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Biographie

1. Famille, enfance, adolescence

Enfance

 
 

Armoiries d’Henry de Montherlant
(Paris, 20/04/1895 - Paris, 21/09/1972)
Romancier, Essayiste et Auteur dramatique.
Membre de l’Académie Française
Fauteuil n°29 (1960)
© www.heraldique-europeenne.org

Naissance le 20 avril 1895, à Paris, dans un appartement du 11 bis avenue de Villars, de Henry-Marie-Joseph-Frédéric-Expédite, enfant unique de :

  • Joseph-Marie-Charles Millon de Montherlant (1865-1914)
    marié en 1894 à
    Marguerite-Marie Camusat de Riancey (1872-1915).

Le père de Montherlant est décrit par Faure-Biguet comme :

“(…) un petit homme au teint bistre, aux cheveux, aux moustaches et aux grands yeux noirs, aimant par dessus tout les objets d’art et les chevaux, faisant encore à cinquante ans de la haute école au manège. Il n’avait pas seulement l’aspect physique d’un Espagnol, il semble en avoir eu le caractère, taciturne et assez sombre. Il regretta, sa vie durant, de n’avoir pas été officier de cavalerie”. (Faure-Biguet, page 14).

“Henry faisait beaucoup de cheval, au Bois, avec son père.”

“Mon père était un homme pesant” a écrit Montherlant. “Mon père m’aimait beaucoup, je l’aimais aussi beaucoup, mais il n’était vraiment pas très intellectuel. Je lui faisais un peu peur, il se disait : “Qu’est-ce que c’est que ce monstre ?” Nous n’étions pas très à l’aise ; tandis que ma monstruosité convenait très bien à ma mère et à ma grand-mère”. (Archives du XXe siècle, p. 27).

 
   

La mère de Montherlant avait été entre 1890 et 1894 une des jeunes filles les plus “lancées” de Paris.

“Mlle de Riancey était singulière en un temps où les jeunes filles ne l’étaient pas. Jolie, aimant passionnément le monde, le flirt, la danse, l’opéra, les fêtes, elle s’était vue soudain frustrée de tout cela, à vingt-trois ans, par la naissance de son fils. Une hémorragie utérine, provoquée par l’accouchement, avait failli l’emporter. Elle ne s’en releva jamais, et passa vingt ans, jusqu’à sa mort, dans son lit ou sur une chaise longue. Elle avait reporté toute sa raison d’être sur son fils”. (Faure-Biguet, page 15).

“Nos relations étaient à peu près celles d’une mère chatte avec son petit chat ; quand ils sont couchés dans un fauteuil, tantôt ils se lèchent, ils s’adorent, et tantôt ils se griffent, un des deux saute et s’en va, la queue dressée : mordu, ça lui a fait mal. Mes relations avec ma mère étaient tantôt atroces et tantôt les meilleures du monde”. (Archives du XXe siècle, p. 26).

Ce qu’il faut dire d’abord, c’est que ma mère, qui mourut à quarante-deux ans, en 1915, et de qui j’étais l’enfant unique, avait pris de ma naissance une affection dont elle ne se releva jamais. Je ne l’ai guère connue qu’étendue, soit au lit, soit sur une chaise longue : toute fatigue lui était interdite ; elle se promenait un peu au jardin, ne sortait jamais. Il y avait tribu d’hommes à la maison - mon père, mon grand-père, un oncle, un grand-oncle : un vrai corps de garde - mais il n’y avait que ma mère et ma grand-mère maternelle (et mes gouvernantes) à s’occuper vraiment de moi. J’ai été, en fait, élevé par les femmes (…) Ma mère, jolie dans le genre fin, folle de la minceur de sa taille et de la petitesse rare de son pied, bonne chrétienne à la manière du monde, fière comme un paon, collet monté à un point qui aujourd’hui ne serait pas croyable, et qui était peut-être ce qui était le plus frappant en elle, avec sa sentimentalité. (…) Ma mère m’aimait extrêmement ; je ne le lui ai pas rendu en proportion. Je fus assez atroce avec elle dans le temps qu’elle commença de mourir : ainsi sont les jeunes gens.” (texte de 1952).

Ses grands-parents paternels sont :

  • Frédéric-François Millon de Montherlant (1835-1898)
    marié en 1861 à
    Marie-Elisabeth Bessirard de La Touche (1843-1870).

Ses grands-parents maternels sont :

  • Le Comte Emmanuel Camusat de Riancey (1846-1905),
    directeur adjoint de la Compagnie des Assurances générales contre l’incendie, ancien zouave pontifical,
    marié en 1869 à
    Marguerite-Marie-Alexandrine Potier de Courcy (1847-1923).

“Le bruit courait que Monsieur de Riancey, vieux beau, séduisant et prodigue, avait été ruiné par les femmes, puis mené par elles à la tombe.” (Faure-Biguet, page 14).

“Mon grand-père maternel, Monsieur de Riancey, était gai, viveur, superficiel, camelia à la boutonnière, œillet blanc, très épateur ; il avait eu cheval et voiture qu’il avait changés pour auto et chauffeur et je pense qu’en l’année 1900, il fut un des premiers à avoir une automobile”.

   

La grand-mère Potier de Courcy, que Montherlant appelait “le sabre et le goupillon”, était une catholique fervente, bretonne bretonnante, un peu janséniste, élément exalté et pathétique de cette famille. Elle joua un grand rôle dans la vie de l’écrivain. En effet, il vécut auprès d’elle 23 années, et lui écrivit près de mille lettres .

Il s’exprimait avec elle avec une confiance et une liberté totales. Cette grand-mère très aimée :

“ (…) était la petite-nièce de la Duchesse de Duras, petite-fille du comte Alfred de Gourcuff, auteur d’un Nobiliaire de Bretagne, qui est un classique dans son genre. Sa mère (née Comtesse de Gourcuff) était morte dans ses bras, dans un château isolé où l’on ne peut faire venir de charpentier pour le cercueil, elle installe alors le cadavre à côté d’elle dans un cabriolet, et fouette cocher !

Elle eut beaucoup d’épreuves : la maladie de sa fille ; sa mauvaise intelligence avec son gendre Montherlant (le père d’Henry) ; les frasques de son mari ; son fils (Henri de Riancey, célibataire) et son frère (Pietro de Courcy, célibataire) vivant sous son toit, - (ils fournirent à Montherlant plus d’un trait aux “Célibataires”) -, et gâchant les plus beaux dons par leur extravagance ; et dans les dernières années, la ruine ou peu s’en faut”. (Faure-Biguet, page 17).

“La comtesse de Riancey, quand je l’ai connue, était une vieille dame aux yeux de hibou, largement dilatés, comme si elle fixait toujours quelque spectre. Continuellement en deuil, n’écrivant que sur du papier bordé de noir, égrenant la nuit tombée, dans l’obscurité, d’interminables chapelets qui exaspéraient les siens ; elle vivait dans une chambre aux meubles désuets, où il n’y avait rien qui ne fût lugubre : des crucifix, des Mater dolorosa, des images mortuaires, des dessins représentant ses meilleures amies sur leur lit de mort”. (Faure-Biguet, page 17).

Dans la nature d’Henry de Montherlant se développeront plus tard l’amour du plaisir des comtes de Riancey, le sérieux des Montherlant, et l’âpreté des Courcy.

“Cette vaste famille assez collet monté s’entendait très bien avec les domestiques. J’en citerai un exemple assez amusant : une jeune fille qui fut plus tard ma gouvernante pendant quelques années et qui était la fille du valet de chambre et de la cuisinière, était la filleule de ma mère et la tutoyait. En résumé, très bonne atmosphère où j’étais d’ailleurs très heureux”. (Archives du XXe siècle).

Ses arrière-grands-parents paternels sont :

  • Charles-Nicolas Millon de Montherlant,
    marié à
    Andine-Victoire de Malinguehen.

Il faut noter ici que Mlle de Malinguehen, bisaïeule de Henry de Montherlant, avait pour mère Anne Héricart de Thury, originaire de La Ferté-Milon, dont une grand-tante, Marie Héricart, était l’épouse du fabuliste Jean de la Fontaine.

  • Constant Bessirard de la Touche,
    marié à
    Clémence-Elisabeth Mauge du Bois-des-Entes.

Ses arrière-grands-parents maternels sont :

  • Le Comte Henry Camusat de Riancey,
    membre de l’Assemblée législative, chef du parti légitimiste en France sous le Second Empire,
    directeur du Journal L’Union, organe du comte de Chambord,
    marié à
    Clémence-Pauline-Zoé Lefebvre des Vaux.
  • Henry-Louis Potier de Courcy,
    marié à
    Marie-Céleste de Gourcuff.
 

Dans la lignée paternelle, on trouve un François Millon de Montherlant, député aux Etats généraux de 1789, membre de l’Assemblée constituante, et qui fut guillotiné en 1794.

Les armoiries des Millon sont décrites comme suit dans l’armorial de d’Hozier de 1696 : “(…) de sinople à la tour d’argent maçonnée de sable, enflammée de gueules, surmontée de deux épées du second garnies d’or posées en sautoir”.

“Donc, les quatre quartiers paternels (Millon de Montherlant, Malinguehen, Bessirard de la Touche, Mauge du Bois-de-Entes) ont été prouvés par MM. de Soulès et admis par l’ordre de Malte, sur rapport de M. de Cressac.

Quant aux quatre quartiers maternels, les Camusat de Riancey sont nobles depuis 1709, les Lefebvre des Vaux depuis 1823 (avec titre de Baron en 1825), les Potier de Courcy depuis la guerre de Cent Ans, et les Gourcuff depuis les Croisades”. (Marquis Louis de Saint Pierre, Montherlant et les généalogistes).

Henry de Montherlant est apparenté aux familles suivantes :

  • d’Ainval, les comtes d’Arjuzon, le duc d’Audiffret-Pasquier, les marquis de Bernis, de Buchère d’Epinoy, les comtes du Cos de la Hitte, Cochin, les comtes Daru, les marquis d’Estampes, Hesart de la Villemarqué, les marquis Hue, les Massena ducs de Rivoli et princes d’Essling, de Malinguehen, les princes de Pins de Montbrun, les comtes Phélypeaux, les comtes Reille, de Trolong du Rumain, les comtes de Gourcuff, les comtes de Maistre, les comtes d’Harcourt, les marquis de Grosourdy de Saint Pierre, de Castillan, les barons des Rotours, de Porthuau, de Frondeville, de Guitaut, d’Hattecourt, du Beaudiez, etc.

En 1899, installation de la famille Montherlant au 106 rue de Lauriston, à Paris, dans un hôtel particulier.

1905-1907 : Externe au lycée Janson de Sailly de 1905 à 1906, où il est condisciple de Faure-Biguet (futur auteur de romans policiers). Ils se passionnent tous deux pour l’histoire romaine et la lecture de Quo Vadis de Sienkiewicz. Ce livre va révéler à Montherlant la partie païenne de lui-même. C’est sa gouvernante qui conduit Henry à Janson de Sailly .

Montherlant, jeune homme, sera soutenu par quatre passions :

L'écriture

La première : celle d’écrire, de faire de la littérature. A l’âge de 7 ou 8 ans, il écrit déjà de petits volumes. Il s’amuse à rédiger des préfaces et des postfaces ! Ses récits ont pour cadre, souvent, l’Antiquité. Il n’a que 10 ans !

L’Antiquité

La seconde de ses passions est l’Antiquité romaine et le latin. Il dira qu’il fut un très bon latiniste dès son plus jeune âge. Il est passionné par les Romains, par Néron et Pétrone.

“J’étais vraiment un littérateur-né, dès sept ou huit ans !”. (Archives du XXe siècle, p. 27).

Un de ses professeurs signale à sa mère que jamais, il n’a rencontré un enfant doué de tant de talent !

En 1907, la famille Montherlant déménage et se loge à Neuilly, passage Saint-Ferdinand, dans un hôtel particulier en briques, où Montherlant vécut jusqu’en 1925.

“Henry a douze ans. La finesse de son visage, la blancheur de sa peau, sa minceur sont extrêmes (…) Il vit un peu à l’écart, dans le petit hôtel particulier, genre maison anglaise (orné d’une belle serre et d’un minuscule carré de jardin), où s’abritent, avec de nombreux domestiques, six membres de sa famille”. (Faure-Biguet, p. 13).

Montherlant suit les cours de précepteurs ecclésiastiques de 1906 à 1907. 1907 à 1910 : Externe libre à l’école Saint-Pierre (laïque), à Neuilly, où il est le condisciple de Louis Aragon. Il confiera à Faure-Biguet : “J’ai su, pendant ces années-là, ce que c’est que d’être amoureux fou, comme je ne l’ai plus jamais été”.

La camaraderie

La troisième passion de sa jeunesse fut donc les camaraderies de collège, à partir d’environ douze ans.

“Je n’ai eu qu’une amitié particulière. Pour les autres, c’était de la copinerie. J’étais copain, je le suis d’ailleurs resté ensuite à la guerre, puis sur le stade, jusqu’au moment où j’ai mené une vie plus solitaire en Afrique. J’aimais énormément la camaraderie” (Archives du XXe siècle, p. 27).

La corrida

En 1909, et ce fut la quatrième passion, il découvre les corridas à Bayonne, à l’occasion d’un pélerinage à Lourdes avec sa grand-mère.

“Ma famille, qui, quand j’avais encore l’âge de douze ans me faisait accompagner à l’école par une femme de chambre, brusquemment, quand j’eus quinze ans, m’envoya tout seul en Espagne, sur la foi d’une annonce de l’Echo de Paris, journal bien pensant de l’époque, dans une famille qu’elle ne connaissait pas du tout, bien que ne sachant pas l’espagnol ou le baragouinant : on m’envoya en Espagne parce que j’aimais les taureaux ! Je fis connaissance de toreros, je toréai et je tuai deux petits taureaux, proportionnés à mon âge, âgés d’un an et demi, alors que les taureaux que l’on tue en course ont généralement quatre ans. Pour le premier ce fut un désastre et pour le second un triomphe. Mon nom fut imprimé pour la première fois dans les journaux de Burgos”. (Archives du XXe siècle, p.28).

“Je puis donc dire que j’ai commencé ma vie en étant d’abord engueulé, et puis en recevant de grands éloges : cela préfigurait toute ma vie, et pas seulement en ce qui concerne les taureaux. Je trouve ça assez drôle. Quant à mon retour, comment ma mère sut-elle que j’avais travaillé de petits taureaux ? En tout cas elle me défendit de retourner en Espagne où je ne revins que très longtemps plus tard”. (Archives du XXe siècle, p.28).

Voici un extrait du journal nîmois Le Torero :

“Très vaillant, fut un jeune aficionado de Paris, H de Montherlant, donnant la mort avec style et connaissance en la matière, après de jolies passes de muleta, à un jeune taureau, d’une bonne estocade sur l’os et d’une excellente estocade”. (Faure-Biguet, p. 54).

Citons encore Faure-Biguet :

“Montherlant, sur le moment, ne parla ni à sa famille, ni à ses camarades de ses prouesses tauromachiques. Ni à sa famille, parce qu’il était convaincu qu’on lui interdirait de recommencer ; ni à ses camarades, parce qu’une brève expérience lui avait montré qu’il ne serait pas cru, tant il leur paraissait invraisemblable que l’écolier qui en récréation ne jouait jamais, et qui, de toutes façons était si proche d’eux, pût faire l’acte toujours barbare pour un Français de mettre à mort un quadrupède (…) Mais ce que Montherlant me dit longtemps après, c’est à quel point ces petites courses furent pour lui une épreuve rude et salutaire.“Je suis blindé pour la vie à l’encontre des manifestations du public depuis mes petites corridas de 1910 et 1911”. (Faure-Biguet, p. 58).

A partir de ce moment, dira-t’il,

“La tauromachie fut, avec le plaisir du sexe, la plus violente passion de ma vie”.

“La tauromachie lui révèle le côté violent - peut-être héréditaire - de son tempérament”. (Faure-Biguet, p. 58).

1911

Ecole Sainte-Croix de Neuilly, (le supérieur est l’abbé Petit de Julleville, futur archevêque de Rouen et futur cardinal), école religieuse d’orientation libérale et démocrate, comme externe libre. Ce fut une décision de la mère et de la grand-mère, car Joseph de Montherlant, ancien élève des jésuites, aurait préféré voir son fils chez les jésuites. Le père exigera que son fils ait un confesseur jésuite. Ce sera le Révérend Père de la Chapelle. Montherlant jugera sévèrement son confesseur.

Henry de Montherlant sera donc écartelé entre deux influences, celle du confesseur jésuite et celle des abbés de Sainte-Croix, et, dans la maison familiale, il y aura les deux clans adverses (le père contre la mère et la grand-mère).

Henry, couvert du sang de ses chers taureaux, ne pense qu’à une chose, rester au côté des amis qu’il aime et qu’il veut rejoindre à Sainte-Croix.

En effet, d’après Faure-Biguet, biographe de l’enfance de Montherlant, celui-ci aurait retrouvé à Sainte-Croix, deux de ses amis de l’école Saint-Pierre de Neuilly, avec qui il avait noué une amitié passionnée.

“Sainte-Croix était une maison démo-chrétienne, c’est-à-dire attachée au Sillon de Marc Sangnier. On y était de “gauche”, et, même, à certains moments, plus tard, d’extrême gauche. J’y restai treize mois comme externe libre”. (Archives du XXe siècle, p. 28).

Il va beaucoup travailler à la préparation de son baccalauréat.

Juillet 1911

Il est reçu au baccalauréat (première partie) avec la mention assez bien. Montherlant, en octobre 1911, entre en classe de philosophie. La direction du collège nomme, parmi les élèves, un noyau d’académie littéraire, dont Montherlant sera le président. Dans son livre Les Garçons, Montherlant va décrire cette Académie :

“Elle serait composée de dix élèves de philosophie, de première et de seconde, se renouvelant chaque année par leurs propres votes - ratifiés, voire inspirés par les autorités -, et censés représenter l’élite du collège sur le chapitre des belles-lettres, de la distinction d’esprit, et de la “conduite générale”, évidemment sous-entendue. On créait ainsi une classe d’ “aspirants académiciens”, pour les élèves de troisième, de quatrième et de cinquième (de douze à quatorze ans). Le but unique des Français étant en effet de devenir des importants, les autorités ne doutaient pas que dès l’âge de douze ans les enfants, soit d’eux-mêmes, soit poussés par leurs familles, si par malheur ils étaient assez bêtes pour dédaigner les vanités, ne prissent l’habitude de faire ce qui était nécessaire en vue d’entrer un jour à l’Académie, savoir : éteindre ce qu’il pouvait y avoir en eux de différent et de fort, chercher à plaire, surtout ne jamais dire la vérité quand elle pouvait porter atteinte aux idées établies.” (Pléiade, Romans II, page 439).

Début 1912

Avec quelques camarades, Montherlant fonde une sorte d’ordre, comprenant les “grands” et les “moyens”. Ils sont huit membres de cet ordre, liés entre eux par un serment solennel. Cet ordre s’appelle “La Famille”. L’écrivain évoquera plus tard ce temps comme le plus pur de tout ce qu’il a vécu.

La direction du collège s’alarme de l’existence de cette “Famille”. En chaire, le préfet de division, l’abbé de la Serre, futur Mgr de la Serre, vice-recteur de l’Institut catholique, désigne nommément Montherlant comme “l’âme de la conspiration”, “le corrupteur des âmes”, “l’introducteur du mauvais esprit”. Gros scandale !

Renvoi de Sainte-Croix

Les circonstances de ce renvoi serviront de cadre à Montherlant pour sa pièce La Ville dont le prince est un enfant et pour son roman Les Garçons. Le père d’Henry ne connaîtra pas les circonstances exactes de ce renvoi.

 

Montherlant à 17 ans.

 

“L’épisode de ce renvoi de Sainte-Croix fut beaucoup plus à mon honneur qu’à l’honneur de ceux qui me renvoyèrent. Je ne leur en ai gardé aucune rancune. Je fus membre des anciens élèves de Sainte-Croix, je prononçai plus tard le discours sur les morts de guerre du Collège (…) Sainte-Croix fut un épisode composé de tendresse, de sensualité et de sérieux. C’était la première fois de ma vie que j’aimais quelqu’un. La construction dramatique que prit l’aventure fit que tout de suite, comme j’étais déjà un vieil écrivain de dix-sept ans, je traçai les premières lignes de la pièce que je vivais. Ma vie avait pris de soi-même une construction, une structure théâtrale tellement forte qu’il était impossible qu’un homme marqué par l’esprit littéraire n’en fût pas frappé. Je fus donc renvoyé. Je fus très attristé d’avoir à quitter ce garçon plus jeune que moi de deux ans que j’aimais beaucoup. Mais j’étais soutenu par une de mes passions : j’écrivis sur le champ cette petite pièce, je gardai les lettres, ainsi que toutes sortes de documents (…) Je savais que je vivais un évènement très important de ma vie(…) Un des prêtres me dit une phrase que j’ai reproduite dans la pièce La Ville dont le Prince est un enfant : Vous sourirez de tout cela quand vous aurez vingt ans”, et je lui ai répondu : “Non, je n’en sourirai jamais”. Je reste fidèle à cette phrase et jusqu’à ma mort je ne sourirai jamais de cet épisode enfantin.” (Archives du XXe siècle, p. 29).

Henry écrit à Faure-Biguet :

“Je suis mis à la porte de Sainte-Croix. Ma mère a subtilisé la lettre qui était adressée à mon père, et celui-ci n’en saura rien. Je serai censé avoir été retiré. Toutefois, ce n’est pas fini. Je vais voir La Chapelle (son confesseur)”. (Faure-Biguet, p. 81).

Huit jours plus tard :

“La Chapelle a été au-dessous de tout. “Je prierai pour vous.” Ce n’est pas ça qu’on lui demandait !”

Montherlant est obligé de suivre des cours particuliers pour préparer la seconde partie de son baccalauréat. En juin, il est recalé à l’oral. Il sera reçu en octobre. En novembre, il commence le droit à l’Institut catholique de Paris. Il sort dans le monde, suit des cours de danse chez sa tante Potier de Courcy. Mondanités et flirts. Montherlant, très doué pour le dessin, loue aussi une chambre à Montparnasse, pour y recevoir des modèles qu’il dessine.

 
 

Montherlant à 19 ans
a déjà écrit L’Exil.

1913

Echoue en juillet à l’examen de la première année de droit. Période mondaine. Sports au club populaire de l’Auto. Cours de dessin.

“Quand j’eus quitté le collège, ma mère me poussa éperdument dans la vie mondaine, les bals et tout ce genre. J’étais passé des jeunes garçons aux jeunes filles. Je flirtais, j’avais des histoires et des larmes dans les mêmes salons où elle avait eu les siennes vingt ans plus tôt. Elle était là à son affaire. Je lui disais tout, avec tous les mensonges qu’il faut. La liberté d’esprit, la liberté de paroles de nos conversations était extraordinaire et étrange(…) Ainsi Madame de Montherlant s’en allait vers la tombe, aux sons de ces mêmes valses lentes qui avaient empourpré sa jeunesse et qu’elle retrouvait sur les lèvres de son fils. En 1915, Madame de Montherlant s’arrêtait elle-même.” (texte de 1952).

1914

Mort de son père, Joseph de Montherlant.

Cette période qui suivit le renvoi de Sainte-Croix fut pour Montherlant une période difficile, “d’absolue médiocrité”. “Je n’arrive pas à vivre”, écrit-il à Faure-Biguet.