AccueilBiographieOeuvresBibliographieArticlesAudio & Video | ||||||||||||||||||
Articles sur Montherlant (hors presse)24. Montherlant vu par Roger Martin du Gard
Roger Martin du Gard est un écrivain français né le 23 mars 1881 à Neuilly-sur-Seine, mort le 22 août 1958 à Sérigny, près de Bellême (Orne) et il fut lauréat du prix Nobel de littérature de 1937. Dans le Journal de Martin du Gard, (tomes II et III, Gallimard, 1993), Montherlant est cité à partir de 1927. 1 Lettre de Martin du Gard à sa fille Christiane (1er novembre 1927), Journal II, p. 590“(…) Tu as tort de ne pas sentir l’extraordinaire qualité de Montherlant. Il n’a encore fait aucun livre définitif, mais je le crois un des très grands qui soient, en ce moment, probables. Il y a en lui une ampleur de résonnance qui sent le génie. De quel autre pourrait-on dire ça ? (…)” 2 Lettre de Martin du Gard à Maria Van Rysselberghe (7 juin 1936), Journal,II, p. 1188Je lis avec jubilation le nouveau Montherlant : Les Jeunes Filles. Jamais on n’a serré de si près l’incompatibilité essentielle du couple humain ! Et l’auteur y fait preuve d’une admirable impartialité. 3 Un extraordinaire portrait de Montherlant : Journal de Martin du Gard, tome III, p. 353-354), 10 octobre 1940(Montherlant à 45 ans, et Martin du Gard 59 ans) Nice 10 octobre 1940 Il y a plusieurs années qu’Henry de Montherlant et moi cherchions en vain à nous rencontrer. Il est à Nice, et, cette fois, nous avons pu nous voir. Le rendez-vous avait été pris, hier, à la terrasse d’un petit bar anglais du boulevard Victor Hugo. Je l’y ai trouvé, un peu endimanché, inquiet, nerveux, m’attendant devant un verre de porto. Je ne sais pas si on peut “faire amitié” avec Montherlant. Je croirais volontiers qu’il n’a pas de véritable ami. (Et qui sait s’il n’en souffre pas ?) Ce premier contact me laisse une impression confuse : intérêt, agacement, déception. Ce que je sens de si fraternel dans la majeure partie de ses livres (spécialement dans le Service inutile et dans la série des Jeunes Filles), je ne l’ai pas un instant retrouvé dans l’homme.
Il doit approcher de fort près la quarantaine. (Montherlant en réalité à 45 ans à cette date). Mais à première vue, il ne paraît pas plus de trente-cinqs ans. De taille moyenne, il est plutôt petit ; bien proportionné d’ailleurs ; à la limite du “costaud”. Un corps rablé, des épaules larges, une tête redressée, un front largement découvert, des cheveux bruns dressés en une brosse un peu agressive. L’allure générale est sportive ; ou mieux, militaire ! S’il était plus grand, plus dégingandé, on le prendrait pour un officier de cavalerie ; on le voit assez bien arbitrant un duel ; spadassin serait trop dire : champion d’escrime. L’ossature du masque a de la noblesse ; la saillie de l’arcade sourcilière, la courbe un peu bourbonienne du nez, l’évidement des joues, le dessin fier de la bouche, le menton volontaire ont une mâle beauté. Le regard est mobile, un peu dur, secret, avec de rares éclats de douceur. Le sourire est retenu, généralement voulu, d’une courtoisie de bon aloi, aisé, par instants plus spontané et d’un trait plus vif, parfois même enjolivé d’un soupçon de tendresse. J’imagine une sensualité rude et dominatrice, obstinée, distante et sans abandon, mais capable d’attachement accapareur et jaloux. La conversation s’est engagée sans effort. Il sait être simple et virilement cordial. Il pose peu de questions. Il parle volontiers de lui, de ses projets. Sans morgue, d’ailleurs, et sur un ton amical, naturel, qui fait accepter une naïve infatuation. Il affirme se tenir à l’écart de tout, lire à peine les journaux ; il a cependant une intelligente conscience des évènements, regarde les réalités en face, ne s’illusionne pas sur l’étendue et les conséquences de la débâcle, compare la France à un oiseau dans les serres de l’épervier. Mais il est visible que le désastre le touche assez peu, moins que ne ferait une rage de dents ou une menace d’appendicite (note 1). Il semble naturellement cuirassé contre les atteintes de tout cataclysme collectif par un égoïsme prémédité, hautain, inattaquable. L’important n’est pas que la France échappe à la servitude et les populations à la famine, mais que Montherlant garde une santé solide, mange à sa faim, ait assez d’argent pour vivre à sa guise, poursuivre en toute indépendance son œuvre et son plaisir. Il doit exceller d’ailleurs à justifier par de nobles prétextes la satisfaction de ses instincts profonds : si on lui reprochait son égotisme, il répondrait sans nul doute qu’il s’est fait un unique devoir de “se réaliser totalement”, etc. Ce qui me gêne le plus c’est de sentir que tout en lui est si solidement concerté. Il a réglé une fois pour toutes son attitude vis-à-vis de la société ; il se raidit avec dignité dans son personnage, soigne ses affaires et sa légende, organise au mieux le développement de son œuvre et l’extension commerciale de sa notoriété. Le côté vif argent, enfant terrible, poulain échappé, n’est pas le moins concerté de tous. Ses réactions brusques, ses sautes d’humeur, ses indignations explosives, ses professions de foi inattendues, ses outrances, ses coups de boutoir, le soin qu’il met à ne paraître lié par rien, à suivre en toute liberté ses impulsions les moins attendues, à ruer ostensiblement dans les brancards, ce plaisir qu’il éprouve à heurter l’opinion sans jamais outrepasser toutefois les limites d’une juste prudence, cette impertinente outrecuidance (qu’il affiche) à s’affirmer, envers et contre tous dans tous les domaines où les conséquences ne peuvent pas causer de graves dégâts, tout cela, qui se donne l’air d’être l’expression d’un tempérament puissant et d’une essentielle noblesse intérieure, tout cela est plus ou moins calculé, mis en scène et exploité avec maîtrise. Et tout cela diminue évidemment l’être véritable, l’être initial, l’être essentiel. Quel est-il ? Peut-on l’atteindre, l’amener à se découvrir, le libérer ? Peut on l’atteindre encore ? N’est-il pas si bien recouvert et camouflé qu’il ne se reconnaît plus ? Si bien, si épaissement revêtu par les apparences qu’il est devenu insaissable, qu’il n’existe plus qu’à peine, étouffé, atrophié, réduit à rien ? C’est la seule chose qui m’intéresserait si nos relations devaient se poursuivre : retrouver sous les faux semblants, sous les pétarades du feu d’artifice, sous cette seconde nature, l’homme sensible et vrai qu’on croit apercevoir à travers ses livres. Qui sait si sous cette trop brillante armure de chevalier il ne se cache pas tout simplement quelque bougre timide et tendre ? Un froussard peut-être, un défaillant, vaguement honteux de lui-même ? Un sensuel traqué, déformé par le port du travestissement ? Un cœur solitaire, qui se contracte douloureusement dans son isolement voulu et son secret ? Pour peu que vive encore en Montherlant l’enfant indécis et faible qu’il a pu être, je ne pense pas qu’il se laisse entrevoir, si l’occasion ne m’est pas donnée d’être mêlé à sa vie à quelque heure de défaillance et de drame intime. Dès le premier quart d’heure, j’ai eu cette intuition nette : cet homme ne doit pas avoir d’ami, on ne doit pas pouvoir faire amitié avec Montherlant. Mais j’aime assez la rudesse loyale de sa poignée de main. 4 Journal de Martin du Gard, tome III, p. 362, 16 novembre 1940, NiceRevu Montherlant. Il me dit : “Non, je ne ferai pas ma conférence à Nice. Ils ne m’offrent que la moitié de ce que je demande. Je ne fais pas de conférence à moins de trois mille.”
5 Journal de Martin du Gard, tome III, p. 709, lettre à Maria Van Rysselberghe, Figeac, 12 octobre 1944J’ai des amitiés dans le camp des indignes (note 3), qui me conduiraient infailliblement à des gestes de conciliation très malencontreux. Je préfère attendre et rester quelques semaines encore à l’écart, au dessus de la mêlée… Si je connaissais à fond les problèmes qui se posent (si je savais bien exactement ce qu’ont fait réellement des gens comme Fabre-Luce, comme Montherlant), je saurais l’attitude que je dois prendre, et m’y tiendrais. Mais, dans l’ignorance où je suis, de par mon absence, mon long isolement, il me faudrait m’en rapporter aux dires d’autrui, subir des influences que je suppose plus ou moins partisanes et passionnantes. Je serais abominablement tiraillé, écartelé. Je ne ferai sans doute que des pas de clerc et des sottises, dont j’aurais à me repentir. J’imagine que les coulisses de la N. R. F sont le théâtre d’intrigues, d’agitations, de papotages… 6 Journal de Martin du Gard, tome III, p. 956, lettre à Marie Rougier, Paris le 29 novembre 1951Au sujet de La Ville dont le Prince est un enfant J’avais lu sur épreuves la pièce de Montherlant. Je déteste ça. Et pas seulement parce que tous ces fantoches se hissent jusqu’à une région de l’absurde ou, si vous préférez, du “sublime”- à laquelle je n’ai pas accès. Tout me paraît faux dans cette pièce, la situation, les sentiments, les rapports des êtres entre eux, et les personnages (sauf le supérieur). La pièce est mal construite ; l’acte II est une suite de scènes de pure utilité, où rien ne sonne juste. Enfin, tout m’a semblé boursouflé ; sans vérité intérieure, et creux. Tout, sauf la scène finale entre le supérieur et le préfet, qui est admirable, et humaine. Et puis, qu’est-ce que cette maison d’éducation où les liaisons sont de notoriété publique, dénoncées en chaire, discutées publiquement, autant dire admises en principe ? Non et non ! (note 4) 7 Journal de Martin du Gard, tome III, p. 1045, lettre à Marie Rougier, le 1 décembre 1954Chère Amie, Je commence par une confidence. Ma journée a été toute vaniteusement embellie aujourd’hui par une lettre de Montherlant, ou plutôt par le post-scriptum : Je crois qu’il n’y a plus que vous qui avez de la dignité parmi les hommes de lettres français, et je le dis souvent. Notes de Henri de MeeûsNote 1Le désastre (de 1940) le touche assez peu écrit Martin du Gard de Montherlant, en octobre 1940. Montherlant a ressenti avec effroi et tristesse la défaite de l’Armée française en 1940. Il avait accompagné certain régiment au front (lire la biographie Guerre 40-45 de Montherlant, sur ce site) et avait vu le désordre généralisé, la panique, l’impossibilité des Français d’arrêter les Allemands. Voici ce qu’écrit Gide à Madame Van Rysselberghe (La Petite Dame) après un déjeuner avec Montherlant, le 9 septembre 1940 : “Montherlant est très conscient de sa valeur, ce qui lui permet un certain cynisme, et comme cette valeur est très réelle, on lui passe beaucoup de choses. Mais je ne me sens nulle envie de pénétrer plus avant dans son amitié, et puis il est un de ces êtres devant lesquels la préoccupation de comprendre et d’être intelligent m’empêche de comprendre ; je m’aperçois du reste que je n’ai rien à lui dire ; je trouve qu’il vieillit mal. On ne sent en lui rien de généreux. (Cahiers de la Petite Dame, III,p. 192). Il est comique de constater que Gide juge que Montherlant vieillit mal, alors que Martin du Gard, le même mois, donne à Montherlant 35 à 40 ans au maximum, et que Montherlant en a 45 en réalité. Montherlant a écrit “Tout ce qui n’est pas donné est perdu” Le portrait de Montherlant par Martin du Gard est remarquable quant à la description physique de Montherlant. On ne peut mieux le représenter. Montherlant ressemblait vraiment à un officier de cavalerie. Certains ont dit que Montherlant avait le même genre d’allure que celle de l’acteur Von Stroheim et du cinéaste Fritz Lang. Personnalités massives, d’un seul bloc en apparence.
Note 2Quelle consolation, en mourant, de pouvoir se dire : Ils ne s’attendent pas au beau scandale que je leur réserve encore ! aurait dit Montherlant à Martin du Gard le 16 novembre 1940, à Nice. Qui sont ces ILS ? Le public ? Ses lecteurs ? La société dans laquelle Montherlant refuse de s’intégrer ? Et quel type de scandale ? Quelque chose de choquant et d’inattendu ? Note 3J'ai des amitiés dans le camp des indignes. Montherlant ne subit aucune condamnation ni indignité à la Libération. Note 4La Ville dont le Prince est un enfant de Montherlant, critiquée par Martin du Gard, en novembre 1951. Cette pièce est détestée par Martin du Gard à contre-courant de la critique littéraire et du public qui firent un triomphe à cette œuvre depuis sa publication jusqu’à aujourd’hui. Note 5Ce bonbon est une bonne conclusion.Les deux grands écrivains avaient fini par s’estimer ! Œuvres de Roger Martin du Gard
Ces ouvrages sont édités par Gallimard. |
||||||||||||||||||
TOP MENU |