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Articles sur Montherlant (hors presse)
38. Réponse de Montherlant au livre Montherlant et les femmes écrit par Jeanne Sandelion
“Les insanités que disent sur vous les gens vous entourent d’épaisses fumées.”
(Henry de Montherlant)
En 1950, Jeanne Sandelion publie chez Plon, un livre de 250 pages Montherlant et les femmes, dans lequel, notamment, elle défend vigoureusement le personnage d’Andrée Hacquebaut, une des héroïnes du roman de Montherlant Les jeunes filles (4 volumes 1936-1937-1939), qui fut tiré avant la guerre 1939-1945 à des millions d’exemplaires et qui fit scandale dans le milieu bien-pensant et féministe.
Nous renvoyons le lecteur à l’étude sur Jeanne Sandelion (Henri de Meeûs, Jeanne Sandelion (1899-1976), poétesse et amoureuse de Montherlant, article n°28 sur ce site).
En décembre 1950, Montherlant écrit un article qui sera publié dans la Revue La Table Ronde n°36, intitulé “Réponse à Jeanne Sandelion”.
En voici quelques extraits :
“Les intentions amicales et l’honnêteté de Jeanne Sandelion sont certaines. Pourtant, la lisant, je reste souvent rêveur : est-ce de moi qu’elle parle ? Ainsi donc j’ai été impuissant à trouver l’amour total et durable, je n’ai “jamais mêlé l’âme à mes ébats amoureux”, etc… Mais enfin, qu’en savent-ils, ces gens si péremptoires touchant une vie privée dont ils ne connaissent rien, ce qui s’appelle rien ? C’est un spectacle comique que celui de toutes ces dames qui mettent avidement l’œil à la fissure pour voir ce qui se passe dans une vie privée - dans une alcôve, - et, quand elles n’ont rien vu, inventent ; à moins, mieux encore, qu’elles ne fassent état de confidences que vous leur auriez faites, confidences inventées elles aussi de toutes pièces.(…)
On se fait d’un auteur une idée simplifiée et toute dans un certain sens, d’ailleurs fondée sur des textes. Mais ces textes ne sont pas seuls, et on ne lit que des yeux, on lit sans s’y arrêter d’autres textes moins voyants, moins nombreux ou moins longs, qui s’ouvrent de la façon la plus nette dans une direction tout autre.
Et puis, quand il n’y aurait pas ces derniers textes, pensez-vous que tout soit dans une œuvre ? Si une vie est un peu pleine et va vite, l’œuvre est toujours en retard sur cette vie. A côté des affirmation où Jeanne Sandelion - et bien d’autres avec elle - se trompent, en ne voyant pas ce qui est, il y a les affirmations qui découlent d’un autre principe : on voit bien ce qui est, mais on le juge, et je prétends qu’il n’y a pas à le juger.
Tout le long de son livre, Jeanne Sandelion ne pardonne pas à l’auteur ou à son héros (Costals), de préférer un type de femme qui n’est pas celui qu’elle préfère, elle. A vingt reprises est stigmatisée l’aberration de Costals (ou de votre serviteur), assez anormal pour aimer - et n’aimer que - les femmes très jeunes, jolies, peu farouches, sans prétentions, ni de coquetterie, ni intellectuelles, enfantines : daube-t-on assez sur le lapin en peluche de Solange Dandillot, et l’attendrissement qu’il provoque chez le “cynique” Costals ! (…) Devant l’assemblée des femmes, nous devons venir nous expliquer, justifier nos goûts sentimentaux et sensuels. Quoi donc ! sont-ce des goûts que la morale, que les lois condamnent ? Non, ce sont les goûts les plus raisonnables, les plus sains, les plus répandus. C’est à peu près comme si nous étions sommés furieusement de nous disculper du fait que nous préférons le bourgogne au bordeaux. Il ne s’agit pas que de type physique. Accusé, levez-vous !
Vous n’avez pas ressenti le besoin d’une sorte d’ange gardien terrestre, (vous) étayant aux heures chancelantes. Vous avez été “impuissant - volontairement, semble-t-il - à créer un amour. Vous n’avez pu trouver ni un amour ni un Dieu. Vos héros “arrivent toujours à une impasse, à un pont qui mène les autres à une contrée merveilleuse, pleine de richesses, mais qu’eux ne franchissent jamais (cette contrée merveilleuse est sans doute le pays des femmes qu’ils ne désirent pas, pense l’accusé, riant sous cape, mais gardant son sérieux, crainte d’être écharpé). Quelle différence il y a entre vous et Dieu, qui, Lui, s’est donné aux hommes, et s’y donne éternellement ! (l’accusé opine du bonnet : il reconnait sans difficulté qu’il y a une grande marge entre lui et Dieu). Pour tout cela, accusé, nous concluons que vous êtes un pauvre type, et nous vous condamnons à être exposé au pilori sous un écriteau portant la mention : “Ma vie, sur le plan humain, a été un échec.”
L’accusé, qui est un peu simple, trouve que toute cette histoire reste toujours, en définitive, une histoire de bourgogne qu’il est défendu de préférer au bordeaux. Mais il trouve aussi qu’après tout il s’en tire à bon compte, parce que le procureur Sandelion a demandé les circonstances atténuantes, pour cause de génie. Ce mot de génie arrange l’affaire in fine : quelle pilule ne goberait-on pas, dorée de génie ! Et l’accusé, sa peine purgée, s’en retourne mener une vie qui ferait rêver l’assemblée des femmes, si elle pouvait l’y voir.
Les insanités que disent sur vous les gens vous entourent d’épaisses fumées. Ce sont elles, ô l’aimable miracle ! qui vous cachent et vous mettent à l’abri. En d’autres termes, ayons toujours un os à faire ronger : Montherlant et les femmes est un de ces os. Tandis qu’on le ronge, on vous laisse en paix.”
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