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Articles sur Montherlant (hors presse)

27. L’Abbé Rivière, “fils de la solitude rustique”, ange tutélaire de Montherlant

1) Casy (Casimir) Rivière (14 juillet 1905 - 2 août 1987) était né dans le département de l’Ariège à Castelnau Durban, commune de 422 habitants. A sa naissance, cette commune en comptait encore 1200.
Ce prêtre “aux idées marginales” pour son époque était très aimé par plusieurs artistes dont Jacques Brel, Mauriac, Claudel et Montherlant.

 
 

L'Abbé Casy Rivière

C’est à l’Abbé Rivière que Montherlant dédie en août 1951 sa pièce La Ville dont le Prince est un enfant. Voici ce qu’il écrit dans la dédicace :

“En 1947, tout inconnu de moi, vous sonniez à ma porte ; et c’était pour me dire que, ayant pris les ordres à quarante ans, Aux fontaines du désir était une des influences qui vous avaient mené à la vocation sacerdotale. “Tout est grâces”, m’expliquiez-vous. Les derniers mots du curé de campagne de Bernanos… (…)

J’aurais pu, Monsieur l’Abbé, dédier cette œuvre à tel ecclésiastique de ma connaissance, de qui le nom célèbre, la recouvrant, eût suffi pour qu’elle fût reçue avec sérieux et approbation. Mais j’ai aimé qu’une œuvre dont je puis bien dire qu’elle a été écrite à genoux invoquât moins ce qui trône dans les hauteurs que ce qui se cache dans les retraites et les ombres de la charité. J’aurais pu aussi dédier La Ville à un des prêtres, et ils sont nombreux, qui m’ont fait l’honneur de laisser représenter La Reine morte et Le Maître de Santiago par les élèves des collèges qu’ils dirigeaient et ne puis-je rappeler, en passant, que j’avais donné à une maison religieuse de jeunes demoiselles l’autorisation de créer cette dernière pièce ? Mais c’était courir le risque que le public vit en ce prêtre un informateur, sinon un modèle, puisque La Ville met en scène deux prêtres de collège. Le malentendu n ‘était pas possible avec vous, fils de la solitude rustique, et qui, pour autant que je sache, n’avez jamais exercé votre ministère dans un établissement d’éducation. Vous m’avez écrit : “Tout observateur du cœur humain, si éloigné de Dieu qu’il soit, sert la Vérité”. Tout écrivain observateur du cœur humain, et qui a le courage - toujours puni - de reproduire sans omission prudente ce qu’il y voit, sert la vérité humaine. Mais sert-il “la vérité catholique” ? En écrivant La Ville dont le prince est un enfant, j’ai servi assurément la vérité humaine. Si, de surcroît, j’ai servi la “vérité catholique”, je veux dire : si, en refermant mon livre, le lecteur éprouve plutôt de la sympathie que de l’aversion pour cette cellule du monde catholique, que j’y ai dépeinte avec honnêteté et respect, alors, monsieur l’abbé, votre nom sera doublement justifié au front de cette seconde Relève du matin, écrite par un homme “fidèle comme il n’est pas permis de l’être”.

Lorsque Montherlant écrit ce texte, l’abbé Rivière est curé de La Bastide de Besplas en Ariège.

L’abbé Rivière est une des très rares personnes à qui une œuvre de Montherlant fut dédiée. L’abbé et Montherlant se sont écrit une centaine de lettres durant une vingtaine d’années. L’abbé Rivière rendait de fréquentes visites à Montherlant à Paris .

 

2) Jacques Brel était aussi un grand ami de l’abbé qu’il rencontrait fréquemment. Il a écrit une strophe de sa chanson (Le Moribond) à son intention :

“Adieu Curé, je t’aimais bien
Adieu Curé, je t’aimais bien, tu sais
On n’était pas du même bord
On n’était pas du même chemin
Mais on cherchait le même port.”

3) Voici ce qu’écrit Joël Fauré, spécialiste de Jacques Brel et de l’abbé Casy Rivière sur son blog :

“Je ne reviendrai pas sur la vie de Casy Rivière - (s’il était toujours parmi nous, les églises ne se videraient pas autant) - que j’ai très bien connu. Casy Rivière et Jacques Brel entretenaient une amitié profonde. Ils se sont rencontrés souvent.
J’ai visité Casy, à la fin de sa vie, et c’est toujours l’âme lavée et parfumée que je prenais congé de lui. Je le revois, du haut de l’escalier, me dire : “Tu reviendras me voir, dis, tu reviendras me voir ?”
Je quittai cet homme à qui je venais de faire l’accolade, accolade qu’il avait lui-même donnée à Claudel, Montherlant, Mauriac, Kessel
… J’étais l’homme qui a vu l’homme qui a vu l’ours.
Jacques Arlet, qui a consacré une biographie à Casy Rivière (
“Curé en Ariège et ami des poètes. La vie de Casy Rivière”, Editions Loubatières, 1992) m’a dit regretter que Casy Rivière, bien que grand épistolier, n’ai pas plus écrit, romans s’entend…

 
 

Joseph Delteil.

4) Joël Fauré rapporte aussi le témoignage de l’écrivain Joseph Delteil (1894-1978), écrivain admiré par Montherlant (1) (2), au sujet de l’Abbé Casy Rivière :

“Qui n’a rêvé d’un prêtre qui aurait des ailes, mais des ailes dans sa poche, et qui en réalité marcherait à pied à coté de nous la main dans la main, d’un prêtre qui porterait auréole et sacrée houlette, mais aussi qui saurait nous accueillir en sandales et les yeux clos, et nous offrir le sel et le miel les plus terrestres, quand nous rentrons au bercail peut-être une épine en travers de la gorge et la tête basse, et que ruisselle sur nous je ne sais quelle grâce plus bénite que toutes les eaux bénites, plus physique et métaphysique. Quand j’ai connu l’abbé Casy Rivière, il m’a semblé trouver le prêtre absolu. Ce que j’ai senti d’emblée dans mon âme et comme un rare événement, c’est la fraternelle confiance, la sainte foi, la communion. J’ai su, par illumination que, lui, avait choisi entre la lettre et l’esprit. Qu’importe la pieuse formule bureaucratique, le formalisme de la parole et de l’encre quand il s’agit des choses du cœur. C’est la bataille entre le brave scribe, prisonnier du texte, et le libre héros de l’aventure et de l’amour. L’abbé Casy Rivière à mes yeux a toujours fait fi des apparences, et des menues prescriptions de la Sacrée Congrégation des Rites, pour courir droit au but, c’est-à-dire au salut. A grands pas. Ce n’est pas une étiquette que l’homme de Dieu mais un homme complet avec tous ses apanages. Ce n’est pas un simple numéro de la liste mais un tempérament authentique avec des épaules de quoi nous faire la courte-échelle d’ici bas au très haut paradis (les couleurs de la gorge présagent les couleurs du Ciel), avec escale s’il y a lieu dans les jardins de l’art et de la pensée. Mais soyez sûr que si l’abbé Casy a eu le privilège de fréquenter des hommes comme le grand Claudel, Jacques Brel et Montherlant, c’est pour en butiner les valeurs et en enrichir son étendard. J’aime la joue joufflue et le pas astral quand il s’agit d’escalader les commandements de Dieu. Et la main la plus tendre pour bercer les misères et les infortunes humaines.”
(Joseph Delteil)

Notes

(1) Voici quelques phrases de Montherlant sur Joseph Delteil : “Il jouit, il s’amuse de jouir, il s’enivre que tout soit si facile et, dans son exaltation, ne se retenant plus, vous allez le voir, le taureau dompté, enlever sa montera (chapeau du torero) et l’accrocher à une corne ; je veux dire que vous allez le voir faire quelque extravagance littéraire de cette sorte, parce qu’elle est, comme ce geste absurde.”

(2) Lire aussi deux articles de Montherlant sur Joseph Delteil
     a) Dans la revue Chantecler, “Sur Delteil, les matadors”, 22 juin 1929
     b) Dans la revue Le Jour, “Justice pour Delteil”, 27 avril 1934

5) Un dialogue (publié par La Dépèche du Midi en octobre 1972) entre le philosophe Jean Guitton et l’abbé Rivière au sujet de Montherlant :

Guitton : La mort de Montherlant nous a consternés, cher ami. Je vous en vois bouleversé - comme elle a consterné tous ses amis chrétiens - Car Montherlant avait beaucoup d’amis parmi les catholiques. Son cœur était fidèle à sa première éducation, à sa foi qu’il a si magnifiquement chantée dans ses premiers livres, Le Songe et La Relève du matin. Vous étiez, cher ami un de ses amis chrétiens. Et davantage : vous étiez l’ami prêtre. Ce prêtre ami chaque fois que Montherlant me voyait, il me disait en guise de salut : Comment va le cher Casy ? Et il me parlait de vos visites, de vos lettres, de vos problèmes, du problème de sacerdoce surtout. Je me rappelle un de ses derniers entretiens à votre sujet. Il me disait : “Quelle solitude dans le sacerdoce, surtout quand on est curé de village comme Casy ! Pourtant il me semble que les prêtres ne devraient pas abandonner leur célibat qui est leur force, leur crucifiement et leur grandeur.”
J’imagine, cher ami, que la mort cruelle de ce grand de lettres a été pour vous une profonde douleur. Je vois votre abattement au retour de l’incinération. Je vous avais répété ce joli mot de lui, après une de vos visites : “J’ai l’impression que chaque fois qu’il me quitte, Casy pense que c’est la dernière fois, et qu’il regrette de n’avoir pas pu me donner l’absolution !” Je sais que ce matin (jour de l’incinération), vous avez tracé le signe de croix sur ses restes et que vous avez dit le Notre-Père.

Casy Rivière : J’étais très peiné ce matin, bouleversé en priant pour lui. Vous savez ces regrets que l’on a de n’avoir pas fait tout ce qu’on a pu pour les amis disparus…

Guitton : Je puis vous dire ce que Montherlant me disait après vos passages à Paris : Ce cher Casy a vu que j’étais malade : il a bondi de son Ariège à Paris. C’est très beau et ça m’a beaucoup touché. Mais s’il avait voulu me donner les sacrements, je lui aurais dit : Ami, laissez-moi seul avec Dieu. Dieu et moi, cela suffit.

Casy Rivière : J’ai une centaine de lettres de lui, toutes remplies de sa faim de Dieu

Guitton : Je ne peux pas ne pas penser que le courage pour lui eût été de vivre même aveugle, d’assumer sa cécité, comme Homère, comme Milton. Il pouvait encore nous donner de grandes et belles œuvres. Mais il y avait en lui deux hommes : le personnage hautain qu’il jouait, accablé par le spectacle du monde (En prison ! En prison pour médiocrité !), et l’homme que vous et moi avons connu, affable, courtois, délicat. Il y avait aussi le poète, l’artiste qui avait tout sacrifié à son œuvre. Il était un chaos de contradictions (Le Chaos et la Nuit). Il avait, comme nous tous, ses sommets et ses gouffres. Vous, pauvre petit curé de France, vous représentiez à ses yeux peut-être ce qu’il avait rêvé d’être sans le pouvoir. Et je témoigne qu’il vous aimait : Alors, que devient Casy ?

Casy Rivière : Pendant la désespérante cérémonie de ce matin (l’incinération), je me redisais le passage d’Isaïe : Fils de l’homme, crois-tu que ces ossements puissent revivre ? Les cendres aussi refleuriront, quand se lèvera enfin le grand jour de Dieu. Toute chair sera réveillée et rachetée.
Il me semble qu’avec la mort de Montherlant, un peu plus de nuit est descendue sur le monde. Et je pense tout à coup avec une illumination de joie et d’espérance, à la dernière réplique de Port-Royal :

“Je pense que la nuit qui descend sur le monde finira comme toutes les choses humaines, et la vérité de Dieu demeurera éternellement et continuera jusqu’à la fin à délivrer les hommes qui ne peuvent être délivrés que par Elle.”

 
 

Henry de Montherlant.

6) Autre témoignage de l’abbé Casy Rivière sur Montherlant, daté du 8 octobre 1972

“Hier soir, j’ai été atterré par la tragédie de cette mort. J’ai souffert en moi, et en prêtre de Jésus-Christ. Depuis plus de vingt ans, il y avait entre Henry de Montherlant et moi un dialogue, un échange de pensées, une communion. “Il vous aimait beaucoup, il me parlait souvent de vous”, me disait, ce matin encore, Jean-Claude Barat, son légataire universel. Je l’ai beaucoup aimé. J’ai beaucoup prié pour lui. Ni mon amitié ni ma prière n’ont été assez puissantes. Cette mort me réapprend que nul ne force le choix de Dieu, et que si nous pouvons beaucoup pour nos frères, c’est dans une mesure qui ne dépend pas de nous. Je pense au mot de Pascal : “C’est mon affaire que ta conversion” (Le Mystère de Jésus). Je continue à croire que tout est grâces, que les chemins de Dieu ne sont pas nos chemin, que nous n’avons pas à juger, encore moins à condamner, et que, comme le décrit Mgr Rigaud : “La miséricorde de Dieu peut prendre des voies qui ne sont pas les nôtres”.

Le cher Mgr Laugague m’écrivait un jour : “Continuez à voir Montherlant, à lui écrire… Qui sait ? , Le jeu ne durera peut-être pas toujours…”
J’écris ces choses chez Jean Guitton où je me suis littéralement réfugié après l’angoissante cérémonie du Père-Lachaise. “C’est atroce”, me disait Jean Dutourd qui était à côté de moi dans la crypte, pendant l’incinération. J’écris ces choses parce que je veux témoigner que cet écrivain royal (le plus grand de ce temps), qui déclarait n’avoir pas la foi, était littéralement obsédé par Dieu. Il ne me parlait que de Jésus-Christ et de son Eglise au cours des nombreux entretiens que nous avons eus (et tout au long de la centaine de lettres que je possède de lui où le mot religieux revient à tout instant).

Je veux attester aussi qu’il était bon, généreux et que j’ai de lui le souvenir d’un grand nombre de délicatesses. (…). Nos entretiens portaient sur ses deux amours refoulés, ses deux obsessions : Dieu et son Eglise. A tel point qu’il croyait devoir s’en excuser et m’écrivait un jour : Comment vous expliquez-vous qu’un incroyant comme moi soit ainsi attiré par tout ce qui touche le catholicisme et souffre tellement en ce moment au spectacle de la religio depopulata ?

Et encore : Vous avez la foi qui est une si grande chose . Et encore : Tout ce qui existe chez vous n’existera bientôt plus nulle part ailleurs.

Montherlant était un tourmenté, un inquiet. Je l’ai toujours connu affamé, malheureux. Nul écrivain de ce siècle n’aura connu sa gloire. Il était fêté, adulé, recherché. A la première de La Ville, les journalistes parisiens, à qui il m’avait présenté, me posèrent cent questions sur sa vie, son œuvre, sa foi, me disant ma chance de pouvoir l’approcher. J’en étais ému jusqu’aux larmes.

Montherlant était un homme bon. Et la gloire était pour lui une poussière avec laquelle il jouait.

J’ai l’impression qu’il résistait depuis longtemps à la tentation de mettre fin à ses jours. Il a dû céder à un mouvement de vertige. Mais quelque chose me dit qu’il a fait le signe de la croix avec son revolver. Et il a dû dire : O mon Dieu, enfin, Vous et moi !

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