablement de la correspondance hélas jamais publiée jusqu’ici entre Montherlant et sa fiancée des années trente, Francine Le Gendre. Pourquoi encore empêcher cette publication 41 ans après la mort de Montherlant ?)
Montherlant, quelques jours avant son suicide, avait longuement discuté avec Claude Gallimard la date de sortie de son roman Mais aimons-nous ceux que nous aimons ? Il voulait mars ; ce devait finalement être décembre. Les 4 ou 5 derniers jours noir total. D’après Claude, Montherlant a eu peur d’une attaque, d’être prisonnier d’une maison de santé, d’un hôpital, où il ne serait plus maître de soi. En effet, c’était imminent.