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Articles sur Montherlant (hors presse)

61. Une création : La Reine morte de Montherlant, par le Ballet du Capitole et le chorégraphe Kader Belarbi, musique de Piotr Illich Tchaïkovski, en octobre 2011

Quelques critiques sur le spectacle

 
 

Maria Gutierrez et Kazbek Akhmedyarov
forment un couple de rêve.
Photo DR, David Herrero.

Au Théâtre du Capitole, le chorégraphe Kader Belarbi règle une Reine morte d’émotion pour le Ballet du Capitole. Le couple vedette formé par Maria Gutierrez et Kazbek Akhmedyarov est superbe d’émotion et de maîtrise technique.

“Non, le grand ballet romantique n’est pas mort”, semble nous dire Kader Belarbi avec cette Reine morte, créée pour le Ballet du Capitole. Sa chorégraphie, qui utilise largement le vocabulaire de la danse classique, est cependant bien éloignée de tout académisme. Car pour l’ex-étoile de l’Opéra de Paris, la technique, même brillante, n’est jamais une fin en soi. “L’incarnation du geste et du pas est absolument nécessaire chez un danseur”, nous avait-il déclaré lors des répétitions du spectacle. Tragédie de l’amour fou, librement inspirée de deux pièces de théâtre d’Henry de Montherlant et Luis Vélez de Guevara, le ballet La Reine morte se déroule dans un décor très épuré de Bruno de Lavenère : de grands blocs tapissés de motifs anciens, des promontoires en guise de sièges et de trône, quelques lustres éclairés par des flammes. Les costumes d’Olivier Bériot évoquent également sans lourdeur une cour portugaise du quatorzième siècle. Rien ne vient ici brider l’élan des danseurs, l’émotion qui doit guider leurs pas. Lors de la première représentation, Maria Gutierrez paraît en état d’apesanteur lorsqu’elle évolue sur les pointes. Sa grâce fragile appartient déjà à un autre monde. Techniquement très sûre, la danseuse est littéralement habitée par son personnage. Kazbek Akhmedyarov, son Don Pedro, affirme lui aussi une toujours juste, y compris lorsqu’il effectue des sauts et des pas périlleux. La scène des mariées défuntes (qui fait songer aux Wilis de “Giselle”) est visuellement très forte malgré une fumée un peu envahissante le premier soir. On aime les compositions scéniques de Valerio Mangianti et Paola Pagano, interprètes de Ferrante et de l’Infante.

Une tragédie de l’amour fou

Kader Belarbi connaît ses classiques mais recherche avant tout dans une chorégraphie la vérité des êtres. Il croit en ses personnages, à cette tragédie de l’amour fou, aussi forte dramatiquement que celle de “Roméo et Juliette”. Il sait également qu’il peut compter sur la qualité superlative d’un Ballet du Capitole porté au plus haut niveau par Nanette Glushak, sa directrice. lui, le ballet et ses solistes seront longuement acclamés le soir de la première. La baguette de Vello Pähn, qui dirige l’Orchestre national du Capitole, justifie pleinement le choix de pages de Tchaïkovski pour accompagner le ballet. On reconnaît au passage le beau lyrisme de “Roméo et Juliette”.

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Toulouse. Avant de prendre l’an prochain les fonctions de directeur de la danse du Ballet du Capitole, Kader Belarbi, danseur étoile de l’Opéra national de Paris et chorégraphe, crée La Reine morte au Capitole en s’inspirant de la pièce d’Henry de Montherlant. Il aborde le thème de l’amour fou contrarié par la raison d’Etat, à travers l’histoire improbable mais véridique de Don Pedro de Portugal et de son épouse illégitime, Inès de Castro qui, étrangement, devint reine après sa mort. Dans une chorégraphie en deux actes qui fait la part belle au langage néoclassique, il révèle les beautés et les ciselures de ce “poignard au manche damasquiné, noir et or”, pour reprendre les termes de Montherlant. Kader Belarbi a choisi pour cette création une compilation de musiques de Tchaïkovski, interprétées par l’Orchestre national du Capitole sous la direction du grand chef estonien Vello Pähn, familier du répertoire chorégraphique. Kader Belarbi avait déjà chorégraphié l’an dernier ses pièces “A nos amours” et “Liens de table”

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Danse à Toulouse, La Reine Morte,
belle création de Kader Belarbi.

Confier à Kader Belarbi le choix d’un ballet à produire avec les forces vives capitolines a été une bonne idée. Ceci donne un avant-goût de ses choix artistiques, car il prendra ses fonctions à la tête du Ballet du Capitole pour la saison 2012/2013. Ce spectacle de deux heures, équilibré et dramatiquement émouvant a eu un beau succès public. L’histoire est assez atroce car on y voit un Roi organiser le meurtre de la femme de son fils afin de l’obliger à épouser l’Infante qui redorera le lustre du royaume. La violence des relations père-fils ont rarement été représentées avec une telle force, et va aboutir à un parricide doublé de régicide après le meurtre d’un prêtre. S’il est des actions théâtrales interdites par la censure, puis devenues tabous, ce sont bien ces crimes-là ! Leur cumul en un acte lucide et assumé représente un grand moment dramatique sans autre exemple à notre connaissance à la scène.

La galerie des personnages est finement campée avec deux couples : un roi âgé et chétif d’apparence et une Infante qui semble avoir son âge et non celui du fils. La raideur calculée de Paola Pagano en Infante, est amplifiée par une robe si rigide semblant faite d’or, qu’elle laisse apparaître une marche mécanique. Tout l’art de la danseuse est donc avec ses bras immenses et expressifs de donner vie à son personnage altier. L’effet est assez spectaculaire. Puis dans sa danse, révélant la femme lorsqu’elle quitte sa robe, les jambes nues dévoilent une amazone guerrière et sans pitié. L’agilité des mains associée à celle de tout le corps permet une danse fulgurante d’une grande expressivité. L’autre couple est jeune et sensuel, comme en un miroir inversé. Le prince, Don Pedro, est athlétique et la haute stature de Kazbek Akhmedyarov lui permet des sauts audacieux. La tendresse avec sa bien- aimée est remplie de poésie et le couple fonctionne à merveille. Un très beau travail sur les portés permet au couple d’offrir des moments élégiaques. Maria Gutierrez en Donna Ines est une amoureuse sensible et touchante mais au destin scellé d’avance malgré sa grâce infinie. Le Roi de Valerio Mangianti est très surprenant, mélange de faiblesse et de soudaine force quasi invincible. Les grands moments de danse qui porteront l’émotion de la soirée sont les pas de deux entre père et fils avec des portés d’une rare violence et d’une grande puissance. Le dernier, au cours duquel le fils tue le père, est très dramatique. Les scènes dans lesquelles interviennent les sbires sont aussi d’une belle originalité dans leur sauvagerie assumée. La scène du meurtre du prêtre est sobre mais terrible.

Le choix des diverses musiques de Tchaïkovski est somptueux. La tendresse et la puissance s’enchaînent avec une belle efficacité dramatique. L’orchestre est chauffé à blanc par la direction très dramatique de Vello Pähn. De beaux moments solistes permettent aux instrumentistes de briller. La direction du chef estonien est à la fois tenue et souple permettant aux danseurs d’évoluer en toute sécurité sans renoncer au lyrisme des partitions qui respirent avec aisance. De superbes nuances sont obtenues qui renforcent l’effet dramatique. Nous tenons là assurément un très grand chef de ballet. Tous les pupitres de l’orchestre sont merveilleux avec une somptuosité toute particulière des bois, capables de nuances les plus délicates. Cuivres et cordes, dans les nuances forte, apportent beaucoup d’épaisseur au drame. Le choix d’extrait de Roméo et Juliette se révèle judicieux musicalement d’autant qu’il porte aussi le drame à merveille offrant une symétrie entre l’histoire des amants de Vérone et celle de la cour du Portugal. La fin assez macabre de la pièce de Montherlant voit le régicide monter sur le trône et imposer à la cour de couronner sa femme devenue Reine Morte et de baiser la main du cadavre…

 

Illustrations : D.Herrero 2011.

 

Après l’extrême violence du dernier pas de deux mortel entre le père et le fils, Kader Belarbi n’arrive pas à chorégraphier l’horreur de cette fin avec originalité, laissant tout porter à la beauté des décors et des lumières, mais cela fonctionne bien ainsi. Les décors de Bruno de Lavenère sont simples et stylisés et réservent leur meilleur pour ce dernier tableau. Les costumes d’Olivier Bériot sont classiques et les lumières de Sylvain Chevallot sont habiles à créer des ambiances variées avec un très bel effet lors de la danse des spectres.
Le corps de ballet et les trois bouffons sont très honorables. Mais on l’aura compris ce sont surtout les quatre personnages principaux qui portent l’action. Une mention toute particulière pour l’orchestre qui insuffle beaucoup de vie à ce drame, grâce à la direction enflammée de Vello Pähn. Le Théâtre du Capitole signe là une belle production qui mérite de voyager.

Toulouse. Théâtre du Capitole. Le 30 octobre 2011. La Reine Morte, ballet en deux actes inspiré de la pièce d’Henry de Montherlant. Création mondiale. Adaptation, chorégraphie et mise en scène : Kader Belarbi. Musique de Piotr Illich Tchaïkovski. Décors : Bruno de Lavenère. Costumes : Olivier Bériot. Lumières : Sylvain Chevallot. Le Roi Ferrante : Valerio Mangianti ; Dona Ines de Castro : Maria Gutierrez ; Don Pedro : Kazbek Akhmedyarov ; L’Infante : Paola Pagano ; Ballet du Capitole, direction de la danse Nanette Glushak. Orchestre National du Capitole. Direction : Vello Pähn.