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Articles sur Montherlant (hors presse)

32. Pour en finir avec les chacals… par Alexandre Mahmourian

Introduction

Ci-dessous le texte d’un artiste, Monsieur Alexandre Mahmourian, vivant à Bruxelles, qui fut un spectateur enthousiaste de la Journée Montherlant du 25 septembre 2007, et qui demande le droit au plaisir artistique sans inquisition à un moment où – et c’est la mode, Mauriac fut aussi l’objet de ces “gâteries” biographiques, et pour Montherlant, cela a existé depuis ses débuts – la vie privée des artistes fait de plus en plus souvent, après leur mort, l’objet d’attaques, d’accusations, dévoilées à tort souvent, sur base d’informations non fiables, non recoupées, basées sur des rumeurs, des ragots malveillants, des exagérations qui finissent par être retranscrits comme des vérités indiscutables, intouchables dans différents supports (Biographies, Dictionnaires, Wikipedia et autres).
Il est tellement facile, pour celui qui n’a pas lu Montherlant – dont l’œuvre pudique, contrôlée, est éloignée de toute recherche de scandale –, de le réduire à un cliché : misogyne, pédéraste, menteur, pervers, etc.
Montherlant était un homme qui avait horreur du scandale. Toute son œuvre en témoigne. Mais il faut lire cette œuvre, et ne pas en parler sans la connaître.
Sa misogynie : “Montherlant l’ennemi des femmes”, est un incroyable cliché. Il suffit de lire ses correspondances avec ses amoureuses (Sandelion, Poirier, Zehrfuss, Mariette Lydis, etc.), courriers qui s’étalent parfois sur plus de trente années, pour comprendre que Montherlant était un être qui les a aidées, encouragées, qui n’a pas rompu le contact, qui leur a consacré du temps et de l’énergie et les a même soutenues financièrement lorsqu’elles étaient en difficulté.
“Aussitôt que je serai mort, écrivait Montherlant dans ses derniers Carnets, deux vautours la Calomnie et la Haine couvriront mon cadavre pour qu’il leur appartienne bien à eux seuls et le déchiquèteront”.
38 ans après sa mort, certains ont voulu continuer le dépeçage.
Cet article leur répond.

Henri de Meeûs

Pour en finir avec les chacals… par Alexandre Mahmourian

Merci à ces grands artistes qui nous consolent et nous font rêver.
Merci à ces génies de venir discrètement, dans nos moments difficiles, nous suggérer de secrètes échappées vers un monde auquel on a peine à croire, tant le réel est tyrannique ici-bas. Merci de toujours nous rappeler nos rêves aux moments où la réalité les écrase. Merci de toujours venir nous murmurer, en secret, l’inaltérable droit de rêver à ce monde qui viendra, grâce à eux, répondre à notre soif de merveilles. Merci de nous évoquer tout ceci sans arrogance, comme une brise légère sur notre visage après les tempêtes et les tumultes assourdissants, comme une réponse murmurée à notre âme qui écoute en secret. Parce que, de tous temps, le rêve et la beauté ont toujours été attaqués sur cette terre.
Des attaques ayant pour seule véritable justification, la haine, la jalousie, l’envie.
Ainsi, lorsque des personnes se mettent en valeur par leur beauté, leur séduction et leur charme, c’est immédiatement insupportable pour beaucoup, et il faut toujours qu’il y en ait un pour lancer pierres et crachats.
Dès que l’amour, la beauté apparaissent, viennent les destructeurs.
C’est vrai qu’une grande beauté qui vous emporte malgré vous, c’est un peu comme une femme exubérante qui vous renverse de séduction. Ainsi, les grands génies, dont les talents peuvent à tout moment nous surprendre, et même nous stupéfier, bouleversent souvent nos préjugés et nos dogmes. Au point que cela nous paraît parfois insupportable d’être si simplement désarmés, comme devant une superbe créature…
C’est alors que surgissent les défenses, les entreprises de démolition, parfois systématiquement méchantes des détracteurs.
Quelqu’un disait de Maurice Ravel, alors que l’on se délectait de sa musique, qu’il était un “masturbateur notoire”. Je me souviens de l’effet destructeur très efficace de ce genre de propos. J’ai souvent assisté à des démolitions d’artiste très virulentes. Finalement, j’ai vite estimé toutes ces querelles ridicules. Je me disais : “Pourquoi tant de haines ?”. Comme il est facile de tirer à boulets rouges sur quelqu’un qui n’est plus là pour se défendre. Comme on peut parler si mal de quelqu’un qu’on n’a jamais vu, ni rencontré, ni connu. Quelles lâches virulences contre ces génies assez adroits pour emporter leur mystère dans leur tombe. Les morts ne parlent plus, on peut les lapider…Leur mystère agace les jaloux, et les esprits pervers y trouvent leur pitance. Les petites commères qui s’ennuient de leur médiocre existence adorent s’intéresser à celle des autres, pour la dénigrer.
Les plus belles choses ont leur mystère, et cela semble insupportable pour certains de le respecter. Les démystificateurs se jettent sur leur proie facile comme des charognards. Qui connait vraiment la vie de qui ?
J’ai compris que chacun projette, sur les choses vibratoires du monde artistique, ses propres peurs, ses angoisses, ses frustrations. Toutes ces réactions sont souvent des défenses face à soi-même, à ses interdits, à ses tabous, à sa vision “ idéalisante ”, à la peur de soi-même, la peur du regard des autres, la peur de ses propres ambiguïtés, TOUT CELA transformé d’un coup, en peur de l’autre. L’autre que je dois démolir car il me déstabilise. L’autre, dont je peux supposer tout ce que je veux, puisqu’il n’est plus là, ah ! ce bouc-émissaire idéal !
Si je le lapide, on pensera que je suis honnête et droit tel un justicier valeureux ! La démolition artistique est, je le crois, toujours une projection due à une peur de soi-même. C’est comme l’impudeur de l’amour face au puritain. C’est comme le riche devant le pauvre. Comme le pauvre dérangeant les riches. C’est comme le beau au milieu des médiocres. Comme l’être libre devant celui qui est coincé. Comme le doux plaisantin au milieu des sérieux et austères intellectuels. Comme le fou devant les sages. Comme la dérision face à la discipline. Comme la douceur face à la sévérité. Comme le vivant devant les morts. Comme l’innocent au milieu des coupables. Comme Jésus devant les “justes et les bien-pensants”. La confrontation semble insupportable. Voilà pourquoi on ne peut pas écouter tranquillement Sinatra, parce qu’il eut de mauvaises fréquentations. Lire Céline, parce qu’il fut antisémite. Ecouter les madrigaux de Gesualdo, parce que supposé meurtrier sado-maso. Ecouter Carl Orff, parce qu’il exécutait des commandes des nazis. Lire Montherlant, parce qu’il n’aurait pas été clair dans sa vie amoureuse, etc., etc.

Pourtant, quelqu’un disait :“Si tu n’aimes pas cela, n’en dégoûte pas les autres  !” Il a raison  ! Laissez-nous rêver, que diable  ! Si nous avions dû attendre de recevoir le beau d’un être pur, aux mains propres, nous serions tous devenus des monstres. Rien n’est pur sur cette terre, et les gens qui nous ont laissé des merveilles ne le sont pas davantage. Nous ne sommes pas nés d’une vierge, n’avons-nous pas le droit de vivre dans la joie ? Si le prêtre est un pécheur, doit-on refuser le corps du Christ de ses mains impures  ! Si l’artiste nous fait rêver, doit-on d’abord le faire passer par le tribunal de l’Inquisition avant d’accepter sa douce invitation  ! Qu’importe le flacon, pourvu qu’on ait l’ivresse  ! N’en déplaise aux justes, et aux pisse-vinaigre de toutes sortes, à tous ceux qui se contorsionnent sur le passé pour nous empêcher de déguster notre présent.
"Il faut être toujours ivre", écrivait Baudelaire.
Tout est là : c’est l’unique question. Pour ne pas sentir l’horrible fardeau du Temps qui brise vos épaules et vous penche vers la terre, il faut vous enivrer sans trêve…

 
 

Charles Baudelaire.

Voilà ma conclusion, qui est celle de Baudelaire. J’entends déjà le tumulte et le fracas de ceux qui verront dans ce texte une incitation à vivre avec un penchant pour l’alcool. Un imam disait récemment à la radio qu’il faut être fou pour s’appuyer sur les dire de celui qui boit du vin, je lui répondrais que je me méfie beaucoup plus de celui qui ne boit jamais de vin. Cette abstinence forcenée ne peut que le rendre méchant et, en tout cas, trop sérieux, et, son regard sur autrui ne sera pas souple ni humain, mais plutôt celui d’un juge ou d’un accusateur.
Un élastique ne peut pas rester tendu sans cesse, et s’il ne se détend jamais, il casse. Il en est de même pour la nature humaine.
J’aime beaucoup laisser résonner pour toujours cet “ENIVREZ-VOUS” (1) de Baudelaire comme la merveilleuse réponse à tous ceux qui veulent nous empêcher de rêver. (Baudelaire, qui, d’ailleurs, ne s’est pas limité au vin, je crois… Au fond, ai-je le droit de rêver avec Baudelaire, cet être parfaitement immoral  ?)
“Enivrez-vous  ! Enivrez-vous sans cesse  ! De vin, de poésie ou de vertu, à votre guise”. N’en déplaise aux vautours et aux chacals  ! Ajouterais-je.

(1) Enivrez-vous, poème en prose XXXIII, extrait de Le spleen de Paris de Charles Baudelaire :
“Il faut être toujours ivre. Tout est là : c’est l’unique question. Pour ne pas sentir l’horrible fardeau du Temps qui brise vos épaules et vous penche vers la terre, il faut vous enivrer sans trêve. Mais de quoi ? De vin, de poésie ou de vertu, à votre guise. Mais enivrez-vous. Et si quelque fois, sur les marches d’un palais, sur l’herbe verte d’un fossé, dans la solitude morne de votre chambre, vous vous réveillez, l’ivresse déjà diminuée ou disparue, demandez au vent, à la vague, à l’étoile, à l’oiseau, à l’horloge, à tout ce qui fuit, à tout ce qui gémit, à tout ce qui roule, à tout ce qui chante, à tout ce qui parle, demandez quelle heure il est ; et le vent, la vague, l’étoile, l’oiseau, l’horloge, vous répondront : ”Il est l’heure de s’enivrer ! Pour n’être pas les esclaves martyrisés du Temps, enivrez-vous ; enivrez-vous sans cesse ! De vin, de poésie ou de vertu, à votre guise.”