www.bigben.be
AccueilBiographieOeuvresBibliographieArticlesAudio & Video

Articles sur Montherlant (hors presse)

93. Henry de Montherlant par Maurice Martin du Gard dans Opinions et Portraits
      (Les Nouvelles Littéraires du 11 août 1923, n°43)

“Il est beau de regarder écrire Montherlant.”
(Maurice Martin du Gard, 1923)

Introduction

Maurice Martin du Gard (1896-1970), vrai contemporain de Montherlant (1895-1972), était un cousin éloigné de Roger Martin du Gard, le Prix Nobel de Littérature de 1937.

Après avoir dirigé la revue littéraire Les Écrits nouveaux de 1917 à 1922, Maurice Martin du Gard fonde les Nouvelles Littéraires, revue qu'il a dirigée de 1922 à 1936. Il continuera à y tenir la chronique dramatique jusqu'à la guerre. Dans son œuvre majeure, Les Mémorables, il brosse un portrait des grands intellectuels des années 1920 à 1940 qu'il a très bien connus. Parmi ceux-ci le remarquable portrait de Montherlant “chez sa grand-mère” datant de 1921 qui fut écrit par Martin du Gard et inclus dans Les Mémorables.

Nous donnons maintenant un article peu connu de Martin du Gard daté du 11 août 1923, quelques mois avant la mort en décembre de Barrès. Montherlant a 28 ans. Il s’agit d’un des premiers articles qui furent consacrés à Henry de Montherlant. Le premier article fut celui de François Mauriac sur Henry de Montherlant et La Relève du matin dans La Revue hebdomadaire et il date de 1920.

Henry de Montherlant.

Maurice Martin du Gard.

Opinions et Portraits : Henry de Montherlant par Maurice Martin du Gard (août 1923)

“Vous avez certainement rencontré de ces jeunes hommes fringants et timides à la fois, fort vains de leur santé, extrêmement sérieux et polis. Leurs gestes sont courts ; pour rien au monde ils n’abandonneraient la paire de gants qu’ils ont à la main gauche, et on a beaucoup de mal à les faire asseoir. Ils viennent tout droit de Saint-Cyr. Nés dans des garnisons, ils sont aujourd’hui dans l’infanterie et en civil. Il saute aux yeux que M. Henry de Montherlant, qui leur ressemble, arrive de la guerre. On ne sait pas laquelle, par exemple. Il écrit sa correspondance sur du papier à en-tête de l’Ossuaire de Verdun, mais est-ce bien de la Meuse qu’il débarque  ? N’a-t-il pas plutôt bataillé contre les loups qui encerclaient son manoir féodal, du côté de Beauvais  ? Il est permis de croire aussi que c’est avec César qu’il a combattu ; ses livres ne témoignent-ils pas, en effet, des relations qu’il entretient avec tant d’illustres Romains  ? Je ne peux pas croire qu‘il a fait tout simplement leur connaissance dans un collège de Neuilly. Mais j’y pense  ! Ce sera notre d’Annunzio. Il est déjà un prince des images, déjà il n’est plus à la mode. Qu’il se rassure, si toutefois on peut jamais l’inquiéter. Quelle maîtrise il a affirmé sur la vie, sur la sienne  ! Mais je quitterai ce ton : s’il a une bonne humeur paysanne, s’il siffle jusque dans ses colères, Montherlant n’aime pas s’amuser quand c’est à ses dépens qu’il peut rire.

Les vielles images, les civilisations figées dans les manuels, il n’a pas redouté de les ranimer et il se promène à travers elles la flamme au poing. Par ce temps que les impuissants recueillent l’applaudissement, il est beau de regarder écrire Montherlant.

La Relève du matin comme Le Songe, ne sont pas d’une composition bien ordonnée, mais ils brillent d’un bel éclat. Si parfois le style en est rocailleux, et les tournures ambitieuses, le lecteur est sans cesse atteint par des jets brusques d’images, par de brutales reprises de pensées qui l’enlèvent. Bientôt il vous semble que les impuretés disparaissent, tellement vous emporte ce lyrisme auquel nous n’étions plus accoutumés.

Henry de Montherlant avait dix-huit ans quand éclata la guerre. “Le collège et la guerre sont pour moi d’un seul tenant”, dit-il. C’est toute une époque où il a connu avec des garçons, une existence primitive et ces sentiments si rudes, ils feront le fond de ses premiers ouvrages. Libéré, c’est à la gloire du collège de Sainte-Croix, où il avait pris son départ, qu’il consacre La Relève du matin. Sans larmes, il y honore les tombeaux de ses camarades, il replace dans ce collège tous ceux que la mort en a chassés. Sa virilité pourtant y cède à des expressions d’une sensibilité moins tendue. Si les tout jeunes garçons, il les fait parler avec une surprenante autorité, les accents les plus tendres et les couleurs moins vives trouvent leur place dans ce livre où quelques enfants de chœur élèvent un chant mal assuré.

Le Songe témoignait avec encore plus de feu de la dureté de Montherlant. Bien qu’il s’en soit défendu, on sent qu’il s’y peint tout entier sous les traits d’Alban qui paraît se réjouir de s’étudier avec une sèche minutie. Ses pages sur la peur, sa description d’une course à pied, sont des chefs-d’œuvre. Le Songe, comme La Relève du matin, est un livre de poète. Il est à prévoir que Montherlant en pourra écrire d’autres et qu’il sera notre lyrique, mais un lyrique débarrassé, par sa virilité même, de tout le romantisme. Henry de Montherlant s’est plu récemment à ouvrir lui-même un débat sur le catholicisme du héros du Songe, il a fait des prières et une confession qui sont d’un chrétien quelque peu barbare. A de patients travaux, à des soins exigeants pleins de silence, faudrait-il le renvoyer  ? Son ascétisme devrait lui suffire, pourquoi veut-il faire le dévot  ?

Cet ascète est membre d’honneur du Stade Français. Je crois même qu’il court le cent mètres en onze secondes deux cinquièmes, et c’est en l’honneur des jeux olympiques qu’il va publier ses trois prochains livres. Ils s’appelleront Les Olympiques. Le premier sera la réplique de La Relève du matin, et pour le corps ce que la Relève était pour les âmes.

Le deuxième, composé de poèmes en versets, aura pour titre Les Palestrites. Le dernier, c’est un roman.

A propos de Montherlant, on a beaucoup parlé de Maurice Barrès, et plusieurs ont voulu en faire un disciple. Je suis choqué par cette assimilation. Certes, Montherlant possède un beau jardin, mais il en arrache les fleurs avec une rudesse non feinte, et c’est un peu comme une femme que Barrès a toujours pris soin des fleurs. Montherlant semble se développer sans s’émouvoir et sans découvrir ce qui peut l’entourer. Certes, il a le teint d’un Espagnol, mais ses fièvres ne sont guère compliquées  ! Sera-t-il jamais un amateur d’âmes, dans le sens que Barrès nous indiqua, j’en doute. Du moins, il est le cousin de son faux maître. Tant de choses les rapprochent, une promenade commune, le Bois, après le dîner, des panthères, qui baîllent et grondent au Jardin d’Acclimatation et dont ils souffrent en même temps. Même, ils ont deux chiens qu’ils sortent boulevard Maillot aux mêmes heures. Maurice Barrès, le voyez-vous s’éloigner jouant d’une main levée avec un jonc  ? Une grâce incomparable  ! Jamais il ne fut plus jeune.”