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Articles sur Montherlant (hors presse)

28. Jeanne Sandelion (1899-1976), poétesse et amoureuse de Montherlant, par Henri de Meeûs

 

“J’ai atteint une sorte de paix en acceptant le désespoir (…)
Je rapporte tout à vous, sans cesse…”

(Lettre du 16 juin 1929 de Jeanne Sandelion à Montherlant)

“Je vis avec vous et cela sans effort,
par une émanation naturelle de ma pensée vers la vôtre,
m'intéressant passionnément à tout ce que vous faîtes (…),
c'est bien plus que de l'amitié et que de l'amour …”

(Lettre du 16 juin 1929 de Jeanne Sandelion à Montherlant)

Jeanne Sandelion.

 

 
 

Henry de Montherlant.

“Ces vers admirables, mais dont la gloire ne brille que d’un éclat voilé,
ces vers d’une femme, et d’une femme de province, Mlle Sandelion,
plainte de toutes celles qui chaque jour - chaque jour qui leur enlève
une chance de plus d’être aimées -, fleurissent dans leur cœur l’autel
de l’homme inconnu.

(Henry de Montherlant, préface à “L’Age où l’on croit aux îles”, 1930,
roman de Jeanne Sandelion)

“Mon malheur est justement de ne pas savoir dire : la barbe !
Tout de suite. Mais maintenant je le fais.”

(Lettre d’avril 1930 de Montherlant à Jeanne Sandelion)

“Vous la sublime vierge Blandine, et moi, l'affreux préfet Spendius,
pardonnons-nous mutuellement d'un monde à l'autre.”

(Lettre du 12 avril 1960 de Montherlant à Jeanne Sandelion)




1) Jeanne Sandelion naquit à Thoissey (dans l’Ain) le 14 septembre 1899 et y décéda le 2 octobre 1976.
Elle découvre l’œuvre de Montherlant en 1923, elle a 24 ans.
Ils se voient pour la première fois lors d’un voyage qu’elle fait en Algérie en 1928. Montherlant vit à Alger. Elle explique cela dans les souvenirs qu’elle publie dans son livre Montherlant et les femmes, chez Plon, 1950, (extraits, pages 198 à 203).

Voici ce texte :

“Nous n’avions eu jusqu’alors que des rapports épistolaires très espacés et très cérémonieux. Chose curieuse, cet homme qui se vante si fort, à travers ses héros surtout, de ne pas répondre aux lettres et d’être harcelé par des correspondantes féminines, m’avait écrit le premier ; mais je dois le dire en remerciement d’un article fort enthousiaste sur son œuvre que je lui avais envoyé, désespérant de le publier (…) J’ignorais qu’il fût encore à Alger quand j’y arrivai. Nous y avions un camarade commun - connu de lui par moi, - journaliste, qui, à peine étais-je débarquée, m’écrivit : “Le môme Riry est encore là” et qu’ il avait arrangé en vue de m’être agréable une promenade nocturne à la Casbah, avec lui et quelques amis, pour le lendemain.
J’étais à la fois ravie et un peu effrayée, (…) de rencontrer Montherlant que, malgré ses lettres aimables, je voyais un peu moi-même à travers sa légende, et mon admiration n’était pas sans un mélange de répugnance pour la dureté qui marquait certaines pages de son œuvre, et d’une sorte de crainte. Ses portraits donnaient aussi de lui une image peu sympathique : mâchoire butale, air fermé, des yeux à la fois ardents et mornes, enfin je l’imaginais fort laid et mon admiration, certes, était pure de tout engouement féminin !
Montherlant avait alors à peine trente-deux ans. Ma surprise fut extrême devant ce jeune homme souriant et courtois qui ne ressemblait pas du tout à ses photographies. J’en voulais à ces images déformatrices qui m’avaient dérobé le vrai visage du héros. Cependant, au cours de la soirée, je devais rectifier un peu mon impression : c’était bien là les mêmes traits ; au repos, j’y retrouvais parfois cette expression boudeuse, cet œil assombri. Les photos, c’est Montherlant quand il s’ennuie. Une grande jeunesse, une simplicité extrême, pas la moindre morgue, comme je l’avais tant entendu répéter ; ce jeune écrivain déjà célèbre frayait avec la plus grande camaraderie avec les artistes algérois qu’on nous donnait pour compagnons. (…)La première impression reçue de Montherlant, et je l’ai toujours gardée, même à travers les malentendus et les différends, qui nous séparèrent longtemps - où je dois avouer que j’eus les plus grands torts, - c’est qu’il est fraternel. Simple et fraternel. (…) Il y a en lui le goût d’épauler, de protéger. On trouvera sans doute cette image sigulière ; elle est pour moi essentielle. (…) Je le revois avec son feutre, son imperméable qui devait devenir célèbre à Alger comme à Paris le parapluie de Barrès ! (…) Dans cette Casbah pénitente et funèbre, c’est la présence de Montherlant qui me rassurait, me réchauffait (…).
De ces deux brèves rencontres algéroises devaient naître cependant des relations plus familières et même amicales. Je le revis sous le ciel “aux couleurs sérieuses” de Paris, aminci et pâli, l’air ennuyé ; son physique exprimait éloquemment ce qu’il devait tant exprimer par sa plume : son horreur de Paris, son épanouissement dans cet outre-mer et dans ces Iles de la Félicité où il devait passer sept années de sa vie. (…) nous sortions quelquefois ensemble (…)
Nous allions au concert ; il m’y apportait un livre, ou me jettait sur les genoux, en pluie des lettres de recommandation (…) A peine étions nous entrés (dans la salle de concert) qu’il donnait des signes d’impatience, si visiblement malheureux qu’il fallut s’en aller. “Je n’aime que la musique russe, la musique espagnole et le grégorien”, me disait-il.

Il va beaucoup aider Sandelion à trouver des éditeurs, à corriger ou améliorer ses manuscrits, à la documenter, à superviser avec elle les contrats, les services de presse, l’éclairant sur les arcanes du milieu des Lettres.

“Si l’on songe que Montherlant était déjà un homme dévoré par son œuvre et l’administration de cette œuvre, on peut penser que, comme beaucoup d’hommes, il pratique la litote, et que ce qu’il appelle sa sympathie est quelque chose de plus sérieux, du moins si l’on en juge à ses fruits, que beaucoup de prétendues amitiés (…). Celle de Montherlant, qui répugne aux gentillesses de plume, s’exprime plutôt en actes, et il pouvait, au moment de notre rupture, m’écrire avec sincérité, entre deux billets moins chaleureux, il est vrai : “Renoncez du moins à cette idée absurde de me retirer votre amitié, moi qui, tout de même, vous ai prouvé, et par des actes, que j’y tenais, moi qui tiens à si peu de choses, et qui, pour m’en punir, en ai si peu…”.

Tout le malentendu viendra de ce qu’elle est follement amoureuse de Montherlant et que l’écrivain ne veut lui donner qu’une amitié fraternelle. Elle ne résistera pas à cette souffrance d’être la mal-aimée.
Elle a 4 ans de moins que Montherlant, et elle lui survivra quatre années. Il faut savoir qu’elle avait du vivant de Montherlant rédigé un testament par lequel elle lui lèguait ses Journaux intimes (130 Cahiers écrits depuis 1919). Vu que Montherlant mourut avant elle, ce legs ne se réalisa pas.

Il y eut, le 13 mai 2007, organisée par La Librairie ancienne Norbert Darreau (www.sisyphe.com)
une importante vente publique de la bibliothèque de Jeanne Sandelion, soit un grand nombre de ses livres, papiers, et multiples correspondances (4000 lettres et cartes postales) avec diverses personnes connues ou non, et son immense Journal intime écrit durant cinquante ans.
Ce Journal composé de 130 cahiers fut préempté par la Bibliothèque nationale.
Il serait important et souhaitable de le déchiffrer et de l’imprimer sans tarder pour connaître mieux la relation poursuivie durant de nombreuses années (vraisemblablement jusqu’en 1963), entre Sandelion et l’auteur des Jeunes filles.
Jeanne Sandelion possèdait 300 lettres que Montherlant lui avait écrites. On peut supposer que les héritiers de Sandelion mirent en vente les lettres de Montherlant à Sandelion à une autre date que celle de la vente publique de mai 2007. Qui possède les lettres de Montherlant à Sandelion ? Sont-elles éparpillées ?

2) Certains ont prétendu que Montherlant s’était fortement inspiré de Jeanne Sandelion et de sa correspondance pour créer le personnage d’Andrée Hacquebaut des Jeunes filles.
Jeanne Sandelion fut en réalité une grande amoureuse de Montherlant et elle lui écrivit d’innombrables et longues lettres. Il y a de nombreux témoignages de cette passion : son Journal, les milliers de lettres à Montherlant et à ses correspondants à qui elle confie ses peines de cœur,
Elle consacrera à Montherlant un essai “Montherlant et les femmes” qui fut publié chez Plon en 1950, et dans ce livre, elle fera paraître, vraisemblablement avec l’accord de Montherlant, 45 lettres inédites reçues de l’écrivain entre 1926 et 1930. Et cette correspondance se poursuivra sur un rythme plus lent jusque dans les années soixante !

3) Jeanne Sandelion est une “femme de lettres de province. Elle a écrit une œuvre variée, avec des romans, des plaquettes de poèmes (tirées à deux ou trois cents exemplaires). Montherlant l’a beaucoup soutenue, cherchant pour elle des éditeurs, lui donnant en toute franchise des conseils pour son style, écrivant une préface à un de ses romans. Il veillera toujours à ce qu’elle ne s’enflamme pas trop pour lui et essayera, vainement, de calmer ses ardeurs.

Voici quelques extraits de lettres de Montherlant à Sandelion que celle-ci a insérées dans son livre Montherlant et les femmes (pages 204 à 227) :

Le 29 mai 1928, il lui écrit : “J’ai passé trois semaines chez les Bédouins du Sud Tunisien et suis de retour à Alger pour quinze à vingt jours encore. Je ne vous y ai que trop rapidement aperçue. J’y ai reçu de vous la lettre la plus “incorrigiblement femme”, où il m’a été impossible de comprendre si vous viendriez ou ne viendriez pas à un rendez-vous que je vous donnais, où j’allai et où j’attendis tout un dîner sans vous voir. Mais c’est une vétille
Rien n’énervait plus Montherlant que l’inexactitude et les rendez-vous manqués !

Le 8 août 1928, il essaie de la calmer :
“(…) Depuis un an, j’ai découvert une grande vérité. J’avais souvent dit et écrit que je pensais qu’il était peu utile qu’on vous rendit en amour ce qu’on donnait ; je crois aujourd’hui qu’il vaut mieux qu’on ne vous rende rien, du moins quand on est un artiste (…). L’amour qu’on reçoit vous affaiblit, et finit toujours par vous faire dévier. Vous voyez que ceci est, je crois, bien contraire à ce que vous exprimez.”

Nouvelle mise en garde encore compatissante le 13 novembre 1928 : “Ne laissez pas ces sentiments (d’amitié amoureuse, ndlr) gagner à la main. En passant de ce qu’ils sont à ce que vous vous défendez qu’ils soient, ils pourraient se corrompre. (…) De votre côté, vous sentez mon estime, ma sympathie et ma curiosité de vous. Je crois vous comprendre assez - votre solitude et vos difficultés - en partie parce que, si extraordinaire que cela paraisse au premier abord, et avec toutes les différences évidentes, j’ai un peu passé par tout cela et je suis le moins invulnérable des hommes. Bardé et insensible d’un côté, de l’autre tout me blesse.”

Lettre de février ou mars 1929 : “Continuez à m’écrire tout ce qui sort de vous. Je garde tout cela précieusement, au besoin je m’y réfère (je vous enverrai un article de moi qui cite votre phrase : “Toute femme est toujours un peu une ratée”)”.

Lettre du 8 avril 1929 : Montherlant lui annonce une bonne nouvelle : grâce à son intervention, le roman de Sandelion A l’âge où l’on croit aux îles sera publié.
Il lui écrit : “(…) A vous la gloire ! A vous les renards argentés ! Sérieusement c’est maintenant que vous allez commencer à être empoisonnée. Comment percer, dans cet affreux strugge for life qu’est Paris ?, Que vous allez en voir de dures et d’amères ! Quelle horreur ! Enfin, vous l’avez voulu.

Lettre du 14 novembre 1929. Il lui répète sa mise en garde : “Je comprends bien votre tourment quand vous êtes sans lettre de moi, et j’en suis touché (…) Ne me créez pas l’obligation morale de vous répondre. Je vous lis, relis, médite et conserve. Mais vous répondre sur le même diapason, si j’ose dire, non. Il n’est personne au monde à qui j’aie écrit pour le seul plaisir de bavarder, ce qui est charmant, mais vous le sentez bien, n’est pas chose d’homme, encore moins à notre époque, et encore moins d’un homme qu n’écrit jamais qu’en maugréant, fut-ce ses “chefs-d’œuvre”, et en se disant que c’est du temps perdu.”

Lettre de décembre 1929 : “Vous êtes une petite brouillonne. (…) Je trouve en arrivant des paquets de lettres pleins, comme d’habitude, de tous les élans de la scène tragique (“je vous supplie” etc… sans parler des reproches). Tout sauf la date de publication de votre livre.”

Lettre de fin 1929 : “Mais attention ! Moi, il y a des hivers dans ma bonté.”

Et enfin une terrible lettre datée d’avril 1930, où il lui écrit ceci : “Mes trente-quatre ans m’ont valu la lettre d’une jeune fille très bien qui se décide “après deux ans”à me dire tout de go qu’ il est temps que je l’épouse. Je lui ai répondu, en propres termes, par lettre : “Plutôt le cancer ou la tuberculose”. Voyez où peut mener l’impatience d’être aimé !”
(…) Cela devient une véritable tragédie. A tel point que - bien plus - j’en arrive à prendre en horreur les femmes qui, sans m’aimer, me désirent seulement. (Excusez ces termes indiscrets : mais quoi, vous êtes femme de lettres et devez tout savoir.) Je suis exaspéré quand je vois de l’amour dans les yeux d’une femme pour moi. Je trouve cela ridicule. La barbe ! Je n’aime et ne désire que les femmes qui ont vis à vis de moi une complète indifférence du cœur et des sens. Savez-vous qu’il y a là un cas très curieux ? Plus que jamais l’ idéal est pour moi une femme qui simplement se laisse faire - passive. Même pas les gestes qu’arrache le plaisir. Extrême justesse du mot de Romier sur l’homme qui se suffit. Elles m’envahissent, veulent me tirer à elles. Quelle mainmise ! Elles m’assomment. Nausée de la femme, hormis de la vieille dame, de la “vieille amie”. Je vous écris de singulières choses ! (…)
Presque chaque jour m’apporte une nouvelle raison de lassitude du sexe. Je rouvre ce mot pour vous dire : au courrier de ce soir, lettre d’une autre jeune fille : “J’ai à vous dire des choses terriblement graves, que je ne peux dire qu’à vous, etc…” Je l’ai vue cinq fois dans ma vie ! Et il ne se passe pas trois ou quatre jours sans que je ne reçoive de ces lettres. Et toutes, en fin de compte, il s’agit seulement que je couche avec elles. L’une, pour m’allécher, me parle de mes œuvres. L’autre de la méchanceté de son mari. L’autre de ses enfants (jusqu’à cela !). Toutes et toujours de chercher à s’introduire dans ma vie. Je les ai vues. Et toujours tout cela pour en arriver au lit. Comment ne dirais-je pas : la barbe ! la barbe ! et trois cent mille fois la barbe ! Et remarquez-le, chacun des cas de ces femmes est intéressant. Chacun est tragique, peut-être. Mon malheur est justement de ne pas savoir dire : la barbe ! tout de suite. Mais maintenant je le fais.”

Oui, il lui écrit de singulières choses, mais au moins Sandelion ne pourra pas dire qu’elle ne fut pas avertie ! Montherlant se rendait compte qu’il devenait urgent de se protéger d’un amour de plus en plus envahissant, quasi hystérique, qui lui donnera les éléments pour décrire son célèbre pesonnage de la mal aimée Andrée Hacquebaut des Jeunes filles !

4) Voici maintenant une courte introduction à la vie de Jeanne Sandelion, dont une partie est extraite du catalogue établi par la Librairie ancienne Norbert Darreau pour la vente de la bibliothèque de Jeanne Sandelion en mai 2007 (www.sisyphe.com)

 
 

Thoissey.

Jeanne Sandelion, fille unique, est restée célibataire ; elle avait suivi des études dans une institution religieuse de Thoissey, avait obtenu le brevet supérieur ce qui lui a permis de réaliser son rêve d’être écrivain et poétesse, et elle eut la chance d’être publiée. Elle indiquait en dessous de sa signature : Femme de lettres.
Elle n’avait aucune fortune. Son père commerçant vendait des bicyclettes et des pneus. Elle était fort attachée à sa “maman”, dont elle parle souvent à Montherlant ; elle écrira un livre sur sa mère après le décès de cette dernière. Son séjour en Algérie en 1928 est certain ; ce voyage fut-il déterminé par son amour pour Montherlant qu’elle eut l’occasion de voir à Alger ? Elle aurait écrit une lettre ou une carte sans équivoque au sujet d’un contact physique qu’elle aurait eu avec l’écrivain. Tout cela reste dans l’état actuel des recherches une supposition, une incertitude.
Très tôt Jeanne Sandelion va composer des poèmes qu’elle envoie à diverses revues. Elle rédige de nombreux articles et des nouvelles pour Cœmedia, Femmes de France etc… Elle écrit dans le courrier de “L’Une à l’Autre” de la revue Eve - (ces courriéristes étaient appelées des Evettes) -, et sous divers pseudonymes dont Ars et Lux, La Minerve aux violettes, Nymphes aux glycines, pour Minerva, Madame, Revue de Madame etc…

 

Thoissey.

 

Elle participe aussi sous son nom à de nombreuses revues littéraires : Les Amitiés, Le Goéland, Les Annales, Les Cahiers du Plateau, Terre d’Afrique, Les Cahiers d’Ariane, etc…
Enthousiasmée par les premiers livres de Montherlant, elle écrit sur eux des articles très remarqués.
Elle rencontre donc l’auteur à Alger en 1928. Entre les deux écrivains, s’établira une longue amitié coupée de brouilles et de réconciliations ; certains traits de son caractère et de son physique serviront de matériaux à Montherlant pour la création du personnage Andrée Hacquebaut du célèbre roman en 4 volumes, Les Jeunes filles, publié de 1936 à 1939 Jeanne Sandelion vécut de sa plume, son temps partagé entre sa famille, (sa mère principalement), à Thoissey, de longs séjours à Paris et des voyages tant en France qu’en Algérie.

Il semble que la longue correspondance de Sandelion et de Montherlant prendra fin autour des années 1963-1964. Brouille ou lassitude de l’un ou de l’autre, ou des deux ? Il meurt suicidé en 1972. Elle finit sa vie chez un oncle qui l’a recueillie et elle meurt en 1976.

5) Jeanne Sandelion et son amie Josette Clotis (1910-1944) (compagne de Malraux)
(extrait du catalogue de la vente de la bibliothèque Sandelion en mai 2007 par la librairie ancienne Norbert Darreau, www.sisyphe.com)

Josette Clotis, amie de Malraux.

“Née à Montpellier le 8 avril 1910, très jeune passionnée de littérature, Josette Clotis écrit son premier roman à l’âge de 18 ans, l’envoie à Henri Pourrat qui, après l’avoir fait venir en Auvergne, travaille avec elle à la finalisation du roman qui sera publié par Gallimard en 1932. La même année, Josette Clotis rentre comme journaliste à Marianne (hebdomadaire littéraire que vient de fonder la N. R. F) ; elle devient l’amie des Gallimard, et fait peu à eu connaissance d’André Malraux avec lequel elle commencera une liaison en décembre 1933. Elle sera la mère des deux fils de celui-ci, Gauthier et Vincent. Mais l’union avec Malraux s’achèvera tragiquement par la mort de Josette happée par un train en septembre 1944, (lire à ce sujet de Suzanne Chantal, amie de Josette Clotis, le livre “Le Cœur battant”, Grasset 1976).
Les deux fils de Josette Clotis et d’André Malraux se tueront dans un accident d’automobile en 1961.
Josette avait 16 ans (1926) au temps de ses correspondances dans “Eve” sous le pseudonyme de Tip Toë (bout de pied, en anglais) avec
Jeanne Sandelion qui lui répond sous le masque de “Ars et Lux”. Josette deviendra la dactylo de Sandelion, et elle tapera, entre autres, son roman “L’Age où l’on croit aux îles”. Josette nomme Jeanne par son pseudonyme de Jetta. Elles se lient d’une forte amitié, et une riche correspondance en fait foi. Josette écrira des lettres de 15 pages à Sandelion. Plusieurs lettres ont de 8 à 12 pages. A partir de 1927, elles se rencontreront souvent, à Paris et à Orléans. Josette dans cette correspondance avec Jeanne parle notamment des écrivains qu’elle aime : Colette, Fraigneau, Pierre Louÿs, Max Jacob, et de son ami Pierre Lefebvre, littérateur et bibliophile avec lequel elle aurait pu se marier, mais qu’elle quittera pour suivre Malraux.
Elle avait conclu un contrat pour 10 romans avec la N. R. F.
Dans leurs lettres, les deux femmes parlent naturellement de
Montherlant et de l’ami de ce dernier, Claude-Maurice Robert qui vit en Afrique du Nord et qui éprouvera pour Sandelion un amour platonique… et réciproque.

6) Les fidèles amis et correspondants de Jeanne Sandelion

Citons en quelques uns :

- Théophile Briant, (correspondance entre 1937 et 1958), littérateur et journaliste, à qui elle enverra de nombreux poèmes et qui la conseille ;
- Philippe Chabaneix, (correspondance entre 1929 et 1973), poète et libraire de livres de seconde main, rue des Beaux-Arts à Paris ; il la félicite pour ses poèmes et il écrit dans La Revue des Deux Mondes : “Jeanne Sandelion à laquelle nous sommes redevables des plus beaux cris de passion qu’une femme ait poussés depuis Anna de Noailles”. Sur sa dernière carte, Sandelion lui écrit en janvier 1973 : “Pour Montherlant, savez-vous qu’il a interdit par testament qu’on publie aucune de
ses lettres ?” Elle en possèdait 300 !
- Etiennette Corbiat, née en 1904 : une de ses plus grandes amies, (une très importante correspondance, entre 1923 et le 15 septembre 1976, et la dernière lettre 15 jours avant le décès de Sandelion.) Etiennette Corbiat (pseudonyme Rita, Pitou, Nisson) tenait une librairie-maroquinerie-fournitures de bureau, “Aux bons livres”, à Angoulème, et mettait à la disposition de Jeanne Sandelion un studio bd Saint Germain à Paris quand celle-ci se rendait à Paris.
Elle va donner des conseils à Sandelion quant à son attitude vis à vis de Montherlant : “Tu as été maladroite, tu as eu tort de trop te presser et de vouloir dénouer tout trop brutalement ce qui, à mon avis, ne devait que faire reculer un homme comme Montherlant. Je l’ai toujours pensé et quand tu m’as annoncé ta décision irrévocable de lui remettre tes carnets, les pages écrites pour lui, immédiatement il m’est venu à l’esprit que tu allais commettre une bêtise”.

Que signifie cette bêtise, cette remise de Carnets de Jeanne à Montherlant ? Montherlant le lui avait-il demandé pour la documentation de son roman Les Jeunes filles, ou pour une simple curiosité ?
Où est-ce Jeanne qui étouffant d’amour voulait absolument montrer à son bien-aimé tout ce qu’elle avait pensé et écrit à son sujet ?
Ces Carnets remis à Montherlant furent-ils rendus à Jeanne ? Certains de ces Carnets remis à Montherlant furent annotés par lui. On peut logiquement penser que Jeanne a recopié les Morceaux choisis et les a ensuite offerts à Montherlant qui fut du coup bien informé de l’intensité de cette passion.
Il semblerait que Sandelion et Montherlant se soient rencontrés en Algérie en 1928, et que leurs rencontres à Alger ne furent peut-être pas platoniques. Hypothèses…
Mais dans le Journal intime de Sandelion, préempté par la Bibliothèque Nationale lors de la vente publique de mai 2007, les épisodes de sa vie en Algérie et le récit de sa rencontre avec Montherlant seraient absents. Censure à l’initiative de Sandelion, ou à la demande de Montherlant ? Mystère non encore éclairci…

Dans une lettre datée du 16 février 1931 à Sandelion, Etiennette Corbiat lui conseille d’épouser Joseph Delteil ! (…) “Puisque tu m’affirmes qu’ il le voudrait, j’épouserais Delteil… après tout mieux vaudrait Delteil qu’un quelconque Monsieur que tu épouseras peut-être en dernier ressort. D’ailleurs, qui te prouve qu’en connaissant mieux Delteil, tu n’arriveras pas à l’aimer, sinon du grand amour passion qui t’attachait à Montherlant.”
Les deux femmes vont beaucoup s’écrire, parfois tous les jours, et parfois des lettres de 16 à 30 pages, surtout entre 1923 et 1930 ; en tout plus de 780 pièces de leur correspondance qui seront mises en vente en mai 2007.
- Joseph Delteil (1894-1978) : “Comment ne me souviendrais-je pas de vous, et de votre nom léonin, (Sang de Lion, ndlr) et de votre Montherlanderie !” (sur une carte datée de 1968).
- Jean Follain (poète, correspondance entre 1936 et 1968) ;
- André Foulon de Vaulx (homme de lettres, aristocrate “vieille France” et président de la société des poètes français, correspondance de 1930 à 1948) ;
- Christiane Loriot de La Salle, (rédactrice de revue littéraire, correspondance de 1937 à 1976) ;
- René Martineau (grand spécialiste de Barbey d’Aurevilly et de Léon Bloy) ;
- Marguerite Pebernet, née en 1908, vivant à deux maisons à côté de celle de Paul Valéry à Sète, tertiaire dominicaine ;

 
 

Claude-Maurice Robert.

- Claude-Maurice Robert, écrivain-poète, vit à Alger, bien connu par Montherlant qui l’a croqué sous les traits de Colle d’Epate dans Un Assassin est mon maître, passe huit mois sur douze au Sahara, apprécie la poésie de Sandelion, mais il va repousser l’amour qu’elle lui porte (dans une lettre de 6 pages datée du 20 septembre 1927, voir leur correspondance entre juillet 1926 et mars 1928) ;
- Jean Tenant, écrivain et intellectuel stéphanois, président des Amitiés Foréziennes qui publiera quelques poèmes de Sandelion. Dans leur correspondance de 63 lettres, il sera souvent question de Montherlant ;
- Marie-Louise Vignon, née en 1888, (correspondance entre 1927 et 1937) : dans une lettre datée de juin 1930, elle écrit à Sandelion :
“Si Montherlant vous est réellement attaché, peut-être qu’en effet l’avenir vous dédommagera de tant de tourments et de souffrances”. Et ceci encore dans une lettre datée de septembre 1930 : “Je vous félicite de votre rupture avec Montherlant : vous jugerez ainsi de ce que vous êtes vraiment pour son cœur et dans sa vie.”

7) Jeanne Sandelion aura une correspondance amoureuse avec un certain Edmond Gabriel Desprat.

Cet amour durera du 1er janvier 1938 jusqu’à la rupture décidée par lui en septembre 1940. Il est affecté en 1938 comme sergent dans le 1er Régiment de Zouaves en 1938, et elle fut sa marraine de guerre. Il est ensuite muté dans un camp militaire dans La Sarthe en 1940. Cette correspondance amoureuse est composée de 306 lettres et de 10 télégrammes. Lors de la rupture, l’amoureux retournera à Jeanne toutes ses lettres. Pauvre Sandelion la mal-aimée… !

8) Des lettres de Jeanne Sandelion à Montherlant

A. Le Journal intime

Dans son essai Montherlant et les femmes paru chez Plon en 1950, Sandelion prend garde de ne publier aucune de ses lettres à Montherlant ni aucune page de son immense (130 cahiers) Journal intime.
Il est donc intéressant de lire une lettre-type de Sandelion à Montherlant.
En réalité elle aura écrit à l’être qu’elle admirait le plus - (adorait serait peut-être un mot plus exact) - des centaines et des centaines de lettres.

Nous présentons ici un document daté du dimanche 16 juin 1929 mis à notre disposition par Monsieur Gérard Barbier, collectionneur de milliers de documents concernant Jeanne Sandelion et Mariette Lydis, deux femmes qui ont bien connu Montherlant. Je remercie vivement Monsieur Gérard Barbier pour toutes les informations qu’il a bien voulu me communiquer, car sans lui, cet article n’existerait pas.

Il s’agit donc d ‘une lettre manuscrite originale adressée à Montherlant qui est aussi comme un extrait du Journal intime de Jeanne Sandelion. On sait par des confidences de son amie Etiennette Corbiat (voir supra) que Jeanne Sandelion prit un jour la décision (en 1929 ?) de faire lire à Montherlant son Journal intime, ce qui a provoqué chez lui un recul, un éloignement, qui firent le désespoir de Jeanne.
Est-ce un de ces documents remis par Sandelion à Montherlant ? Sur ce document, on lit certaines annotations au crayon bleu, au crayon rouge, de Montherlant avec des biffures, des soulignements, des “vus”, de petits doubles cercles en marge pour noter, semble -t-il, ce qui l’intéressait.
Il faut reconnaître, pour comprendre le recul de Montherlant, que l’amour-admiration qu’elle éprouvait pour lui était proche de l’hystérie. Elle était obsédée par l’écrivain.
Follement amoureuse, toutes ses pensées convergeaient vers lui. Ses poèmes d’amour - (mais a t-elle écrit une poésie qui ne soit pas amoureuse ?) - semblent aussi s’être nourris de l’amour pour cet homme unique, intouchable, éloigné, qui ravissait son esprit et son cœur, mais laissait son corps insatisfait, ce qui la ravageait. Il était donc normal que l’écrivain ait voulu se protéger de cet amour envahissant qui n’était pas réciproque.
D’autres femmes ont ressenti pour Montherlant, comme Sandelion, un amour qui les rendait quasi folles. On pourrait donc considérer, à bon droit, après la lecture des centaines de lettres d’amour adressées à Montherlant, que son roman Les Jeunes Filles fut une réaction protectrice, une défense vitale pour lui, de sa tranquillité, de sa liberté, et de son œuvre face aux envahissements amoureux parfois à la limite de la pathologie. On comprend beaucoup mieux, dès lors, le portrait sans concesssion dressé par Montherlant de cet extraordinaire personnage des Jeunes Filles, Andrée Hacquebaut, qui rassemble en une seule créature plusieurs facettes de cet “Hamour” dévorant que l’écrivain fuyait comme la peste, et qu’il avait connu chez tant de ses admiratrices.

Dimanche 16 juin 1929

Cher Montherlant,

Je suis si contente de votre petit mot de ce matin (est-ce que vous croyez à la télépathie ? Moi, je finis par y croire, tellement ces coïncidences, ces croisements de lettres sont fréquents dans ma vie !) que je viens bavarder avec vous sans avoir rien de positif à vous dire. Voyons, que vous dirai-je ? Il fait très beau, c’est juin royal aujourd’hui, mois à presser sur son cœur. J’entends le tumulte des bravos et des bans qui monte de l’hôtel du Chapon fin (ils n’ont pas l’esprit inventif ces gens) inauguré aujourd’hui par le banquet annuel des Anciens Elèves de collège. Vous savez ? Celui qui fut fondé par le prêtre en géologie (sic). Il y a quelque chose de touchant, oui, de vraiment émouvant dans la persistance d’une tradition, renouée depuis la guerre, et bien que le collège n’existe plus. Ce matin, observant cette centaine d’hommes de tous âges, où il y a de grands blessés, des vieillards, de tout jeunes gens encore, je pensais qu’il y avait tout de même dans ce collège quelque chose qui n’est pas dans les lycées, une âme . Oui, pour que ces messieurs, dispersés, se réunissent ainsi chaque année, il faut bien qu’un lien ait subisté entre eux, un lien “spirituel”. Ce collège de Thoissey était quelque chose de très joli, de très bienfaisant et de très réjouissant pour le pays. Ses fêtes. Thoissey y participait. De très belles fêtes dont maman me parle encore. Et il y a quelque chose de très triste à penser que lorsque tous ces hommes seront morts, rien ne les continuera. L’âme de ces réunions et de cette fidélité, c’est mon vieil ami, l’homme qu’après vous, j’aime, je crois, le plus. Il a quelque 79 ans ! c’est un petit vieillard adorable ! Peintre (illisible) pas, naturellement, dans la peinture ni dans la littérature modernes (il a, jadis, ouvert, Le Songe (roman de Montherlant, ndlr), chez son fils - qui lui vous aime -, … (illisible), et en est ressorti épouvanté. Nous n’avons pas, étant donné la différence de génération, beaucoup d’affinités, vous le concevez ! Eh bien, c’est chez lui, chez eux, car sa femme est également délicieuse, que je me plais le plus. Parce qu’ils sont la bonté, la grâce mêmes ; que chez eux, je m’épanouis naturellement, qu’ils ont cette indulgence à la jeunesse si exquise chez les vieillards, surtout quand ils ne vous comprennent pas totalement. Ils sont la charité, le “christianisme même”.
Un jour ce vieillard, comme je lui disais que l’Evangile n’était pas praticable, a eu ce mot magnifique : “Moi, je trouve que c’est tout simple”. Tout de même, quand je lui dis que l’Evangile, c’est la non-résistance, c’est Tolstoï, il renâcle. Et l’affaire de l’Action française (1) le rend fou de colère…
On m’a interrompue, Dieu soit loué ! Sans ça, je ne sais pas où se serait arrêtée ma petite histoire.
J’aurais continué à vous brosser un petit tableau provincial. Vous m’auriez vue rencontrer là le père S, un des religieux du collège, et me faisant toute petite dans mon fauteuil, tandis que le père S parle au nom du Pape (2), et que mes vieux amis indignés défendent Maurras (3) (et moi lâchement, et du reste sincèrement, j’adhère tantôt à l’une des parties, tantôt à l’autre, absolument désintéressée de la question d’ailleurs, de la question en soi, mais pas de ses résultats qui sont la peine causée à mes vieux amis si convaincus, et si héroïquement écartelés entre leurs doubles convictions). Rencontrant là la vieille Madame J, veuve d’officier, désabonnée de l’Action française, elle, mais venant s’enquérir des nouvelles dans le temple de la résistance… etc… etc… Et puis Suzanne… Et quand il y a 3 roses sur un rosier de jardin - plutôt forêt vierge que jardin - c’est à qui des deux vieillards les aura plus vite cueillies pour vous les donner. Que je les aime, ces gens et qu’ils me réconcilient avec l’humanité. Et gais, et drôles, lui presque gaulois, nous rions parfois tous trois comme des enfants. Vous voyez si j’en ai des distractions, à Thoissey !

Lundi

Il suffit que je m’intéresse à Lacretelle (4) pour que je trouve sur lui des documents ! Un portrait en pied de lui dans une revue. Et il est né à Mâcon, c’est un compatriote, et son aïeul fut l’ami de Lamartine, et je me rappelle maintenant qu’il y a une rue Lacretelle à Mâcon ! Je me rappelle aussi avoir lu de lui Le Cachemire écarlate ; cela m’avait intéressée et paru très profond mais pas au point de ce roman-ci. C’est une curieuse personnalité, semble-t-il, un solitaire et un violent. Peste ! Il ne doit pas être commode. On cite de lui quelques lignes extraites sans doute de ce Journal de colère, que je n’ai pas lu : “Quand j’ étais enfant, mon plus grand plaisir ( !) était de m’en aller dans la campagne et de crier “à mort ! à mort ! à mort qui ? Tous et tout : les hommes, les femmes, les insectes, les brins d’herbe… Plus tard, un jour que mon père m’avait puni à tort, j’ai tordu une épingle et je l’ai cachée dans l’éponge qu’il passait sur son visage…
Est-ce bien de la colère, cela ? Il me semble que c’est davantage : le second trait est de rancune féroce (la colère a-t-elle ce raffinement, cette réflexion, cette préméditation ? Je me le demande.)
Et puis ce : à mort ! c’est proprement effrayant. Oh ! Vous n’avez rien écrit de pareil ! Il y a chez vous des violences à froid, mais qu’on sent toutes physiques ou une espèce de taquinerie impitoyable. Vous connaissez le délicieux mot de Victor Hugo : la taquinerie est la méchanceté des bons ?
Mais il me semble que cet homme serait capable d’empoisonner quelqu’un si enfant, il a été capable de cette horreur. Enfin, il y a de ces méchancetés d’enfants qui n’ont pas d’écho dans l’avenir…
Chez vous, il y a quelque chose de si bouillonnant, de si vivant, qui sauve tout. Chez celui-ci, quelque chose de froid, de protestant, qui inquiète. On sent un être que le mal intéresse (un peu comme Gide), qui se plait à traiter des cas morbides (du moins dans Le Retour de Silbermann, il parle à sa femme de projets de romans de ce genre). Et vous, eh bien oui, on ne vous sent pas d’inclinations au mal, vous le faites d’instinct, si je puis dire, sans perversité. Vous l’avez dit : que vous ne compreniez que l’état d’esprit de l’innocent. Et on le sent très bien.
J’avais déjà réfléchi à cela ces jours, quoique vous sembliez revenir avec complaisance (illisible), ces temps-ci, et en être à cette période de hantise de l’esprit du mal dont il est question dans ce projet que vous confiiez à Lefèvre (ce poème dans le genre de Faust) - je crois(illisible), j’ai l’impression que vous l’avez déjà dépassée-eh bien, je ne trouve pas qu’il y ait tant de mal en vous. Il n’y a que cet immense appétit de tout, ce désir de possession universelle, dans tous les domaines. (illisible). et moi-même j’ai eu le désir et la nostalgie et l’avidité de tout connaître, de tout voir et cela vous fait passer sur ce qui vous résiste (il y a encore une phrase… dans Climats, je la rechercherai quand le livre me sera rendu. Elle s’applique admirablement à cela ?) Et votre violence physique. Hors cela, je ne vous trouve que des qualités ! Saluez. Mais c’est vrai, à la fin, cela m’agace, qu’on vous comprenne si mal ! Un “mauvais caractère” - et c’est tout ! Les êtres nobles ont presque toujours mauvais caractère ; il faut bien que les autres aient quelques compensations !
Vous ne commettez pas ce péché de l’esprit que le Christ a maudit par dessus tous (si ce n’est que vous cédez volontairement aux tentations !). Ni l’amour des richesses, ni la dureté aux humbles et aux petits, ni l’orgueil, non même pas l’orgueil, je le sais bien.
Tout à l’heure, vous allez être un saint ! Il faut que je m’arrête… que je suis folle, n’est-ce-pas ?
C’est beau, le bien, tout de même. Oui, c’est plus beau que le mal. Et il y a un critèrium (sic) certain, en dehors de toute morale, c’est que c’est bien plus difficile à faire que le mal.

Mardi

 
 

Jeanne Sandelion.

De tels billets me paieraient de toutes peines, si j’en avais à vous écrire. Mais je n’ai que du plaisir. Eh bien oui c’est entendu, je ne vous ferai pas redire éternellement que vous avez du plaisir à recevoir mes lettres. Mais si je doute aussi de vous, c’est bien votre faute ! Vous vous dépeignez si changeant, si capricieux qu’avec vous on peut s’attendre à tout ! Cette fois, j’étais un peu chiffonnée parce que je vous avais dit : “Rassurez-moi”, et la réponse reçue de la (illisible) : Etes-vous satisfait ? et que vous ne m’avez pas répondu. Je sais bien que je douterai encore - mais cela ne fait rien, au contraire, cela me permet de me rendre compte une fois de plus, chaque fois, que mon attachement pour vous tient vraiment à vous-même et n’est pas conditionné par un procédé envers moi. Puisque même un peu déçue et déroutée par vous, par un silence que je ne sais comment interpréter, mes sentiments pour vous demeurent les mêmes, puisque je continue à penser à vous, à vous écrire, à vous défendre auprès des aveugles (travail qui n’est pas toujours celui des Danaïdes heureusement) avec le même élan.
Je vous en prie, ne soyez pas malheureux. Je sais bien que le malheur est un état d’âme, et que le bonheur n’est pas conditionné par les circonstances ni les avantages matériels. Tout de même, vous avez tous les éléments du bonheur. Essayez de bâtir cela avec un autre ciment, s’il le faut, que celui de la jouissance et celui de la connaissance. La vraie valeur de ce monde, voyez-vous, malgré toutes amertumes, et déceptions et dégoût des êtres, c’est encore l’amour. Votre malheur, je le sais trop, vient de votre noblesse et de vos dégoûts, dégoûts de ce qui n’est pas pur (de compromission) et absolu, et tout de même un peu de votre égoïsme - quoiqu’il soit bien moins grand qu’on ne croit - oh ! oui.
Non, votre vie n’est pas perdue. Vous vous trouverez une tâche. Cessez de la chercher. Peut-être qu’elle viendra au moment où vous l’attendez le moins. Votre destinée, en ce sens, est un peu celle d’une femme, qui doit attendre passivement son destin. Que cette attitude vous pèse, je le conçois. Comme la mienne m’eût pesée si j’avais consenti à être cette jeune fille d’autrefois qui attend l’Inconnu derrière la fenêtre. Je me suis débrouillée comme j’ai pu avec la vie, étranglée et étouffée de partout, mais je n’ai voulu attendre de personne le modelage de ma destinée.
Quand, à 27-28 ans, j’ai pensé que j’avais peut-être tort, que ma destinée était peut-être l’amour et (ou) le mariage, j’ai appliqué à ce nouveau dada la même méthode. J’ai pris une attitude active, je suis allée au devant de ce destin, descendue dans la lice, je me suis battue avec ce destin, enfin, comme vous avec l’Ange de la Poésie ; en deux ans j’ai été battue trois ou quatre fois à plate couture et cela sans douleur. Je suis donc rentrée sous ma tente, sans blessures, ce qui est déjà quelque chose. Sans gain ni perte. Combat nul. Statut quo.
Ou plutôt non. Nul en résultats tangibles, pas nul en enseignements et découvertes intérieures. Mon roman qui retracera ces velléités sentimentales, s’arrêtera à ce statut-quo. Mais depuis, j’ai fait de grands pas vers ma vérité et je crois pouvoir me le dire, j’ai atteint une sorte de paix en acceptant le désespoir. Oui, la paix dans le désespoir. Naturellement désespoir au sens littéral, perte de l’espoir et non torrents de larmes versées, de même qu’on dit de vous quand on vous voit béatement fumer un cigare, on doit le dire de moi quand on me voit passer en robe fleurie et boucles au vent, ou quand on m’entend chanter à tue-tête le répertoire le plus varié, depuis la scie populaire jusqu’au grand air de ceci ou de cela ! C’est à dire que je n’attends plus rien, que je ne cherche plus, peut-être parce qu’en un certain sens j’ai atteint et trouvé… Paix (… . illisible) de tourment, mais tout, en ce monde a ces deux faces. J’ai pris, quant à l’avenir, deux résolutions qui consolident en moi cette paix relative. Pour le reste, j’ai renoncé. Totalement.
Eh bien, voyez, au moment de mon plus grand abandon, de ma plus grande solitude morale, le destin m’envoie cet erzatz, ce dérivatif délicieux qui est ce que votre amitié me permet et me donne.
Qui sait s’il ne vous enverra pas cela aussi ? Non, non, votre vie n’est pas perdue. Oui, il faut travailler, il faut nous donner ce roman avec lequel vous nous mettez l’eau à la bouche depuis si longtemps. Pendant ce temps-là quelque chose s’éclairera pour vous, j’en suis sûre. Et puis ajoutez à tous ces (illisible) éléments de bonheur - si ce n’est pas trop prétentieux de ma part. Si, tout de même, c’est quelque chose qu’un dévouement fidèle et vrai, n’est-ce-pas ?
Je ne suis qu’une petite chose et je vous dis cela avec une maladroite simplicité. Je voudrais tant que mon amitié écartât de vous la solitude morale si cruelle. J’ai recopié pour vous, une fois, sur quelque feuille volante que je retrouverai, une pensée de Gœthe que je vous donne ici :
“Le monde nous apparait immense et vide tant que nous n’y voyons que des villes, des rivières et des collines. Mais de savoir que silencieusement, quelqu’un vit avec nous, voilà qui fait de notre boule terrestre un jardin heureusement habité.”
Je voudrais bien pouvoir vous donner cette impression-là. En tout cas, c’est bien cela que je vous donne, je vis avec vous et cela sans effort, par une émanation naturelle de ma pensée vers la vôtre, si je puis dire (illisible) m’intéressant passionnément à tout ce que vous faîtes. Emanation naturelle, et constante et irrésistible. Je rapporte tout à vous, sans cesse. Je ne peux pas faire autrement. C’est bien plus que de l’amitié, et que de l’amour, c’est une fraternité. Vous vous étonnez de mes divinations, de mes intuitions quant à vos goûts (mais c’est à un point ! Je sais lesquelles de vos amies vous plaisaient tout à fait, celles qui vous plaisaient pendant dix minutes - mettons quinze ! - et vous agaceraient ensuite, celles qui vous crisperaient tout de suite… etc. Vous riez ?
Je suis votre jumelle spirituelle, en quelque sorte, à tel point qu’un jour cette formule s’est installée en moi, bien amusante, que vous aimez (… illisible) un inceste moral !
Je vous aime bien Montherlant, vous savez. Et si le bonheur se donnait, lui aussi, comme un diamant, et si je le possèdais, il aurait vite passé de ma main dans la vôtre.
Mais vous, avec tout ce que vous avez - que je n’ai pas - vous ne devez pas accepter le désespoir.
Ce livre sur l’Inde, toute sa première partie vous enchanterait. Il y en a trop long. Je vous le porterai quand j’irai à Paris. Mais je veux encore vous recopier ceci, que m’a rappelé une phrase de vous, relue dans La Dernière Heure avec… que je voulais envoyer à quelqu’un.
Dans une de ces soirées tranquilles passées avec ma mère. Je lui demandai :
- Tout sentier mène-t-il à Dieu ?
- Oui si on le suit logiquement jusqu’au bout.
- Même le sentier du mal ?
- Oui. Tu te souviens que Dieu eut un serviteur qui désobéit à Sa volonté et qui tomba du Ciel. C’était Rasana.
- Seigneur, implora-t-il, je voudrais retourner auprès de toi.
Et Dieu lui dit :
- Va faire pénitence sur la terre.
- Mais je voudrais retourner bien vite auprès de toi.
- Eh bien, va et deviens mon ennemi.
- Ton ennemi Seigneur ! s’écria Rasana.
- Oui, car si tu reviens au monde comme mon ennemi, et si tu détournes les hommes de la voie droite, je viendrai sur la terre pour te détruire et sauver l’humanité. Et en te détruisant, je te libérerai et te ramènerai dans le ciel.
- Si tu peux, ajouta ma mère, faire ainsi le mal, en l’accomplissant logiquement jusqu’au bout, même alors tu trouveras Dieu. Ne t’arrête jamais à mi-chemin. Va comme le fleuve jusqu’au bout, et il se trouvera qu’à la fin tu seras parvenue à atteindre Dieu.”

Vous reconnaîtrez là quelque chose de vôtre, Monsieur le jusqu’au-boutiste. Et que d’autres choses belles, belles, de ces grandes images que vous aimez, une ampleur et une naïveté admirables. Si je ne craignais la crampe de l’écrivain, et si je n’avais une robe à me faire ( !)
Et j’oublie de vous dire que je reçois ce matin aussi (seulement le paquet était allé chez mon père) vos Drapeaux morts. Et je sens que cela va m’ être très cher. Jour de bonheur.

Mercredi

 
 

Thoissey.

Il y a encore un petit livre que je voudrais trop vous envoyer. Puisque cela ne vous ennuie pas, mes “envois d’office”. Cela me fait plaisir de vous faire partager quelque chose que j’aime, et j’aime infiniment Marie-Noël (5) auprès de qui je me sens bien petite. Celui-ci vous me le rendrez à Paris. Cela ne ressemble ni à Daudet, ni à Cocteau, mais je serais bien étonnée si votre “féminin” n’en était pas ému. Cela ne vous enrichira pas, et vous ne le lirez pas tout entier, car il y a bien des mots, trop sans doute. Mais cette fraîcheur, la simplicité poignante de certaines strophes, qui atteint sans peine, souvent, à une ample grandeur, ces trouvailles si pures, cette enfance, ce cœur, cette âme, ce chant final digne des grands mystiques. L’abbé Brémond, H Charasson font de Marie-Noël notre plus grand poète chrétien. Lucien Descaves lui a consacré un bel article il y a quelque temps dans Les Nouvelles littéraires. C’est une simple femme (qui doit être âgée maintenant !) mais un poète élu, certainement. Je ne vous envoie pas cela pour vous enrichir, mais pour que vous l’ouvriez un soir de tristesse et de solitude, et qu’il vous soit comme ce petit oiseau. Vous savez ? Je le joindrai à mon manuscrit.
Les annonces dans les articles qu’on lit sur l’exposition de Barcelone font un curieux écho à votre belle page Tragédie de l’Espagne au bas d’un grand dessin, dans les Annales, entre autres choses. Les étrangers qui visiteront l’une quelconque de ces sections et qui pensent encore que l’Espagne est un pays de traditions romantiques modifieront bien vite leur jugement sur ce grand pays.
Je glane quelques phrases sur un article de Pierre Mac Orlan. : “Les Français qui se rendirent à Barcelone, il y a une vingtaine de jours, furent séduits par cet accueil familier qui n’appartient qu’au peuple espagnol, particulièrement au peuple catalan. Le protocole sut rompre son cadre, et ceux qui lui obéissent à certaines heures, surent également se mêler sans contrainte et sans affectation, tout naturellement, aux manifestations les plus typiques de la joie populaire. Nous ne pouvons pas trouver chez nous de spectacles qui soient comparables à cette émouvante fusion des classes.”
Vous voyez l’accord avec ce que vous avez souvent dit vous-même.
Le livre de Carco, tout au moins en ce qui concerne Barcelone, est vrai, mais vrai à la manière de Carco. Ce que j’écrirai sur ce peuple catalan que j’aime sera vrai, mais vrai à ma manière.
Et puis toujours la même chose, que l’Espagne aime bien son pittoresque et son passé, mais… rythme du présent… “volonté de vivre d’un grand peuple qui tâche à renouveler son décor, et à transposer sa sentimentalité” etc… “Est-ce bien là l’expression d’une volonté ? Je crois plus volontiers que l’Espagne fait table rase de son passé, à son insu, comme toutes les nations d’Europe. Une vitesse irrésistible nous entraîne tous vers les buts que nous devons atteindre, et qui ne sont plus accessibles à la science divinatoire des gitanes de Triana.”
Est-ce que, vraiment, il n’est pas possible aux nations de (illisible) des poètes ? encore moins qu’aux individus ? Ah ! comme là aussi sans effort je suis avec vous, et sans aucun entrain vers ce “progrès” turbulent et vain !

Vendredi soir

Je ne vous ai pas écrit ces jours parce que… parce que je me fais une robe, figurez-vous, et qui me donne un mal. La misérable ! (Voila ce qui sauve du désespoir une femme, ces petits embêtements matériels !). Et puis j’ai flâné, pas trop lu, d’habitude l’été, je ne lis pas beaucoup mais à cause de vous, cette année, cette intensité spirituelle ! La connaissance, c’est un plaisir, un grand plaisir froid et brûlant à la fois, quel charme quand cela devient un instrument au service de l’amitié. Seulement je n’ai plus de livres, et plus le bon ! Tant pis pour vous si je ne vous écris plus que des puérilités. J’ai reçu et lu vos Drapeaux, mais trop vite. Je suis contente d’avoir là dedans des pages déjà connues et aimées. Les premières me sont les plus chères, parce qu’elles rendent ce ton que j’ai aimé le premier. Les autres aussi du reste. Je vous aime souriant, je vous aime ironique, je préfère à tout cette fervente gravité.
Je viens de vous envoyer mon manuscrit. Je me trouve un peu sotte. J’y avais joint Marie-Noël. Je venais de feuilleter cela. J’en étais émue de nouveau, je ne sais. Je n’abuserai pas. Soyez tranquille. Je ne vous enverrai pas toute une bibliothèque ! J’avais encore l’envie de vous envoyer Le Voyage de Shakespeare et c’est tout. Mais ces jours je l’ai égaré. Je l’ai précisément dans cette collection bon marché où vous me dites que paraîtront Les Bestiaires. Et mon cher Songe chez Fayard ! (Je vous croyais fâché avec Fayard). Oui, mais cela ne fait pas mon affaire une édition à 3,50 frs !

9 heures

Ma trouvaille de ce soir dans le petit courrier d’un journal de mode qu’on me passe par hasard :
“On a le sens du chat ou on ne l’a pas : il n’y a point à raisonner sur la question. J’ai vu des gens qui par ailleurs ne donnaient aucun autre signe d’aliénation mentale ( !) embrasser des chats irrésistiblement, avec frénésie, sans que l’affection et encore moins l’amour fussent en cause. Et ces gens n’étaient pas toujours des raffinés, des névrosés, mais souvent aussi des êtres sains et primitifs”. (Pierre Loti, La 3ème Jeunesse de Mme Prune).
Pourvu que vous n’ayez pas lu cette 3ème Jeunesse de Mme Prune. N’êtes-vous pas ravi ? “Le sens du chat”. Quelle formule ! Et l’on se moque des petits courriers, où l’on trouve des choses pareilles.

Dimanche 23 juin (1929)

 
 

Jeanne Sandelion.

Savez-vous, cher Monsieur, à quelle époque j’ai fait votre connaissance ? Moi, je sais maintenant la date exacte, à quelques jours près. J’ai retrouvé cela dans mon Journal, et je me suis amusée à chercher à la suite tous les endroits où il est fait mention de vous. Il y en a beaucoup. Dans une période où j’aurai plus de loisir et rien d’intéressant à vous dire, je vous amuserai en vous recopiant cela, avec les dates, et naturellement sans y changer une virgule, et en vous donnant ma parole de cette fidélité. En tout cas, voici. Cela doit remonter à septembre-octobre de cette année (1923), mais c’est le 17 octobre 1923 que j’ai parlé de vous pour la première fois. En ces termes :
“Lâche et faible, j’adore les œuvres qui exaltent le courage, l’ardeur, la vie, ces œuvres fières, froides et brûlantes. Il me semblait ce matin que je lirais Saint Just de Marie Lenéru avec ivresse. J’en ressens à l’avance l’âpre plaisir. Barrès, Montherlant - Ce Monthelant que j’aime tant, pour ce qu’on en dit et pour la seule page (que j’en ai lue l’autre jour sur Les Nouvelles Littéraires : Introduction à la vie héroïque. La Leçon du stade. Une page merveilleuse, exaltante, une fin qui me comble de joie, j’aurais dû copier cette phrase finale : “L’espérance, cette volonté des faibles…” et “Il y a un instant : qu’il soit à moi”.
Cette admirable fierté ! Marie Lenéru, j’en suis sûre aurait aimé Montherlant (à ce moment j’étais très férue de Marie L, donc c’était un grand hommage).
Suivent des lignes que je vous recopierai quelque jour, qui illustrent ma mentalité sentimentale d’alors et expliquent à leur manière l’attrait que vous avez exercé sur moi tout de suite. J’ai relu tous ces fragments avec émotion. Il y a, alentour, des puérilités, des choses. J’ai erré en beaucoup de choses, ma vie s’est passée à sortir péniblement d’une gangue. On est “toujours tout seul”, oui, dans sa jeunesse, mais tout de même, ce contact avec des valeurs vraies, les humanités - tout cela, pour un jeune garçon, par exemple, hâte bien l’arrivée à la lumière. Moi, il m’a fallu me chercher à travers tant de médiocrités. Médiocrités spirituelles et matérielles dont vous n’avez même pas l’idée (…) Une phrase m’arrête à la fin de cette page au sujet de laquelle je voulais depuis longtemps vous dire un mot. Croyez-vous réellement que Barrès (car c’est bien lui, ce contemporain, n’est-ce pas ?) entendait par poésie ce que vous entendez vous-même, c’est-à-dire “les dons de Cypris, de Bacchus, etc”… . Non, non, je ne crois pas.
Mais ce je ne sais quoi, cet indéfinissable, ce halo autour des choses, qui baigne certaines de ses pages et tant des vôtres, je ne sais pas vous expliquer cela !
Nous entrons dans l’âge des tristesses continues, disait Flaubert. Quel âge me croyez-vous donc, mon Dieu ? (Journal de Marie Lenéru). Cette phrase depuis quelques années, me revient sans cesse. Elle est poignante. Vous devriez lire, ou relire ce Journal à chaque page, vous retrouveriez votre ennui, vos à quoi bon ? Mais ici, la raison en est si douloureuse que l’on se sent presque heureux à côté. Marie Lenéru, si mal comprise elle aussi de tant de gens. Elisabeth d’Autriche, Marie Lenéru, vous êtes de même race que ma tendresse fraternelle presse avec le même élan”.

Notes sur cette lettre du 16 juin 1929

(1) Il s’agit de la condamnation le 29 décembre 1926 par le Pape Pie XI, de l’Action française, mouvement politique français nationaliste et royaliste fondé en 1898 lors de l’Affaire Dreyfus. Ce mouvement antidreyfusard, antiprotestant, antisémite et xénophobe eut une forte influence tout au long de la Troisième République. Les livres de Maurras et le Journal de l’Action française seront mis à l’Index par décret du Saint Office. En 1927, les adhérents de l’Action française seront interdits de sacrements. Cela portera un coup très dur au mouvement, et traumatise une certaine droite catholique, dont font partie certaines personnes vivant dans l’entourage de Jeanne Sandelion. C’est le Pape Pie XII en 1939, suite à la guerre d’Espagne et au renouveau de l’anticommunisme au sein de l’Eglise, qui lèvera l’ excommunication de l’Action française.
Dans une lettre à Sandelion, Montherlant écrira qu’il n’a que des ennemis à l’Action française !

(2) Il s’agit du Pape Pie XI

(3) Charles Maurras (1868-1952), journaliste, essayiste, homme politique et poète français. Comme dirigeant de l’Action française, disciple des penseurs de droite comme de Bonald et de Maistre, et réactionnaire monarchiste, il joua un rôle majeur dans des campagnes de presse contre, notamment, Roger Salengro, ministre de l’Intérieur du Front populaire. Ses talents de polémiste et d’écrivain lui donneront une grande influence dans les milieux cultivés et conservateurs, et notamment à l’Académie française dont il sera membre jusqu’en 1945, année de sa condamnation par la Cour de Justice de Lyon à la réclusion criminelle à perpétuité et à la dégradation nationale pour haute trahison. Il sera exclu automatiquement de l’Académie française, mais son successeur ne sera nommé qu’à sa mort en 1952.

(4) Jacques de Lacretelle (1888-1985), écrivain français. Il est élu le 12 novembre 1936 membre de l’Académie française, . Il y restera pendant plus de quarante-huit ans et en deviendra le doyen d’élection les quinze dernières années de sa vie à la mort de François Mauriac en 1970.
En outre, il joua un rôle prépondérant lors de la renaissance du Figaro, à la Libération. Après avoir été un des cinq membres de l’équipe Brisson, il fut administrateur de la Société fermière du Figaro de 1950 à 1969, dont il fut président-directeur général, du Figaro littéraire et de la S. A. Le Figaro.
D’un naturel pessimiste, l’auteur écrit sans se soucier des conventions, notamment dans son roman “la Bonifas” (homosexualité féminine), et dans son chef d’œuvre Silbermann. Sans être antisémite, Lacretelle partage pourtant les théories racistes de Gobineau, auxquelles il fait référence dans un récit de voyage : “Que ce copieux métissage ait abouti à un avorton contrefait et prompt à l’imitation autant qu’un singe, voilà qui eût enchanté Gobineau.” (“Le Demi-Dieu ou le voyage de Grèce”, Paris, Grasset, 1930, I, p. 18). On trouve également d’autres passages sur l’Italie fasciste et Barrès…

(5) Marie-Noël, de son vrai nom Marie Rouget (1883-1967), grande poétesse française très catholique, admirée par Montherlant. A toujours vécu à l’ombre de la cathédrale d’Auxerre.



B. Morceaux choisis du Journal offerts à Montherlant par Sandelion

Elle décide d’offrir, en 1929 ou 1930, à Montherlant des “Morceaux choisis” de son Journal allant de 1923 à 1926.
Montherlant n’appréciera guère le cadeau, et en tête de ce document, il écrira fâché au crayon bleu “Son Journal” et en dessous “Rien” souligné rageusement. Ce document est composé de sept pages manuscrites, extraites du Journal, qui sont la copie par Jeanne de son vrai Journal, copie qu’elle jure identique au texte de l’original.

Je glâne certaines phrases sur les années 1923-1924-1926 :

1923 : “Dans Montherlant dont je n’ai lu que quelques pages et des vers adorables, je me suis trouvé un magnifique ami (…) Et en voila un que je pourrai suivre pas à pas. Faites, mon Dieu, que ce soit pour la vraie gloire, celle d’un Barrès (…) Je me souviens de son portrait. Très laid mais des yeux qui sortaient du visage, ardents et pleins d’une volonté intense. (…) Relu une page de Montherlant dans un Figaro. J’adore ce style ferme, original, et ce tour d’esprit. Je l’aime d’aimer le courage dans la femme et non la faiblesse. De tels hommes nous grandissent, alors que les autres sont de piètres amants ou époux. La femme “faiblette”, oui… avec cela qu’ ils la protègent si bien ! Si amoureux que Montherlant soit de la vaillance féminine, je sais bien qu’une femme sur lui pourrait s’appuyer (…) Lâche et tremblante, j’ai le goût de la force, de la volonté et de la grandeur. Voilà pourquoi j’aime Henry de Montherlant (quel beau nom !) qui, ensuite, est un écrivain splendide. (…) C’est entre nous à la vie à la mort (…)Il y a longtemps que je n’ai contracté une telle admiration, que je n’ai donné une adhésion de mon cœur aussi entière à un homme. Je serais heureuse, peut-être, d’obéir à un tel homme, je le respecterais, je voudrais être sa digne compagne et me guérir de ma faiblesse. Une femme supérieure a besoin que son mari soit grand. C’est dommage que M ne soit pas beau ! Car il est laid, une tête trapue, des lèvres avançant, quelque chose d’un dogue. Et des yeux ardents, directs, impérieux, le front haut. (…) - (Elle n’avait vu Montherlant que sur de mauvaises photos de presse ! ndlr) - (…) Ah ! Montherlant ! Montherlant, si vous saviez ce que vous êtes pour une pauvre petite poétesse provinciale dont vous souririez. Quelle doctrine de forts vous nous apprenez (…) son style est si merveilleux, si fouillé, si sculpté et en même temps si aisé, si naturel, si ample, si grandiose parfois… (…) Que je grandis à lire Montherlant. J’ai lu La Petite 19. C’est effrayant tellement c’est beau ! La volupté mais nimbée de grandeur, si païenne certes, mais pure. Cette lecture me délivre de ce rien de langueur troublée qui me restait, non des câlineries de…, mais d’avoir pensé, grâce à elles et à nos conversations, au véritable amour, qu’on peut donc bien vivre sans cela ! Merci, Montherlant, s’il savait comme je l’aime, ce garçon-là. Mais il ne m’estimerait pas de chercher ma force dans ses livres !

1926 : (…) Un Montherlant, que je place au dessus de tout, un homme de la Renaissance, complet, splendide, somptueux ! (…) Tant mieux qu’un Montherlant fût condottiere, somptueux Médicis égaré dans ce terne XXè siècle, me fait du bien ! (…) Ce Montherlant inaccessible ! Ai eu tort de lui répondre, et avec mon habituelle franchise bien inutile, ma manie de ne pas me prendre au sérieux, de lui dire que je n’étais pas la Madame mûre et lettrée à laquelle il croyait écrire peut-être (dont l’opinion a du poids), mais une simple jeune fille. Tant pis ! Et pourtant … S’ il ne m’envoyait pas ses Bestiaires, à présent ! etc… etc…

Note : Ces Morceaux choisis (document qui est la propriété de M Gérard Barbier) du Journal écrit entre 1923 et 1926 par Sandelion furent adressés à Montherlant sans doute vers 1930. Elle voulait lui démontrer combien depuis la première lecture de la première page de l’œuvre, elle était tombée amoureuse de lui. Le résultat fut que Montherlant eut un recul devant une telle passion ou une telle obsession, et que leurs échanges se tarirent pour reprendre, sans doute, plus calmes, plus moqueurs, plus rudes et plus rares de la part de Montherlant de 1946 à 1963, année de la rupture sans doute définitive.


10. Les lettres de Montherlant à Jeanne Sandelion

Sont donc déjà publiées, les 45 lettres de Montherlant à Sandelion qu’elle a insérées dans son Essai Montherlant et les femmes. (Lire le point 3 ci-dessus du présent article).
Il resterait donc 250 lettres à connaître, vu que Sandelion a toujours confié qu’elle possèdait 300 lettres de l’écrivain.
Jeanne Sandelion et Montherlant ont poursuivi après la Seconde Guerre mondiale leur échange de lettres, mais plus rare, et certaines lettres de Montherlant conservées par Sandelion furent mises en vente par les héritiers de Sandelion. (Certaines de ses lettres (ou billets) -qui me furent communiquées par M. Gérard Barbier pour cet article - sont en général, très courtes.)

En voici quelques exemples avec de courts extraits, car une publication complète de toute cette correspondance non encore éditée, doit être d’abord autorisée par l’héritier de Montherlant, Monsieur Jean-Claude Barat :

1929 : Votre attente à ma porte me reste sur le cœur, comme un épisode assez atroce. Vos coups de tête, vos paniques, vos égarements. J’ai trop connu tout cela pour n’en être pas remué comme s’ils étaient miens. Que vous dire ?

29 mai 1946 : Je vous remercie de m’envoyer ces vers de Marie-Noël (…) C’est le seul poète vivant qui me touche. Cela vient du cœur, c’est écrit avec une simplicité racinienne (je veux dire : la simplicité de Racine quand il est grand ; hélas, il ne l’est que rarement (…) Il y a deux bonhommes de lettres aujourd’hui et ces deux bonhommes sont des femmes : Colette et elle.
Marie-Noël est presque entièrement inconnue du grand public. Et même du public catholique. Un scandale entre mille scandales.

21 août 1947 : Vous avez chaud ? Eh bien moi aussi. Mais moi, je n’ai pas de rivière. Je travaille précisément de 8h du matin à minuit et demi, avec une heure et demi pour les deux repas, aux Garçons, dans mon appartement obturé contre le soleil, nu avec un slip (ou même quelque fois sans slip) et 38° dehors. J’ai gardé une puissance de travail énorme et intacte. Et il n’y a que cela qui me fasse plaisir, ça et faire l’amour. “Il y a le travail, puis l’amour, puis rien”(Gobineau) (…)
Combien d’accord avec vous sur les journaux féminins. On me dit misogyne. Mais c’est tout le monde en France, qui méprise la femme. (Et n’aime pas l’enfant). On fait celui qui s’intéresse à l’enfant et on désire la femme : mais d’amour, rien. Et de respect, rien.
etc… etc…


11. Les poèmes de Jeanne Sandelion sont ceux d’une amoureuse

Sandelion a écrit de nombreux recueils de poésies dont certains reçurent des prix littéraires. Montherlant les appréciait sincèrement. Elle avait un réel talent, classique pour la forme, avec une richesse d’images, de comparaisons fraîches tirées de la nature, de sa connaissance des plantes et des fleurs, des animaux, de son expérience de la vie à la campagne.
Elle écrit des poèmes d’amour. Elle ne fait qu’aimer, car elle ne sait qu’aimer.
Si l’amour tient une telle place dans ses poèmes, et vu qu’elle a vécu un amour intense, dévorant, pour Montherlant, on peut déduire sans trop se tromper que cet amour “impossible” qui la brûlait nourrissait ses poèmes.
L’amour qu’elle clame est une tension de tout son être vers un homme qui ravit son esprit, mais qu’elle ne peut serrer dans ses bras, car il est absent ou lointain. Il y a donc, chez elle, un mouvement d’ardeur païenne vers l’être aimé qui est très souvent suivi d’un retour mélancolique et désespéré sur elle-même.

Voici quelques extraits de son recueil “D’un Amour vivant”, publié en 1939 aux Editions du Gœland, et tiré à 300 exemplaires :


Sur ton absence

Sur ton absence je repose
comme l’abeille sur la fleur
et je me nourris d’une rose
vide d’arôme et de couleur…

Si peu de miel, tant de douleur !



Pâle fruit…

Pâle fruit d’un verger qu’épuise l’abondance,
tu m’offris ? Amitié, ta pulpe douce et fade
mais sur le grenadier j’ai cueilli la grenade,
toute sang, chair et miel, et l’ai bue en silence.

Amour, robuste Amour, grappe de violence,
source qui jaillissez d’un jet dur, vos saccades
de cristal étouffant la plaintive roulade
d’une qui, frêlement, s’égoutte et ne s’élance,

vin ruisselant du roc et des pressoirs sauvages
et qui nous versez l’aube ou troublez la raison,
divin Amour, bouquet de sucs et de breuvages,

ne verrai-je jamais vos coupes sur ma table
et votre eau vive, au cœur secret de ma maison,
m’encenser en secret de perles délectables ?



Extrait de Neiges

Je ne sais pas comment ni par quels sortilèges
déjouant ce complot de givre et de sommeil
et triomphant de tout, comment triompherai-je,
mais d’un bond m’arrachant à l’étreinte des neiges,

j’irai jusqu’à ton cœur comme l’aigle au soleil !



Tu ne m’appartiendras…

Tu ne m’appartiendras jamais, mon cher Passant
d’où ma hâte à t’aimer, ma fureur de t’étreindre ;
nos astres désunis devront un jour s’éteindre
aux deux pôles du ciel vide et resplendissant.

Mais je t’aime, et puissante ainsi qu’un démiurge,
je rassemble la grâce autour de mes aimants,
j’arrête ce qui fuit, je vainc ce qui s’insurge,
j’emprisonne la flamme au cœur du diamant

Je t’aime et chaque jour nous sommes face à face,
que du fond de l’oubli tu le veuilles ou non,
et pour te posséder à travers tant d’espace,
je ne fais seulement que prononcer ton nom.

Je te nomme, et tu es ; j’étais seule et nous sommes
deux, quand tous tes efforts voudraient te ressaisir ;
tu te tais, et la force est à celui qui nomme
et l’absence à jamais vassale du désir.

Celui qui n’aime pas appartient à qui l’aime
Celui qui n’aime pas… Tu m’aimes cependant,
mais ta faible amitié maîtresse d’elle-même,
de quel poids la peser au fond d’un cœur ardent ?

Ton amour est de ceux qui jamais ne se donnent ;
il se prête, ignorant l’usure toutefois…
- Garde, ô mon cher Passant, l’or, l’anneau, la couronne ;
je ne veux rien qu’aimer et veux aimer que toi.



Extrait de L’impossible oubli

Attendra-t-il que tu reviennes,
ce cœur à t’aimer asservi ?
Seigneur, donnez-nous aujourd’hui
nos tristesses quotidiennes !

Cette prière pour le joug,
Dieu déjà la pressent, l’accueille :
il suffira d’un soir plus doux,
d’un peu plus de vent sur les feuilles…

De mon amour, enfant leurré,
les vacances seront finies,
et d’un soupir je rouvrirai
la porte de mes agonies.



Extrait de L’Amour et le Monde

Je t’aime… Et l’univers a répondu : je t’ aime,
en m’offrant ses printemps pour te les dédier
Je ne suis rien qu’amour, il n’est qu’amour lui-même,
et ses fruits et ses fleurs, je les mets à tes pieds.


12. Conclusion

Jeanne Sandelion eut une chance incroyable, celle de lire, de rencontrer et de connaître un des plus grands écrivains du XXème siècle. Mais elle était naïve, fille unique, élevée dans la province profonde catholique, dans un milieu étroit avec des parents petits commerçants, qui ne s’entendaient pas. Sa solitude l’étouffait. Avec Montherlant, elle rencontrait le prince charmant, le jeune aristocrate flamboyant dont Paris fêtait les écrits. Elle qui aimait avec passion les livres, qui rédigeait des poèmes et s’essayait au roman, prit feu pour cet homme, jugea cette rencontre idéale pour elle, et fit très vite contre tout bon sens des projets d’union et même de mariage !
L’amour la saisit. Fragile et tremblante, elle succomba à une obsession amoureuse et se mit à écrire à son idole des centaines de lettres où elle étudiait ses écrits, se confiait à lui, lui disait son ardente amitié, se plaignait de ses silences ou du long délai de ses réponses, et remplit un immense Journal de 130 cahiers où elle analysait sa passion pour l’homme et pour son œuvre.
Il lui écrit : “Je suis emporté, submergé par cette crue soudaine et ce torrent sandelionesque : vous êtes comme ces rivières de montagne ou ces oueds sahariens, à sec pendant très longtemps et qui brusquemment se raniment et inondent tout.”
Montherlant jugea très vite que s’il lui accordait un peu d’amitié ou de compassion, il serait envahi, étouffé, et il garda ses distances. Mais la psychologie de la grande amoureuse qui vivait dans le rêve et qui ne pensait qu’à lui, l’intéressait comme romancier. Craignant sans doute être la cause d’un affreux désespoir, il éprouva de la pitié pour elle et ne mit pas fin à la relation.
Il lui écrit : Vos coups de tête, vos paniques, vos égarements, j’ai trop connu tout cela pour n’en être pas remué comme s’ils étaient miens. (1929).
Montherlant n’était pas un homme méchant. Au contraire, poète tragique, son immense sensibilité lui fait ressentir la folie amoureuse de Jeanne. Mais incapable de ressentir de l’amour pour elle, il accepta de l’aider, lui trouva des éditeurs, rédigea une préface, la conseilla, lui communiqua des adresses. Il lui écrit en 1929 : Renoncez au moins à cette idée absurde de me retirer votre amitié, à moi, qui tout de même, vous ai montré et par des actes, que j’y tenais, quand je tiens à si peu de choses et pour m’en punir, en ai si peu.
Il ne rompt pas mais essaie de refroidir le brasier. Ce sera toute l’histoire des réponses de Montherlant aux lettres de Sandelion. Il ne veut pas qu’elle désespère totalement, mais il ne veut pas non plus être victime de cet “Hamour” qui lui fait peur pour sa liberté et pour sa création !
L’écrivain ne pourra pas s’empêcher, pour se protéger, pour compenser l’envahissement de Jeanne, de se servir d’elle, de puiser en elle, dans sa correspondance, ses écrits, ses poèmes, des matériaux en vue de créer le personnage tragi-comique d’Andrée Hacquebaut, l’intellectuelle provinciale follement amoureuse de l’écrivain Costals qui ne la désire pas, qui ne rompt pas non plus avec elle, qui répond une fois sur dix aux lettres d’un amour possessif et classe les autres innombrables missives sans les ouvrir.
Jeu du chat avec la souris ? Oui peut-être, mais aussi pitié pour un esprit malade d’amour à qui l’écrivain fera encore de temps en temps le cadeau d’une réponse, d’une conversation, ou d’une rare rencontre à Paris, jusqu’au moment où l’amoureuse épuisée, à bout, après tant d’années de désirs jamais satisfaits, s’écroule. Jeanne martyre de l ‘amour ? Oui, mais consentante car Montherlant l’avait avertie dès le début de ne pas l’aimer. Elle a voulu vivre un rêve, qui devint le cauchemar du désir inassouvi. Elle reconnaîtra d’ailleurs, plus tard, avec franchise, que l’échec de leur relation était de son unique faute à elle : La première impression reçue de Montherlant, et je l’ai toujours gardée, même à travers les malentendus et les différends, qui nous séparèrent longtemps - où je dois avouer que j’eus les plus grands torts, - c’est qu’il est fraternel.

Jeanne Sandelion l’éternelle assoiffée d’amour accompagne maintenant dans la littérature et pour l’éternité, le destin de son Montherlant bien aimé. Dans une dernière lettre, il lui écrira : Jusqu’au bout vous gardez votre naïveté et ne saurez reconnaître le monde tel qu’il est. En quoi vous êtes pareille à 40… mettons 42 millions de Français ! (9 juillet 1963)


13. Bibliographie de Jeanne Sandelion

  1. Les documents les plus importants, qu’elle voulait léguer à Montherlant si elle mourait avant lui, sont ses CAHIERS (toujours inédits et achetés par la Bibliothèque Nationale en mai 2007.)
    Ces Cahiers ont été numérotés, le n°1 date de 1909 et le dernier de 1976, année de sa mort.
    Elle écrit en 1928 : “J’ai pensé laisser à la postérité un Journal intéressant, je vois bien qu’il n’en sera rien” (9 juillet 1928). Si je meurs, que mon Journal soit légué à Montherlant. Etre pour lui ce que Marie Bashkirtseff fut pour Barrès.
    Comme tout journal intime, celui-ci nous renseigne sur la profondeur et une certaine désespérance de l’être humain à rechercher le bonheur et à n’être pas satisfait. Souvent son désarroi est pathétique comme, au long de nombreux mois, où elle souffre de sa passion pour Montherlant.
    A ces Cahiers, s’ajoute le Journal d’une provinciale (1940 + Algérie années 1950), un tapuscrit inédit de 98 feuillets, largement autobiographique
  2. Les Cœurs en peine (1916-1918).
    Voiron en Dauphiné, Presses A. Crolard et Cie (1923), in-8 de 118 (2) pp.
    Un poème en introduction puis trois parties : Ceux qui luttent 8 poèmes - Celles qui attendent 12 poèmes - Le Cœur du poète 9 poèmes et un poème in-fine.
  3. Le Pollen des choses. Poèmes. Préface de Pierre Aguétant.
    Paris et Saint-Raphaël, Éditions des Tablettes 1924, in-8 carré de 129 (3) pp.
    Ouvrage divisé en quatre parties : La Face dorée 34 poèmes - La Face grise 12 poèmes - Hier 5 poèmes - Demain 6 poèmes.
  4. La Vie et moi.
    Voiron en Dauphiné, Des Presses A. Crolard et Cie 1927, in-8 de 110 (2) pp.
    Il a été tiré de cet ouvrage 20 exemplaires sur papier pur fil Lafuma numérotés de 1 à 20 dont 10 hors commerce.
    Ouvrage divisé en trois parties : Le Cantique du soleil 22 poèmes - Chants pour les hommes 7 poèmes - Le Poème des soirs 14 poèmes.
  5. L’Âge où l’on croit aux îles. Roman. Préface de Henry de Montherlant.
    P, La Renaissance du Livre 1930, in-12 de 256 pp.
    Il a été tiré 10 exemplaires sur papier pur fil.
    L’Âge où l’on croit aux îles. Roman.
    P, Presse de la Cité 1948, in-12 de 221 (3) pp. sous jaquette à rabats, illustrée en couleurs. Seconde édition.
  6. Un seul homme… Roman.
    P, Éditions du Tambourin 1931, in-12 de 335 (3) pp.
    Il a été tiré 50 exemplaires sur alfa mousse des papeteries Navarre, dont 25 marqués de A à Z et 25 numérotés de 1 à 25.
  7. Azur 1924-1934.
    (Courtrai - Belgique), Les Éditions Jos. Vermaut (1934). Pt. in-4 de 85 (3) pp.
    Il a été tiré de cet ouvrage 300 exemplaires, dont 10 sur Hollande, numérotés de 1 à 10.
    Un poème en introduction puis trois parties : Saisons15 poèmes - Voyages19 poèmes - Où l’azur manque 10 poèmes.
  8. L’Année sentimentale. Poèmes.
    Prix Corymbe 1936. Gravure originale de Noël SANTON.
    P, Collection “Le Sorbier” Éditions Corymbe 1936. Plaquette Pt. in-4 de 23 (1) pp.
    Il a été tiré de cet ouvrage 7 exemplaires sur vélin des manufactures d’Arches, numérotés de A à G et 155 exemplaires sur vélin bibliphile numérotés de 1 à 155. Achevé d’imprimer en date du 15 octobre 1936.
  9. D’un amour tué.
    Paramé en Bretagne, Éditions du Goéland 1939. Plaquette in-8 carré de 50 (6) pp.
    Tirage à 305 exemplaires dont 5 sur vélin pur fil Lafuma numérotés I à V et 300 sur vélin supérieur des papeteries Navarre numérotés 1 à 300. Achevé d’imprimer en date du 20 février 1939. Renferme 20 poèmes.
  10. D’un amour vivant.
    Paramé en Bretagne, Éditions du Goéland 1939. Plaquette in-8 carré de 49 (3) pp.
    Tirage à 315 exemplaires dont 5 sur Hollande, numérotés Hollande I à V ; 10 sur vélin pur fil Lafuma numérotés vélin pur fil I à X et 300 sur vélin supérieur des papeteries Navarre numérotés 1 à 300. Achevé d’imprimer en date du 15 avril 1939.
    Ouvrage divisé en quatre parties : L’Aube 2 poèmes - L’Absence et le souvenir 9 poèmes - L’Amour vivant 10 poèmes - Petits airs 6 poèmes.
  11. La Vie en rouge.
    P, Caractères (sans date). Plaquette in-8 carré de 43 (1) pp.
    Tirage à 300 exemplaires sur vélin supérieur. Renferme 27 poèmes.
  12. Pour un enfant perdu.
    Paramé en Bretagne, Éditions du Goéland 1947. Plaquette in-8 de 39 (5) pp.
    Tirage à 175 exemplaires : 150 sur vergé d’Auvergne à la main, numérotés de 1 à 150 et 25 S. P. sur bouffant ordinaire, non numérotés. Renferme 24 poèmes.
  13. Montherlant et les femmes. Avec 45 lettres inédites de Henry de Montherlant.
    P, Plon 1950, in-8 de 260 (4) pp. sous couverture illustrée, sur le plat supérieur de la reproduction d’un dessin du visage dessiné de profil de Montherlant, réalisé par Mariette Lydis en 1937. Il a été tiré 31 exemplaires sur papier pur fil des papeteries Lafuma, à Voiron, dont 20 numérotés de 1 à 20, et 11 hors-commerce, marqués H. C. I à H. C. XI. Achevé d’imprimer en date du 16 octobre 1950.
  14. Enfant de paix.
    P, Caractères (1953). Plaquette in-8 carré de 19 feuillets non foliotés.
    Tirage à 300 exemplaires sur alfa Djebel numérotés de 1 à 300.
    Un poème en introduction puis trois parties : Foi 6 poèmes - Espérance 4 poèmes - Amour 11 poèmes.
  15. Pour maman disparue. 1948 - 1958.
    P, Collection Janus - Pierre Jean Oswald 1958. Plaquette in-8 carré de 50 (2) pp.
    Tirage à 300 exemplaires sur alfa Djebel numérotés de 1 à 300. Achevé d’imprimer en date du 31 décembre 1958.
    Ouvrage divisé en cinq parties : Le Deuil et l’espérance 10 poèmes - Hier 3 poèmes - Printemps 12 poèmes - Sur un tombeau 4 poèmes - Dix ans après 3 poèmes.
  16. Stèle.
    Rodez, Éditions Subervie 1963. Plaquette in-8 carré de 71 (1) pp. Renferme 46 poèmes.
  17. Il reste la douleur.
    Sans lieu ni date (1963). Plaquette in-8 carré de (1) pp. Dans sa préface l’auteur précise “Dans la chronologie de mes recueils, celui-ci, écrit presque entièrement en 1938, doit être placé entre D’Un amour vivant, paru en 1939, composé de poèmes écrits en 1934, et Stèle, qui réunit des poèmes des années 1945-1957, plus une suite composée entre 1958 et 1960.”
    Ouvrage divisé en deux parties : L’Amour vivant 12 poèmes et Il Reste la douleur 26 poèmes.
  18. C’est toujours le printemps.
    Niort, Nicolas-Imbert (1971). Plaquette in-8 carré de 63 (1) pp. Renferme 35 poèmes.
  19. Merci du monde !
    Niort, Imbert -Nicolas (1975). Plaquette in-8 carré de 79 (1) pp. Renferme 26 poèmes.
  20. Romans écrits sous le pseudonyme de Brigitte SANDEL :
    • J’aime une déesse. Roman.
      Paris, Plon 1953. In-12 de 222 (2) pp. Jaquette à rabats, illustrée en couleurs.
    • Miss casse-cou eut peur. Roman.
      Paris, Les Éditions Mondiales - Collection “Nous Deux” 1964. In-12 de 220 (4) pp. Achevé d’imprimer en date du 20 juin 1964. Couverture illustrée en couleurs.
    • Le Cygne noir. Roman.
      Paris, Les Éditions Mondiales - Collection “Nous Deux” 1966. In-12 de 218 (6) pp. Achevé d’imprimer en date du 20 février 1966. Couverture illustrée en couleurs.

Sources

  1. Catalogue de la vente en mai 2007 de la Bibliothèque de Jeanne Sandelion, par la librairie ancienne Norbert Darreau- site internet : www. sisyphe. com
  2. Jeanne Sandelion, Montherlant et les femmes, avec 45 lettres inédites de Montherlant, Plon 1950, 260 pages
  3. Extraits de correspondances inédites de Montherlant et de Jeanne Sandelion, (collection particulière, site worldofdream. over-blog. com)
  4. Jeanne Sandelion, recueil de poèmes : D’un amour vivant, Editions du Gœland, 1939, 49 pages
  5. Jeanne Sandelion, Un seul homme…, roman, Editions du Tambourin, 1931, 335 pages