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Articles sur Montherlant (hors presse)77. Montherlant devant lui-même, interview réalisée par Noël Bayon de la Mort, La Gerbe (08/01/1942)
Note préalable : Il est intéressant de donner un peu de lumière sur les liens que Montherlant a eus durant la Seconde Guerre mondiale avec l’hebdomadaire La Gerbe, “l’hebdomadaire de la volonté française ” qui fut lié à la Collaboration et dirigé par Alphonse de Châteaubriant. La Gerbe est un journal collaborationniste français, fondé en juillet 1940 par l'écrivain Alphonse de Châteaubriant (directeur de publication), avec pour rédacteur en chef Marc Augier. Politique et littéraire, il s'inspirait de Candide et Gringoire, hebdomadaires créés pendant l'entre-deux-guerres. Le titre renvoie à la position défendue par le journal : “la France, est un pays agricole par vocation, et doit s'intégrer à l'Europe nouvelle que met en place Hitler. Violemment anticommuniste, antirépublicain et antisémite, le journal prend pour modèles idéologiques le fascisme et surtout le nazisme. Pour lui, la France doit se livrer à un “redressement national” et pour cela lutter avec la dernière énergie contre l’individualisme. ” La page littéraire n'évite pas les polémiques politiques et reçoit des articles de Paul Morand, Marcel Aymé, Abel Bonnard, Claude Farrère, Sacha Guitry, Jean de La Varende, Jean Giono. André Castelot assure la critique dramatique. Son tirage est de 140. 000 exemplaires en janvier 1943. L'hebdomadaire disparaît en août 1944. (Source : Wikipedia). Sauf erreur, Montherlant a laissé publier au cours de la guerre neuf articles dans La Gerbe, soit :
A ces neuf articles, il faut ajouter le texte de la présente interview où Montherlant ne montre aucune sympathie vis-à-vis de l’occupant et veille à garder ses distances avec Vichy du 8 janvier 1942 (ndlr). Montherlant devant lui-même par Nœl Bayon de la Mort“ Trois lignes, une signature : “ Montherlant ” et, glissée tel un talisman entre les pages de mon livret individuel, la carte y demeura toute la guerre. Peut-être est-ce là entre la Blies et la Sarre, que j’ai réellement compris tout ce qu’il y a de salutaire et de sain dans ce que Montherlant a de plus outré. Aristocrate, au sens le plus absolu du terme, Montherlant est entier dans son excellence et dans sa force. Impitoyable, il est généreux dans le châtiment. Il se refuse aux exceptions, aux distinctions et, sans doute, est-ce pour cela même qu’il est si proche de la jeunesse dont l’ardeur méprise les circonstances atténuantes. A l’encontre des pontifes d’une littérature agonisante, il est la vie avec ce qu’elle comporte de paradoxes, de dons et de reprises. Plus grec que latin par la clarté, la limpidité et l’abondance des nuances, il s’offre à nous comme jailli de son œuvre même, avec la transparente dureté de son regard ferme, son front large ouvert sous une plantation de cheveux drus dressés par quelque imaginaire bourrasque. Le profil de rapace sympathique, le menton volontaire, et le port même de la tête, altier, lointain, tout cela n’évoque-t-il pas l’aigle et le lion ? Lorsque, après m’avoir accueilli avec cette chaleur simple dont il a le charme secret, Henry de Montherlant s’assoit dans un fauteuil dont les appuis sont des griffons, est-ce cette impression qui l’emporte ou l’histoire de ce siège qui, dessiné par David, exécuté par J-B Sené, pour la Convention nationale, fit partie du mobilier de Napoléon 1er aux Tuileries avant de venir ici ? Qu’importe ! Ce ne sont pas ces considérations-là qui doivent prévaloir. Venons-en au Solstice de juin. Devant le dernier essai du Solstice, qui écrit en juillet 40 donne son titre à cet ouvrage d’Henry de Montherlant, certains lecteurs regrettent que le livre n’ait pas une conclusion formulée à une date plus récente. Y en a-t-il une ? A ma question, Henry de Montherlant n’oppose aucune réticence. Sa voix, au timbre net et résolu, précise : - Il ne m’est pas difficile de vous donner de vive voix les éléments de cette conclusion… Après un instant de recueillement, Henry de Montherlant ajoute : - Dans le Solstice, j’ai mis l’accent sur les valeurs de qualité. C’est que le problème franco-allemand, disons mieux : le problème européen, est avant tout, un problème de qualité humaine. Le combat est livré contre les Européens moyens (bien entendu, ce mot signifie : les bas-Européens). Lutte de l’élite héroïque de la nouvelle civilisation européenne contre les bas-Européens ; lutte des héros contre les esclaves. Soulignons vite que les valeurs héroïques ne coïncident pas forcément avec les valeurs morales ; il n’y a pas que des justes parmi les héros, et c’est pourquoi c'est avec inquiétude qu’on voit notre “ Révolution nationale ” chercher à se fonder sur les seules valeurs morales ; si on se met à confondre “ héros ” avec “ petit saint ”, nous sommes fichus. Je voudrais m’employer un de ces jours à définir le mot “ héros ”, sous lequel trop de gens mettent des idées toutes faites… - Héros, élites… Que faites-vous de la notion communautaire ? Que faites-vous de la masse ? - Quand certaines communautés sauront bien faire la preuve que leur nature est celle de l’esclave, les héros appartenant à ces communautés sauront, s’il le faut, se détacher d’elles normalement pour faire bloc avec les héros européens, comme ferait en montagne le premier des hommes encordés qui, voyant que décidément les autres ne peuvent pas suivre, couperait la corde et les abandonnerait à leur sort, atteignant le sommet tout seul. La notion de patrie est en pleine évolution. Ceux qui l’ont vue d’une vue trop étroite, vont être malheureux. - Vous restez donc individualiste ? - Les risques provenant du monde des “ choses qui ne dépendent pas de nous ” sont toujours trop nombreux pour qu’on ne soit pas individualiste. Risque de faire partie d’une communauté qui s’enfonce. D’autres risques… Montherlant se tait. Son regard se porte au loin, semblant fouiller l’avenir incertain. Tel un corsaire devant l’ouragan qui lève. Je perçois combien les mots qu’il prononce lui tiennent à cœur. - La construction de l’Europe par la voie héroïque est une aventure. Une dangereuse aventure. Risque d’un échec. Risque également que cette construction ne soit qu’une chimère. (Je vous le dis cum grano salis : à force d’entendre parler de l’Europe, il m’arrive de me dire par moments que l’Europe n’existe pas). Et comme, contrairement à un lieu commun petit luxe, qui prétend qu’il est noble d’être dupe, comme j'ai horreur d'être dupe, je voudrais dire aux aventuriers de la nouvelle civilisation européenne : Parfait ! Mais ne vous relâchez pas de ce perfectionnement individuel dont les règles sont immuables depuis des millénaires, qui reste indépendant et autonome, quelle que soit la structure politique et sociale du monde, et quels que soient les dieux victorieux. Le monde des choses qui ne dépendent pas de nous peut vous tromper, mais le perfectionnement individuel ne trompe jamais. - En somme, une position de repli… Montherlant sursaute : - Le développement individuel n’est pas une position de repli. Nous nous prêtons aux évènements extérieurs, nous en faisons les gestes, mais nous savons que le souverain Bien est ailleurs, est en nous-mêmes : relisez L’Ame et son ombre, dans Service inutile. Ou bien dans Le Songe, l’exposé par Alban, de cette publicité par laquelle nous feignons de nous prendre aux évènements extérieurs, tout en ne nous y prenant pas. - Etre à la fois “ le héros et le sage ” comme vous le dîtes dans Le Solstice de juin. - Comme je l’ai dit dans toute mon œuvre. - Vous voulez avoir toujours un pied dans la position opposée. Ainsi, si vous perdez ici, vous gagnez là. Jamais de déception ? - C’est bien cela. Quoiqu’il arrive, le monde ne peut pas me décevoir. Oui. Montherlant déçu ne serait plus Montherlant. Une telle crise morale chez lui équivaudrait à une trahison. Il commencerait à se renoncer, à ne plus être le mouvement de la vie qui engendre et ne subit pas. Brusquement, ce serait abandonner ce goût du bonheur auquel il tient tant. - Tenez, reprend Henry de Montherlant, je possède un bronze romain du premier siècle, trouvé enfoui à Conflans, et dont on n’a que deux analogues : un au British Museum, l’autre au Musé de Stuttgart. C’est un “ visage de casque ”, c’est-à-dire une visière de casque sculptée en forme de face humaine, visière que l’officier romain rabattait sur son visage pendant qu’il combattait. Et ce visage de casque est conçu selon le type grec du Vème siècle avant l’ère, plein d’une sérénité idéale. Ainsi, le héros portait merveilleusement au cœur de la mêlée, cette image de la sagesse apollinienne. Le sang et l’esprit. - Voilà bien un symbole de cette “ paix dans la guerre ” que vous célébrez dans Le Solstice de juin. Mais il me semble qu’à cette figure pourrait correspondre une figure inverse : celle du masque japonais ou chinois grimaçant de toutes les passions humaines, et derrière lequel le vrai visage est un visage calme. Y a-t-il un meilleur symbole de cette “ feinte ” que vous enseignez ? - Soit ! Mais l’essentiel est qu’il y ait double visage. Le double visage est le symbole de la nature, aussi bien que de la nature humaine. Deux visages pour n’en pas mettre cent, comme dans l’art hindou. Quels sont les projets littéraires de Henry de Montherlant ? Je sais que bientôt les Presses Universitaires de France vont publier un volume de morceaux choisis de ses ouvrages, destiné aux jeunes des organisations de jeunesse, pour lequel il va écrire une préface, et que l’édition d’une anthologie est projetée en Allemagne. Mais à quelle œuvre nouvelle travaille-t-il ? - A une pièce sur Port-Royal. Je pense que vous voyez aisément par quels souterrains je débouche dans le jansénisme. Eux aussi, comme les héros dont je parlais tout à l’heure, les Jansénistes étaient des parfaits, une élite héroïque, une chevalerie qui voulait construire le christianisme contre les bas-chrétiens. Toute ma pièce (dont je ne pense pas qu’elle puisse faire une carrière de plus de six ou sept représentations) est comme fécondée par cette simple phrase de Sainte-Beuve, qui en fut pour moi la source émotionnelle : “ Le jansénisme fut un renouvellement de croyance en la divinité de Jésus-Christ ”. En tant qu’homme, en tant que Français, en tant qu’Européen, je vois dans le christianisme un de nos maux. Le Maréchal nous a dit que nous devions avoir de l’enthousiasme : eh bien ! La cause de l’antichristianisme, si je voulais m’y donner, m’enthousiasmerait. L’antichristianisme des masses, informulé et bas, est demeuré sans aboutissement. Montherlant va-t-il lui apporter l’appui de son ardeur combattive ? Ou les masses mêmes l’en éloigneront-elles ? Toujours dans les heures les plus critiques, nous l’avons vu se dresser pour faire réaction : n’avons-nous pas besoin d’une puissante réaction ? Le christianisme lui-même ne doit-il pas être orienté, dirigé, en fonction d’une évolution humaine ? Montherlant suit dans mes yeux l’ombre d’une douloureuse inquiétude et : - En tant qu’artiste, il se trouve que je “ sens ” le christianisme et me crois capable de l’exprimer dans une grande œuvre. (Devrais-je renoncer à écrire cette œuvre parce qu’elle peut servir le christianisme car je crois qu’elle peut le faire, et beaucoup plus sûrement que mes pages antichrétiennes n’ont pu le desservir) ? Ma foi, je n’en ai pas eu l’abnégation. Que le public se débrouille ! J’ai écrit à Mauriac pour lui suggérer de composer, lui aussi, une pièce sur Port-Royal. Il y aurait eu là une noble compétition ! Naturellement, je ne lui ai écrit cela que parce que je suis sûr de pouvoir faire une œuvre plus belle qu’il ne le peut. Il est comme Gide, et d’autres : ayant maintes qualités, mais manquant cruellement de dons littéraires. - M. Faure-Biguet dans le livre qu’il vous a consacré, Les Enfances de Montherlant, (Editions Plon), annonce que vous travaillez à un catalogue des antiques de votre cabinet ? Pour me répondre, la voix de Montherlant se fait plus chaude, plus prenante, le feu de la passion illumine son clair regard : - Ce sera un catalogue de ma façon, chacune des pièces fournissant le thème d’un véritable “ essai ”. Les pièces les plus importantes seront reproduites en photographie. Cet ouvrage sera édité sous forme d’album, à tirage restreint. Je me promets beaucoup de plaisir à en alterner la fabrication avec celle du Port-Royal. Passer ainsi, d’une heure à l’autre, du monde païen à une des expressions les plus pures du monde chrétien, c’est tourner autour de l’objet, le voir sous ses différents angles, c’est-à-dire en prendre une idée qui approche de près la vérité. J’ai toujours aimé, d’ailleurs, travailler en même temps à des ouvrages qui demandent l’emploi de mes “ moi ” en apparence les plus antinomiques : j’ai écrit en même temps le Chant funèbre et Les Olympiques ; en même temps Service inutile et Les Jeunes Filles. C’est là une méthode tout à fait essentielle pour se rappeler qu’il y a, aux antipodes d’où l’on se trouve, quelque chose d’également bon et d’également vrai… - Toujours les “ deux visages ”… - Toucher aux deux extrémités, comme le recommande Pascal. Quant à “ remplir tout l’entre-deux ”, c’est une grosse affaire, et je n’ai pas la prétention d’y parvenir. - Est-il exact que, malgré votre réponse peu engageante à Radio-Jeunesse parue dans Le Solstice, “ Vichy ” soit revenu à la charge, et que vous ayez accepté de parler tous les huit jours à la Radio nationale, particulièrement à la jeunesse ? Immédiatement, Montherlant se dérobe. Son indépendance est en jeu. Il demeure calme, mais on le devine farouche. Sa sauvagerie instinctive se rebelle. - Qu’on me laisse d’abord un certain temps pour une œuvre écrite en toute liberté, sans préoccupation de “ service ” ! Ensuite, nous verrons. Barrès alternait : une œuvre libre, puis une œuvre de service. Mais j’ai toujours pensé qu’il avait trop donné aux devoirs, et qu’à la lettre il en était mort, d’usure et d’ennui. Je veillerai à ne pas faire de même. Barrès, c’est le rappel du Chant funèbre pour les Morts de Verdun, de l’influence profonde de la guerre sur Montherlant. L’écrivain qui, à l’autre guerre, passa sur sa demande, du service auxiliaire dans un régiment d’infanterie du 20è corps, m’écrivait en septembre 1939 : “ Vous allez vivre la plus belle aventure de votre vie ”, et, bien que réformé pour blessure grave au cours de la campagne 1914-18, sa correspondance le montrait impatient devant une maladie dont la durée différait son engagement volontaire. Maintenant, je ne puis me défendre de penser aux sensations que Montherlant a dû rapporter de sa participation aux opérations de mai et juin 1940 devant l’Ailette avec un régiment d‘infanterie de la 87è division nord-africaine. Les éclats de bombe qu’il reçut dans une cuisse seront-ils le seul souvenir de cette nouvelle action militaire, ou bien lirons nous Le Rêve des Guerriers qui figure, pour paraître en 1942, sur la liste de ses ouvrages dans Le Solstice de juin ? - Je ne sais encore quand je le publierai. Il est impossible d’écrire un livre de bonne foi sur ce sujet, sans être désobligeant pour les Français, et je l’ai été assez comme cela : il y a là une direction où il me paraît inutile que les écrivains français poussent davantage pour le moment. Peut-être ne publierai-je ce livre que beaucoup plus tard quand il aura perdu toute acuité, comme il est possible que je le fasse un jour pour La Rose de sable, qui présente un tableau de la vie coloniale française telle qu’elle était il y a dix ans, et doit donc commencer à être anachronique. J’accorde si peu une importance capitale au facteur “actualité ” que j’ai tendance quand j’écris un ouvrage qui la touche, à trouver un prétexte pour repousser sa publication à une époque où il sera devenu “ hors du temps ”. A la vérité, je suis hanté non par l’actuel, mais par l’inactuel… Travailler “ hors de son temps ”, ne pas participer à cet amoncellement de jugements et d’opinions qui, s’il laissait trace, formerait un fumier d’inanité et de ridicule, tout Montherlant est là. Mais est aussi dans la force affectueuse et sincère de la pensée et de l’acte. Dans son intransigeance et rudesse, comment ne pas l’aimer, ne pas lui vouer ces attachements qui font les hommes ? Sur tant de faux penseurs aux promesses vaines, Montherlant a l’énorme supériorité de ne rien promettre et de donner en ayant l’air de refuser. Là est peut-être le secret de ces attachements qu’il suscite. Œuvres de Noël Bayon de la Mort :
(A la Libération, il fut reproché à Noël Bayon de la Mort (comme à Jean Guitton) outre ses écrits dans certains journaux collaborateurs, d’avoir dans les camps de prisonniers de guerre encouragé les officiers à collaborer avec Vichy. Résultat : cinq années de travaux forcés.) |
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