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Articles sur Montherlant (hors presse)
25. Montherlant vu par le peintre Mac’ Avoy, ami et dernier visiteur
Aucun des peintres qui m’ont illustré n’a fait plus que lui une œuvre proche de mon cœur. (Montherlant, Tous feux éteints, 3 novembre 1968)
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Henry de Montherlant peint par Edouard Mac' Avoy.
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1. L'ami de Montherlant
Edouard Mac’ Avoy (1905-1991) a très bien connu Montherlant, ayant effectué son portrait (130 x120 cm) (commencé en juillet 1949 et achevé en 1950), et illustré plusieurs éditions originales de Montherlant dont une édition de La Ville dont le Prince est un enfant, une superbe édition du Paradis à l’ombre des épées, paru en 1952 (Société des amis du Livre moderne), une magnifique édition originale illustrée des Garçons, qui paraîtra en 1973 chez Gallimard, et dont Montherlant n’a vu que les dessins en projet, vu que cette édition Gallimard ne sortira qu’après le suicide de l’écrivain.
2. Qui est Mac' Avoy ?
Mac’Avoy, né à Bordeaux, fut professeur à l’académie de la grande-Chaumière de 1943 à 1958, puis à l’académie Julian de 1959 à 1970. En 1962, il fut le premier lauréat du grand Prix des “Peintres témoins de leur temps”. Il était président du Salon d’Automne, et président de la Fédération des Associations d’Arts graphiques et plastiques. Outre le portrait d’Henry de Montherlant, il a réalisé les portraits de nombreuses célébrités, notamment ceux de Jean Cocteau, Somerset Maugham, Jean XXIII, Arthur Honegger, André Gide, Pablo Picasso, Marcel et Elise Jouhandeau, François Mauriac, Paul Fort, Romaine Brooks et Natalie Barney, Maurice Béjart, Arthur Rubinstein, Eugène Ionesco, Louise de Vilmorin, Michel Tournier, l’Impératrice d’Iran, etc… Tous ces portraits sont aujourd’hui répartis dans les musées du monde entier.
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François Mauriac peint par Edouard Mac' Avoy.
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3. Oeuvre picturale de Mac' Avoy
L’œuvre picturale n’est cataloguée qu’à partir de 1936, année où il choisira sa propre voie dans la peinture contemporaine, celle du portrait.
Le peintre Paul-Albert Laurens (1870-1934), ami d’André Gide, fut un des professeurs de dessin de Mac’Avoy à l’académie Julian.
Mac’Avoy épousera en 1937 Anne de Neuville, fille du capitaine Yves de Neuville qui commanda au fort de Vaux, et fut tué en 1916. Le couple eut trois enfants.
Durant la seconde guerre mondiale, Mac’Avoy est maréchal des logis dans la 5ème Division d’infanterie motorisée (il recevra la croix de guerre 1939-1945). Edouard Mac’Avoy est d’origine écossaise ; ses ancêtres s’étaient réfugiés en France après la dispersion de la cour de Jacques II d’Angleterre. Cette famille occupa le château de Cuissy (près d’Orléans), propriété du grand-père de l’artiste. Le grand-père maternel (de Cazalet) était pasteur ; il consacra beaucoup de temps et d’argent à collectionner les éditions originales des principaux écrits jansénistes. Cette collection qui fut conservée par Edouard Mac’Avoy, reste une des plus complètes jamais constituées et devait intéresser vivement Henry de Montherlant auteur d’un Port-Royal admirable.
Jeune homme Mac Avoy est un grand ami des princes roumains Cantacuzène, dont un des fils (frère de son ami Andronic) se suicida à 17 ans pour des raisons inconnues.
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Le Pape Jean XXIII peint par Edouard Mac' Avoy.
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4. Le plus clair de mon temps
Dans son Journal de 380 pages écrit de 1926 à 1987, intitulé “Le plus clair de mon temps”, titre que lui avait suggéré l’écrivain Michel Tournier de l’académie Goncourt, édité chez Ramsay et paru en 1988, Mac’ Avoy relate plusieurs rencontres avec Montherlant. Il fut le dernier visiteur à l’avoir rencontré le 21 septembre 1972, jour du suicide. Il confie à son Journal qu’il a “craqué” le jour de l’incinération du corps de Montherlant au Père-Lachaise le 28 septembre 1972, par un matin superbe. Voici un extrait de ce passage du Journal (page 314) :
Les portes de bronze, immenses, lourdes, se referment sur nous, Genevoix, Thierry Maulnier, Roger Caillois, Claude Gallimard, Pierre Dux, Jean Meyer… Le silence est total. Enfin, commence un vrombissement sourd, qui durera cinquante-sept minutes insoutenables, de tension sans espoir, sans musique. Pas une parole, pas une note de musique ne viennent alléger le poids de ces minutes, et nous distraire de ce lourd et terrible vrombissement. Il y a là dans la travée voisine, un homme d’une quarantaine d’années et une dame âgée : Jean-Claude Barat et sa mère : Mme Lauze. (Ce sont les seuls héritiers de Montherlant)
Mme Lauze m’embrasse : “Il nous parlait si souvent de vous”.
Jamais Montherlant ne m’avait parlé de ses plus proches. Tel il était.
Ainsi est poussière celui qui fut un écrivain glorieux. Je vois mal. On se bouscule. Le petit groupe remonte à la surface, revoit le soleil sur les arbres et le matin d’automne… Une foule anonyme nombreuse, recueillie, est là. Mes nerfs lâchent. Je sanglote. Montherlant supporterait-il ces larmes ?
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Elise et Marcel Jouhandeau peints par Edouard Mac' Avoy.
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5 Les autres extraits du Journal d’Edouard Mac’Avoy
27 décembre 1948 (page 168)
Dîner avec Montherlant chez Solange Doumic. Sa présence n’est pas brillante : elle est solide. Il ne dit rien d’extraordinaire, mais il est là, fortement là. Il ne se place pas, comme Cocteau, en flèche, à l’avant de son œuvre, il se dérobe orgueilleusement derrière elle. Son attitude semble dire : “Je me refuse à être intéressant par moi-même. Recherchez-moi à travers Montherlant”. Il élude la conversation sur le thème “hérédité”, sur “le croyez-vous à l’hérédité ? “que cherche à provoquer Solange Doumic.
J’avoue que je n’ai pas d’idées là-dessus bien précises… Je n’y ai jamais réfléchi, d’un air de dire : “Ce que je pense, ce à quoi je réfléchis, vous le trouverez dans mes livres. Ici, je viens dîner, foutez-moi la paix ;”
Mais il se plaît à l’anecdote, au petit fait précis. C’est une chose remarquable, combien les hommes voués à une œuvre haute s’intéressent, aiment le fait précis, petit, mais très précis. Je suis frappé chez les esprits vastes, d’un certain goût de minutie.
Alors, il raconte comment un monsieur, au lendemain d’une représentation de Fils de personne, lui téléphone : - “Monsieur, mon fils ressemble à un tel point à votre Gillou que je me permets de vous envoyer deux bouteilles de Pikrina !” Il s’intéresse de près à son jeune interprète (treize ans) qui, balloté entre père et mère séparés, vit en définitive tout seul, dans une chambre de bonne d’un quelconque immeuble et descend prendre ses repas chez la concierge. Tout le monde se récrie : Pauvre enfant ! Mais Montherlant, ravi, prétend le gosse heureux comme un roi, puisque délivré de sa famille : Bonheur de l’homme sans famille. Bonheur de l’homme sans Dieu. Bonheur de l’homme sans amour.
12 et 13 juillet 1949 (page 178)
Séance de pose avec Montherlant. Affirmation un peu ostentatoire de sa virilité. La démarche pesante, rythmée, surveillée…
Février 1950 (page 182)
Montherlant vient voir la mise en place de son portrait. La pose lui plaît fort.
- Il y aura des coups de revolver de femmes, dit-il, et pan ! pan ! pan ! sur le misogyne ! sur l’homme qui ne sait pas aimer !
Au moment précis où il prononçait cette phrase, je l’ai regardé, me demandant comment il aime, en effet, et qui ? En lui montrant le portrait de Gide, ses demi-valeurs, sa couleur insidieuse, je dis à Montherlant que Gide me répétait :
… Surtout, que je demeure irrésolu !
Et j’ajoute : Quelle savoureuse opposition formeront ces deux portraits : le vôtre, rouge sang et bronze vert, cette attitude, prêt à bondir !
Mais je suis certainement plus irrésolu que Gide, me répond Montherlant. Mes hésitations, mes tergiversations, mes fiançailles rompues, renouées… Vous n’imaginez pas ce que c’est. Et à propos de tout…
Maurice Pierre survient, tandis que nous prenons une tasse de thé. Il dit à Montherlant :
- Vous êtes le dieu de mon fils.
- J’explique que Bertrand est un grand alpiniste.
- Il rêve de vous emmener un jour sur un sommet, ajoute Maurice…
- D’abord, dit Montherlant, il me le propose vingt ans trop tard. Mais de toutes manières, je déteste la montagne, je déteste la mer, je déteste la nature… Je déteste même l’air !
7 juillet 1958 (page 208)
Montherlant (il y a quelques minutes, en présence du colonel Sicklès), et devant deux de mes dessins) :
Dans un monde raisonnable ce qui n’est pas le cas si La Ville doit être illustrée, c’est comme cela. La Ville, c’est cela. Il est impossible que qui que ce soit de sensible à la pièce ne soit pas sensible à ces dessins-là. Je trouve ces dessins purement admirables, et vous savez que je ne suis pas peloteur… Que je ne sais pas dire la chose aimable… Que même quand je voudrais la dire, ça ne vient pas. Je ne désire rien, mais que Mac’Avoy illustre ces deux textes avant ma mort me serait une grande joie.
23 juillet 1958 (page 208)
Montherlant me raconte qu’il a passé trois mois à relire son œuvre, à raison de quatre fois chaque page, pour apporter le plus souvent d’infimes corrections, à peine sensibles, “dont personne ne tient compte…”
- Sauf, dis-je, la postérité, chargée de rétablir les justes valeurs.
- La postérité, dit Montherlant, est aussi injuste que le temps présent. Je pourrais citer nombre d’auteurs, parmi les plus grands, nombre d’œuvres consacrées, archiconsacrées par la postérité, taboues devant la postérité et qui ne valent rien…
- Par exemple ?
- Mérimée, ce n’est rien. Gérard de Nerval, rien. Et croyez-vous que Le Bourgeois Gentilhomme soit un authentique chef d’œuvre ?
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André Gide (portrait définitif).
Ce portrait est l'un des plus importants de l'œuvre de Mac' Avoy.
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30 juillet 1958 (page 209)
Sans doute est-ce ce soir, mercredi 30 juillet, que Montherlant est devenu un ami. Nous dînons, à la Closerie, de fonds d’artichauts et de poularde au foie gras. Il fait beau, le restaurant convient à Montherlant. Il y a de l’air, et pas de musique, de sorte que la conversation prend un ton d’intimité et de confiance. Laisser voir ses contradictions, c’est consentir à être vrai. Sans cesse, je le surprends en flagrant délit d’illogisme. Il en convient. Sur le chapitre de l’amour et de la jalousie, notamment.
- Les corps sont interchangeables, professe-t-il.
Seulement il me dit qu’on n’aime pas si l’on peut supporter que son amour prenne un bain de mer ou circule en voiture, sans mourir d’angoisse… Et en sortant de ce bain de mer, dis-je, vous supporterez allègrement que l’objet de votre amour vous trompe derrière un rocher ?
Le sentiment de la jalousie m’intéresse si peu qu’il n’y a pas trois lignes sur la jalousie dans toute mon œuvre. On m’a d’ailleurs reproché de n’avoir jamais aimé. C’est, après tout, possible.
Contradictions de Montherlant. Et puis, sa vulnérabilité. J’ai rarement connu individu plus sensible aux évènements politiques. Vulnérable aussi, à l’extrême, dans ses relations humaines :
J’hésite à faire un cadeau, de peur qu’on ne me remercie pas, ou mal, ou trois semaines trop tard…
Que le jeune Belge qui a enregistré La Ville, à qui Montherlant a offert un Balzac rare, ne réponde pas à une lettre récente où il lui demande de venir enregistrer le nouveau nom de Soubrier, l’indigne, certes, comme une muflerie, mais surtout lui fait mal.
Contradictions. Vulnérabilité. Tendance à se croire visé, objet de cabales. Il est certain d’avoir les communistes contre lui, parce que Montherlant. La droite contre lui, à cause de son attitude pendant l’Occupation. Et les juifs contre lui…
“Ce qui fait beaucoup de solitude. “
4 août 1958 (page 210) sur l’actrice Cécile Sorel
(note sur Cécile Sorel : Cette actrice (1873-1966) tint longtemps des rôles de grande coquette à la Comédie Française, puis se produisit au music-hall, avant de rentrer dans le tiers-ordre. Elle était l'épouse d'un Comte de Ségur. Mac’Avoy avait fait son portrait en 1956.)
Texte de Mac’Avoy :
Cécile Sorel est sans cesse préoccupée de Montherlant, que je ne parviens pas à lui amener, alors qu’elle le désire si fort… .
Et Montherlant, dis-je, aurait pourtant bien besoin d’une cure de Cécile…
“C’est vrai ! A tout prendre, répond Cécile Sorel, je ne connais rien de plus jeune que moi dans la vie !
Et Sorel veut savoir ce que Montherlant pense et dit d’elle. Ma foi, je n’en sais rien, mais il faut lui faire plaisir, et j’invente de toutes pièces :
“Il vous admire… Et davantage encore votre personnalité que votre talent. “Comme il a raison !, dit Cécile Sorel, je vaux mieux que tous les rôles que j’ai joués ! A commencer par cette petite idiote de Célimène…”
6 août 1958 (page 211)
Encore Montherlant ! En lui annonçant que M. Antoine Pol nous invite à déjeuner aujourd’hui chez Laurent, je devine son recul :
Un déjeuner ? C’est bien long…
Et je me demande ce que contient ce : “C’est bien long”. Ennui de déjeuner avec un monsieur qu’il ne connaît pas ? Certainement. Mais aussi crainte de ne pouvoir jouer un trop long temps son personnage ? Et en effet le “personnage “, chez Montherlant, “tient” un court moment. S’il est en confiance, il l’abandonne vite, et le voilà simple, gai, le verbe cru et dru…
A propos de La Ville (objet de ce déjeuner), beaucoup parlé de “l’adolescence vouée au mensonge”, dit Montherlant, et qui doit mentir puisque l’éducation, puisque les parents, représentent une ligne, et que la ligne de l’adolescence, c’est le zig-zag”.
Montherlant :
Si La Ville est une belle œuvre, c’est que toutes les notes furent prises sur le vif (j’avais seize ans, mais j’étais déjà romancier et je notais des propos exacts), et parce que je l’ai écrite dans ma maturité. Ainsi l’expérience était alimentée par des sources fraîches… Mon théâtre est un lyrisme qui fuit le lyrisme. Parce que mon théâtre est “écrit “, on parle de grandeur et de rhétorique, mais c’est un théâtre humain, autant que celui d’Henry Bataille, dont on n’ose même plus prononcer le nom.
22 juin 1961 (page 249-250)
Réconciliation avec Montherlant, ce matin. Il avait écrit à Antoine Pol, à propos du retard dans la parution de La Ville dont le prince est un enfant, une lettre affreusement désagréable, comportant, sous la plume d’un artiste, des phrases surprenantes dans le style : “Je réserve toute liberté quant aux suites à donner à cette affaire”. Phrases sinistres de gérant d’immeubles en bisbille avec un locataire. Mon “manque d’égards “m’avait valu, paraît-il, l’épithète de “goujat”. J’en exprime par pneumatique mon vif déplaisir à Montherlant, sans être vexé pour autant, car je discerne à merveille les mobiles de ses hargnes : le travail de La Ville n’a pas eu priorité absolue, n’a pas été l’objet de ma préoccupation exclusive. Le voici tout charme ce matin, s’excusant d’aberrations, de “trous”dont les causes sont pathologiques :
- Depuis mon insolation… dit-il sans cesse. Qu’est ce que cette mystérieuse insolation ?
Nous tournons les pages de La Ville. Montherlant aime presque toutes les lithographies. L’une d’elles représente Sevrais et Soubrier de profil, au moment grave du serment :
Leurs chevelures se rejoignent, dit Montherlant, comme des feuillages par-dessus les murs d’une ruelle, au Maroc…
Quand je prends congé, Montherlant :
Enfin, Mac’Avoy, dans cette époque où tout le monde triche, je pense qu’il est bon de compter encore quelques hommes tels que vous et moi…
3 août 1969 (page 278)
Conclusions, hier au soir, avec Orengo et Montherlant, des difficiles négociations autour d’une édition des Garçons, comportant des pages supprimées. Montherlant me dit :
Ce sera votre Sixtine ! Je me réservais d’ailleurs de vous dire, pour un jour où je vous cajolerais, que vous avez les mêmes initiales que Michel-Ange !
Cette nuit, impossible de dormir : j’avais le poids de cette Sixtine sur mes épaules…
9 avril 1972 (page 305)
“C’est en lisant La Marée du soir que j’apprends les réactions de Montherlant à l’accident au cours duquel il a perdu la vue de son œil gauche. Je lui écris : “Faut-il qu’amis depuis vingt-cinq ans, ce qu’il y a d’intime, de confidentiel dans une amitié, passe, de vous à moi par les chemins de vos ouvrages, et de moi à vous à travers des dessins qui vont être livrés au public. Ce à propos de quoi je n’avais jamais osé vous interroger au moment même de votre accident, je le sais trois ans après. Tel est notre étrange état d’artistes : nos pudeurs sont pour nos proches, et notre moi secret est dédié aux inconnus.”
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Edouard Mac' Avoy.
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Jeudi, Paris, 21 septembre 1972 : Suicide de Montherlant à 16 heures (pages 310 à 313)
(note : Mac’Avoy sera le dernier visiteur à voir Montherlant vivant).
Ce matin, je trouve Montherlant alourdi, sombre, revenant sans cesse sur sa “liste noire “, découragé, politiquement très pessimiste. Montherlant pénètre dans la pièce, éteint, pesant, le visage crispé. Rien n’apparaît de ce sourire d’accueil, du si grand charme qui était le sien. Il traverse lourdement le salon bordé de marbres et de pierres. Assis dans ce fauteuil de proconsul où il donnait une si forte impression de puissance, Montherlant demeure un instant prostré.
Je vais mal. Très mal. Il n’y a rien à faire. Morax (médecin) dit qu’il n’y a rien à faire. Je serai aveugle. Je ne le supporterai pas. Je vous l’ai dit en juillet : mes dispositions sont prises…
Une angoisse m’envahit, et ne cèdera qu’un moment. Montherlant reprend :
Vous n’êtes pas découragé, vous ? Tout ce que nous représentions : vilipendé, méprisé ou ignoré. Je suis sur la liste noire. Vous aussi, d’ailleurs, vous êtes sur la liste noire…
Et il ne vous suffit pas de savoir que vous êtes le plus grand écrivain français vivant ?
C’est bien ce qu’on ne me pardonne pas…
Vous dire que vous êtes certain de la postérité de votre œuvre ne vous suffit pas ? Il me semble que si j’avais cette certitude, j’atteindrais à la sérénité…
J’ai l’absolue conviction qu’il ne restera rien de ce que j’ai écrit. Rien.
Je m’acharne. Je reprends :
Et ce qui vous prouvera la valeur intemporelle d’un chef-d’œuvre tel que Port-Royal, c’est une expérience récente : j’assistai un soir, à une représentation de Hair. Demi-nus, ou nus, une horde de garçons et de filles, emportés par une musique torrentielle, tentaient de soulever un public qui demeurait de marbre… Le lendemain, au Français, j’écoutais Port-Royal. Quel sujet plus étranger à notre époque que le débat de conscience qui retient quelques religieuses, au XVIIè siècle, de signer un formulaire, dont personne ne sait plus ce qu’il contenait ? Or la salle, glaciale à Hair, était debout, et clamait votre nom… Montherlant réagit à peine :
De toute manière, c’est fini : je ne serai plus jamais joué. Vous verrez… Pierre Dux déteste la salle Richelieu. Il ne cherche qu’à quitter la salle Richelieu.
J’ai ouvert le carton qui contient les deux dessins que Montherlant voulait revoir :
C’est une chance, je les vois, ce matin. Je vois…
Le visage enfantin, à peine adolescent, de Serge, anime les traits effondrés de Montherlant. Il sourit vaguement comme de loin :
C’est adorable, adorable, cet appui du menton sur la paume de la main, et ce petit doigt dans la bouche…
Je montre alors le dessin représentant l’abbé de Pradts à l’agonie, tandis que les garçons jouent au ballon dehors et ces gestes de vie forment une farandole autour de la tête qui sombre :
C’est insoutenable, murmure Montherlant. Et dire que ça sera comme ça… .
Je retire le dessin.
Vous connaissez mes difficultés dès qu’il s’agit de parler des arts plastiques. Aidez-moi. Je voudrais compléter ce texte que je vous ai envoyé à Babou cet été : quelques notes sur vos conceptions d’illustrateur me guideraient…
Nous parlons alors de la date de parution des Garçons. Pendant la période à venir, cette période préélectorale, la France entière va être mobilisée par les élections. Et en octobre, où en serons-nous ? Vous ne croyez pas en une révolution ? Il me paraît inéluctable que tout ce qui se passe aboutisse à la révolution… Vous n’y croyez pas ?
Du fond de son désespoir, il semble que Montherlant appelle au secours, cherche à être rassuré.
Nous sommes dans l’entrée.
Pensez à ces notes, me demande Montherlant.
Je voudrais intervenir, le secourir. Je le sens affreusement seul. Au moment de venir lui proposer de venir le chercher, de l’amener déjeuner à l’atelier, pour tenter de l’arracher durant deux ou trois heures à lui-même, j’y renonce. J’ai conscience que cette proposition est inopportune, en porte-à-faux. Je dis simplement à Montherlant : - Comment vous êtes-vous organisé pratiquement, pour vos repas, par exemple ?
- Ma secrétaire est parfaite : elle s’est installée complètement ici. Vous savez que je ne peux plus aller jusqu’au restaurant du coin, de peur que ma nuit ne me prenne…
- Nous nous serrons la main.
- Au revoir. N’oubliez pas vos notes…
- Il est 13 heures moins 10.
Ce même jeudi, 21 septembre 1972 (page 313)
A 15h 55, Montherlant se tire un coup de revolver dans la bouche. Mlle Cottet (la secrétaire), entendant la détonation, se précipite. A 16 heures, Henry de Montherlant est mort. On m’a dit qu’il avait près de lui un autre revolver, et une ampoule de cyanure.
Vendredi 22 septembre 1972 (page 313)
Horrible journée. Bouleversé, douloureux, je suis tout le jour harcelé par les journalistes, la télévision, la radio, qui ont envahi l’atelier. Il faut parler, raconter… Je le fais dans une sorte d’état second. J’écris même un article pour Le Figaro du lendemain… Et cette journée de cauchemar s’achève après le dîner, par une émission avec Michel de Saint Pierre (cousin de Montherlant), chaleureux, mais qui déjà tend à faire de Montherlant une sorte d’angoissé de la foi, un catholique virtuel, qui, par orgueil, persiste à vouloir s’ignorer… Cet accaparement posthume contre toute vérité, m’agace, racheté par une admiration presque véhémente. Les journaux ne parlent que de la mort romaine de Montherlant.
L’émotion produite par cette mort est immense. On s’accorde à dire que cette mort confère à l’œuvre son authenticité. On croyait à je ne sais quelle supercherie. Le “romain” était contestable. Respect, admiration s’emparent de tous.
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Esquisse du portrait de Montherlant peint par Mac' Avoy.
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Samedi 23 septembre 1972. : Le Papillon blanc
Pascale et Dominique (les deux filles de Mac’Avoy) viennent déjeuner. Je suis anéanti. Le calme s’est fait. Le vide s’est fait. Le temps est magnifiquement beau. Une fenêtre de l’atelier est grande ouverte.
Après le déjeuner, j’ouvre Le Treizième César. Je lis à haute voix :
- S’il demeure quelque chose de moi après la mort, mes amis, je viendrai vous visiter sous la forme d’un papillon…
Dominique m’interrompt soudain par une sorte de cri angoissé :
- Papa, Papa… Regardez !
- Un papillon blanc, un grand papillon est entré par la fenêtre ouverte… Il vole à travers l’atelier, au dessus des plantes, semble vouloir en faire le tour. Enfin, doucement, le papillon se pose au sommet du grand paravent rouge et s’immobilise. Notre respiration est suspendue. Il nous semble que quelque chose de surnaturel vient de s’accomplir…
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Lettre du 13 mars 1973 de Mac'Avoy à un ami.
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Source de l'article : Edouard Mac' Avoy, Le plus clair de mon temps, 1926-1987, notes de Claire Paulhan, Edition Ramsay, mars 1988.
Site internet de Mac' Avoy : http ://www.mac-avoy.com
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