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Articles sur Montherlant (hors presse)

2. Montherlant vu par Julien Green

 
   

Extraits du Jounal de Julien Green, Pléiade, NRF

25 septembre 1972

“L’ombre affreuse jetée par le suicide de Montherlant. Il avait été d’une fermeté admirable quand Morax lui a annoncé la venue de la cécité totale. “J’admire votre courage”, lui dit Morax. “Pleurer ne rendrait pas la vue”, a répondu le vieux Romain, puisqu’il voulait être cela. S’il s’en était tenu là, il aurait forcé l’admiration de tous, mais il a refusé l’épreuve qu’on lui prédisait et qui oserait le juger ? Il a cru bon de se “supprimer” - comme si on pouvait… Nous sommes indestructibles. Quel chemin terrible il a dû faire pour en arriver à ce coup de feu de l’après-midi, dans son salon du quai Voltaire… La littérature et toute l’histoire de l’esprit sont pleines d’aveugles. Sans parler d’Homère, on peut se souvenir de Milton qui accepta la cécité en pleine force de l’âge, de Hegel, d’Augustin Thierry, mais le cas de Montherlant est très particulier. Il souffrait trop et il a eu l’affreux courage d’en finir sur terre en appuyant sur la gachette. “Dieu tient compte de ce courage là”, disait le père Couturier qui envoyait tout le monde au paradis. Puisse le pauvre écrivain s’y retrouver un jour.”

1er octobre 1972

“Beaucoup pensé à Montherlant. Ayant inventé un personnage tout de bravoure et d’éclat, il a fini par le prendre pour lui et s’y est conformé jusqu’à la fin. C’est le personnage qui a appuyé sur la gachette, non l’homme et il faut prier pour l’homme (…)”

“Pour la jeunesse, le bonheur, c’est jouir. Ne pas souffrir est le bonheur de l’âge. “C’est vaillance que vivre”, écrivait Montaigne. Pensé à cela à propos de Montherlant. Dans la France catholique du 29 septembre 1972, je relève cette phrase singulière sous la plume d’un chrétien : “… cette mort que je ne puis éviter d’admirer…”. Mieux vaudrait le silence.”

6 octobre 1972

“Jean Denoël sort d’ici, m’a longuement parlé de Montherlant… Je lui ai dit que tous nous étions capables de nous conduire comme lui, malgré l’âge, et qu’il fallait prier pour lui matin et soir. Le médecin qui l’a vu vingt minutes après le suicide a dit que le visage était intact, à peine un filet de sang était-il visible. La mort a dû être instantanée. Qu’en sait-on ? Il suffit peut-être d’un millième de seconde pour se voir mourir et regretter son acte. Il n’y a ni temps ni durée pour Dieu, ni pour l’âme à ce moment-là.”