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Articles sur Montherlant (hors presse)

62. Gisèle Freund et ses “victimes” ou Montherlant photographié

Article publié le 27 octobre 2011 par Claire Guillot. Source : Le Monde.

Introduction (source Wikipedia)

 
 

Portraits littéraires.

Gisèle Freund, née Gisela Freund à Schöneberg, près de Berlin, le 19 décembre 1908 et morte à Paris le 30 mars 2000, est une photographe française d'origine allemande. D'origine juive et membre d'un groupe communiste, elle doit fuir l'Allemagne et elle achève ses études à Paris en 1936. Amie d'Adrienne Monnier, elle côtoie de nombreux écrivains qu'elle immortalise en des portraits célèbres : Virginia Woolf, James Joyce, Colette, Montherlant, André Malraux sur un toit dans le vent, Henri Michaux, Michel Leiris, Marguerite Yourcenar, Jean Cocteau, Sartre, Simone de Beauvoir, Samuel Beckett. Elle prend sur le vif André Gide, Aldous Huxley et Boris Pasternak lors du Congrès international des écrivains pour la défense de la culture en 1935. Elle devient française par mariage en 1936. Elle emploie dès 1938 les pellicules Agfacolor pour réaliser des portraits en couleurs avant l'heure, notamment ceux d'Henri Michaux et Susana Soca.

Pendant la Seconde Guerre mondiale, elle part pour l'Argentine où l'accueille Victoria Ocampo. Elle établit des liens avec Borges, Maria Rosa Oliver, Bioy Casares et les membres de SUR. En 1943 elle ramène de Patagonie et de Terre de Feu des paysages puissants. Elle rentre en France en 1946 et travaille à partir de 1948 pour l'agence Magnum comme photojournaliste. En 1950, elle se trouve refugiée en Uruguay, chez Jules Supervielle et aussi Ingheborg Bayerthal, lors d'un départ forcé de l’Argentine, suite à la publication d'un reportage paru dans Life sur la vie de luxe menée par Evita Eva Perón. Suspectée de communisme, elle est interdite de visa américain et est forcée de quitter Magnum en 1954.

En France, le ministère de la Culture lui décerne en 1980 le grand prix national des Arts pour la Photographie. Elle réalise en 1981 le portrait officiel du président François Mitterrand. En 1991, elle est honorée par une grande rétrospective de son œuvre au Centre Georges-Pompidou. Elle a légué plus de 200 photographies de cette exposition à l'État français.

Elle est inhumée à Paris, au cimetière du Montparnasse (12e division), tout près de sa maison atelier du 12, rue Lalande.


Extrait de l’article de Claire Guillot, in Le Monde du 27 octobre 2011 

Une exposition donne à voir les portraits d'écrivains statufiés par cette pionnière de la couleur.

Gisèle Freund, L'œil frontière, Paris 1933-1940

 

Gisèle Freund (1908-2000).

 

"Photographiez-moi comme je suis exactement en ce moment. Je me fiche d'être laid. Je veux être laid." Ainsi parlait Henry de Montherlant en 1939, et la photographe Gisèle Freund (1908-2008) a suivi les instruction à la lette : avec ses cheveux en brosse, son air sombre et buté, l'écrivain n'est pas à son avantage. Mais c'est justement ce regard dur, cadre très serré, qui fait de ce portrait l'un des plus fort de l'exposition présenté à la Fondation Pierre Bergé-Yves Saint-Laurent à Paris. La laideur, paradoxalement, est plutôt photogénique.

De 1933 à 1940, la photographe Gisèle Freund a mené avec obstination une entreprise originale : photographier les grands auteurs de son temps pour leur construire un "panthéon" à la Nadar. Stefan Zweig, Romain Rolland, Colette, André Gide, Jean Paulhan, Henri Michaux, James Joyce, Virginia Woolf, Paul Eluard… Elle immortalise tout le gratin littéraire de l'époque, juste avant qu'il ne soit emporté par la guerre, et en couleurs s'il vous plaît - une innovation à l'époque. C'est à Gisèle Freund qu'on doit l'iconique photo d'André Malraux, clope au bec et cheveux au vent, emporté dans un flou plein de fougue. "Je n'ai photographié que ceux dont j'aimais l'œuvre", disait la photographe.

Comment cette Allemande, installée à Paris après avoir fui le nazisme, a-t-elle pu convaincre autant d'écrivains de rejoindre sa "collection de papillons"  ? Dès son arrivée, cette passionnée de littérature hante les QG des auteurs de l'époque. Et en particulier la rue de l'Odéon, où deux librairies incontournables se font face, fréquentées par tous les écrivains et aspirants : Shakespeare and Co, de Sylvia Beach, et surtout la Maison des Amis des livres, dirigée par Adrienne Monnier. Cette librairie ne vend pas seulement des livres, elle édite des ouvrages, accueille des lectures, sert de bibliothèque, montre des expositions. C'est là que Gisèle Freund rencontre nombre d'écrivains, là aussi qu'elle va montrer ses portraits à ses "victimes" sous forme de projection, en 1939. A l'en croire, ces grands vaniteux trouvaient qu'elle avait "très bien réussi les portraits des autres !"

 
 

Montherlant photographié
par Gisèle Freund en 1939.

Ce vaste projet est retracé ici dans une mise en scène aussi agréable qu'intelligente. Les deux devantures des librairies sont reproduites à l'identique, en taille réelle. On flâne comme un badaud devant les vitrines, pour découvrir des documents tirés des archives de la photographe, qui ont été léguées récemment au Fonds Mémoire de la création contemporaine : son reportage sur le chômage en Grande-Bretagne en 1936, sa thèse de sociologie remarquée sur la photographie en France au XIXe siècle. Plus loin : des coupures de presse, ses premiers essais en couleurs, ses travaux de mode… L'exploitation des archives a permis d'éditer deux jolis carnets où la photographe accompagne les images de commentaires en lettres tremblées.

Les portraits en couleurs sont exposés dans la dernière salle, en majesté. Mais sans glamour : la photographe rompt à l'époque avec les photos de studio savamment retouchées. Les écrivains sont photographiés au naturel, chez eux, figés par le long temps de pose du Kodachrome. Et Gisèle Freund ne s'embarrasse pas de fioritures ou de cadrages sophistiqués : "La littérature m'a fascinée toute ma vie, disait-elle. Pas la photographie !" Elle préfère insister sur le génie de ces écrivains qu'elle révère : mains déployées, regard magnétique ou mystérieux, ils sont immortalisés en statues froides, en étoiles brillantes et inaccessibles.

Fondation Pierre Bergé-Yves Saint-Laurent, 5, avenue Marceau, Paris 16e. Jusqu'au 29 janvier 2012.