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Articles sur Montherlant (hors presse)

23. Un dandy, poète et trotskyste, Pierre de Massot (1900-1969), ami de Montherlant, par Henri de Meeûs



“J’ai tant aimé sans le savoir
j’ai trop aimé en le sachant
j’ai tant pleuré en le cachant
qu’à la dure horloge du temps
il est l’heure enfin de sonner”

(Poème de Pierre de Massot, 1963)

Pierre de Massot en 1926,
avec son Bull-dog Billy,
par Bérénice Abbott.



Quand on lit le Journal inédit d’Elisabeth Zehrfuss (1907-2008), on voit que durant les journées confuses de la Libération à Paris, en 1945, Montherlant avait demandé à Madame Zehrfuss de prévenir certaines personnes au cas où il lui arriverait malheur. Parmi celles-ci, Pierre de Massot.
Quand on lit la page 12 du premier tome de la biographie de Montherlant par Sipriot, celui-ci écrit que Pierre de Massot fut un confident “total” de Montherlant.

Montherlant cite à plusieurs reprises Pierre de Massot dans son œuvre et notamment dans des notes en bas de page.
Cependant il désigne Pierre de Massot en plein texte dans son avant-propos à sa pièce Malatesta. Il confie qu’il s’est entretenu de sa pièce avec Pierre de Massot au cours de l’année 1944 avant qu’elle ne soit portée à la scène (Lire : Malatesta, Théâtre de Montherlant, Pléiade, page 337, édition Gallimard 1972), et aussi dans Le Solstice de Juin, page 929, (Essais de Montherlant, Pléiade, édition Gallimard 1963) où Montherlant raconte (texte superbe de 1941) avoir vu avec Pierre de Massot le défilé de 600.000 Français le 24 mai 1936 dans le cimetière du Père-Lachaise. Il termine par cette phrase : “Mon compagnon (Pierre de Massot) et moi, nous nous retirâmes quand la nuit était close. Le défilé continuait toujours, aux lueurs des journaux allumés en guise de torches…”

Qui est Pierre de Massot ?

Il est désigné comme le sixième enfant et le quatrième fils du comte et de la comtesse A. de Massot de Lafond. Il naît à Lyon le 10 avril 1900. Ses trois frères sont tués par les Allemands durant la guerre 14-18. Il a deux sœurs dont l’une, Geneviève, est sa jumelle. Il y a 50 ans d’écart entre le père et le fils.
Le père n’a pas de fortune ; il est un simple économe à l’Hôtel-Dieu de Lyon. Pierre de Massot passera son enfance dans une maison familiale à Pontcharra-sur-Turdinne, dans le Rhône.
Pierre de Massot fera ses études dans le collège St Joseph des Jésuites, à Lyon. Il est doué pour la littérature et la philosophie, et passe très facilement ses deux baccalauréats. Il est passionné de littérature et d’art moderne. Il lit des textes dadaïstes et surréalistes dans la revue Cœmedia. Il est fasciné par Francis Picabia et il lui écrit en 1920 : “Si naïve que paraisse ma déclaration, je suis des vôtres, étant un pèlerin de l’Absolu à Rebours”. Picabia est conquis et va entraîner le jeune homme, pour son malheur, dans le Paris de la littérature d’avant-garde.
Massot n’a pas envie de faire une carrière.
Il est membre du Parti communiste dès 1920. Il le quittera en 1956 lors de l’invasion de la Hongrie par les Soviétiques.
L’art et la littérature sont ses raisons de vivre. La rencontre de Cocteau en 1921 et des personnes qui tournaient autour de Cocteau sera, sans doute, à l’origine de son addiction aux drogues. Il goûtera à toutes les drogues : éther, opium, cocaïne, morphine, héroïne, haschich, et alcool. Ce qui sera destructeur pour sa santé.

Picabia va s’énerver quand il voit son jeune ami fréquenter Cocteau : Pierre de Massot est un joli papillon qui voltige avec aisance d’une fleur à une merde.

 
 

Pierre de Massot en 1927 à Paris.

Massot devient l’ami des dadaïstes et des surréalistes : André Breton, Tristan Tzara, Aragon, Vitrac, Baron, Rigaut, Crevel, Man Ray, Dunoyer de Segonzac, Jacques Villon, Georges Ribemont-Dessaignes, Georges Auric. Son enthousiasme, son esprit frondeur, ses écrits rebelles le feront en effet remarquer par André Breton qui le poussera dans le milieu surréaliste. Ils resteront tous deux liés jusqu’à la mort de Breton (1966), malgré une altercation au cours de la fameuse Soirée du Cœur à Barbe, qui marquera la rupture entre les dadaïstes et les surréalistes (6 juillet 1923), organisée au Théâtre Michel par Tristan Tzara, où Massot sera pris à partie par André Breton qui lui casse un bras d’un coup de canne. Mais les deux hommes resteront amis malgré cela. Cependant, Massot refusera toujours d’adhérer à toutes les idées des surréalistes, car il place au dessus de tout la liberté et l’indépendance d’esprit.
Pierre de Massot ne peut donc être classé parmi les poètes surréalistes.

Comme il ne travaille pas, Massot est obligé de rejoindre ses parents à Pontcharra pour subsister.
Picabia lui propose alors de devenir le précepteur de ses deux filles aînées, ce qu’il accepte durant quelques mois où il séjournera dans le château de Gaultret habité par Gabrielle Buffet-Picabia, à Tremblay-sur-Mauldre. Il revient ensuite à Paris et trouve un emploi chez un libraire.
Il sera un ami très proche d’Erik Satie, de Max Jacob, de Jean Cocteau, de Marcel Duchamp. Au fil des années s’ajouteront d’autres amis dont Edouard de Max l’acteur roumain, André Gide, André Suarès et Henry de Montherlant.
Il est très étonnant de constater que Massot se fera peindre par Picasso, Max Ernst, Picabia et Georges Malkine.
Donc Massot semble évoluer comme un poisson dans l’eau dans ce milieu d’avant-garde artistique, littéraire et musicale.
Cependant il est très malheureux. Sa pauvreté, son incapacité à trouver un travail durable ou à entamer des études qui lui permettraient ensuite de gagner mieux sa vie, sont des handicaps permanents que l’abus des drogues aggrave.

En outre, Massot ne trouve pas son identité sexuelle, est obligé de se cacher de ses amis surréalistes pour vivre certaines expériences pédérastiques relatées notamment dans son livre Mon corps, ce doux démon (1959). C’est alors qu’il va rencontrer André Gide.

André Gide et Pierre de Massot

 

André Gide.

 

Pierre de Massot a rencontré Gide pour la première fois en 1922, aux Ballets russes. Il lui demande de le conseiller pour un roman qu’il est en train d’écrire. Gide est ravi d’écarter ce jeune homme de 23 ans du groupe de Cocteau.

La correspondance (1923-1950) qui fut publiée par l’Association des Amis d’André Gide en 2001 commence donc en 1923. On lit les lettres de Massot comme celles d’un admirateur éperdu d’amour et de-tendresse, un peu le genre d’Andrée Hacquebaut des Jeunes Filles, appelant Gide “cher Maître”.
Massot voit en Gide une nouvelle figure paternelle qui se substituera à celle de Picabia. On constate que, mis en confiance par Gide, Massot va se laisser aller à certaines confidences intimes qui rejoignent les goûts pédérastiques de Gide.
Ainsi Massot acclamera la parution de Corydon. Son admiration et son amour pour Gide ne feront qu’augmenter, et Gide ne se lasse pas de son correspondant, il lui montre sympathie, aide, assistance et compassion. Mais il n’y aura rien de physique entre eux.
“S’il est un être que Corydon a pu ne pas décevoir, c’est moi, répondit Massot (lettre 12) à Gide.
Donc Massot déclare à Gide son affection passionnée, une tendresse profonde, une foi sans limites (lettre 30). (…) Je ne sais plus jusqu’à quels abîmes vous pouvez me conduire” (lettre 18).
Cette correspondance demeure contrôlée. Ce sera toujours “Cher André Gide” et “Cher Pierre de Massot”. Très rarement “Cher ami”. Quand le temps passe, Gide se rappelle à Massot, et le relance. Sans doute craint-il que son admirateur ne plonge dans le désespoir (drogue, etc.)
Massot écrira à Gide : “Il n’y a que vous à qui j’ai quelque peu avoué…” (lettre 43 de 1929).

L’amie écossaise de Pierre de Massot

Massot a une amie écossaise avec qui il se brouille pour finir par l’épouser. Il écrit à demi-mot à Gide : “elle connait ses goûts à lui, et lui connait ses goûts à elle”… Il s’agit de sa chère Robbie, à savoir Miss Lila Robertson qui a joué un grand rôle dans ma vie, qui est l’unique femme que je puisse supporter et que je vous ferai connaître, car elle ne peut que vous séduire (lettre 27, du 30 mars 1928). Cette dame lui fut présentée par Man Ray.
“Robbie, mon seul amour après la France et mon drapeau”, écrira Massot dans “Foutaises”, juillet 1924.

Le 19 juin 1928, Massot écrit à Gide (lettre 30) : Je vous écris pour vous annoncer une chose secrète encore : mon mariage. Et contrairement à ce qu’on pense de prime abord, ma liberté s’en accroît. Je vous ai parlé d’une jeune anglaise, Miss Robertson (…) Nous nous connaissons depuis 6 ans et notre amour consiste en une amitié en tous points merveilleuse (…) Je vous confie, à vous seul, ceci : elle sait ce que j’aime ; elle-même aime ce que vous savez. Son intelligence qui est singulièrement aiguë ne me laisse rien redouter pour l’avenir. Je trouve simplement un aliment à ma solitude. Hélas, en ce qui concerne les drogues, c’est encore un point commun. Pourtant j’ai grand espoir d’en sortir un jour.”

 
 

Pierre de Massot et Robbie, Deauville, août 1925.

Il épousera sa femme (dont il aura un fils François)(1), le 25 juillet 1928 à l’église de la Madeleine. Jacques Maritain sera le témoin de Massot.
Dans une lettre datée du 22 février 1929 à Gide (lettre 38), Massot écrit : “D’autres se divertiront à souligner que je suis uni à une jeune femme exquise que j’aime sans savoir quel lien délicat et mystérieux peut enlacer deux cœurs ! Et s’ils pouvaient supposer que c’est à cette âme justement, de laquelle ils espèrent ma défaite, que je puise tout mon courage”.
Sa femme à qui il sera tendrement attaché mourra d’une terrible maladie en 1951. Cette mort plongera Massot dans la dépression.
Il va écrire après cette mort des poèmes “déchirants” pour elle, dont Visitation.




Invisible Tu Te déprends de mes intouchables caresses
et je dis Robbie et je pleure Robbie et Robbie je supplie
et je hurle Robbie dans la ténèbre qui m’oppresse
et les murs de la citadelle de la Nuit
répètent Robbie Robbie Robbie en sourdine
avec une infinie tristesse et sans comprendre
alors tout autour les maisons comme des flèches de feu
s’en vont frapper du front les étoiles
Robbie Robbie Robbie
et je suis Sébastien transpercé par ces flèches
et mon cœur déchiré n’est plus qu’un incendie
où la flamme mouvante attise un sang glacé… […]


(Extrait de Le Déserteur, Œuvre poétique, 1923-1969, de Pierre de Massot)

Pierre de Massot et Edouard de Max (1869-1924)

Massot porte une grande affection à l’acteur de Max, de 31 ans plus âgé que lui.
Il est né à Jasey en Roumanie et deviendra célèbre sur les scènes parisiennes.
De Max s’impose en tragédien. Il jouera les grands rôles de la tragédie de Racine, de Shakespeare. Ce sont des créations exceptionnelles. En 1915, de Max entre à la Comédie Française, dont il devient sociétaire en 1918. Ses rôles de Néron dans Britannicus, de Basile dans Le Barbier de Séville, de Tirésias dans œdipe roi, et de Don Salluste dans Ruy Blas sont des triomphes.
Dès 1908, il joue pour le cinéma ; il va tourner avec Sarah Bernhardt. Ses metteurs en scène seront, notamment, Charles Le Bargy (1909), André Calmettes (1912), Abel Gance (1912

Comment Massot et de Max se connurent-ils ? Mystère.
Voici ce qu’on peut lire dans les écrits de Pierre de Massot :

“C’est à mon ami bien-aimé Edouard de Max, l’illustre tragédien roumain, que je pense spécialement. L’ayant vu mourir en octobre 1924, et lors du dernier soupir, tourner son visage du côté du mur pour cacher son agonie de ceux qui l’entouraient, je n’oublierai jamais l’expression de son regard et l’impression que j’en rapportai.” (Pierre de Massot, Prolégomènes à une éthique sans métaphysique, page 65)

 

Pierre de Massot.

et cet autre texte extrait d’un poème :

“Mes amis sont partis tous mes amis sont morts
Edouard Edouard toi que j’ai tant aimé
Toi sur le cœur de qui j’ai dormi tant de soirs
Toi à cause de qui je meurs de vivre et de t’attendre”
(Pierre de Massot, Le Déserteur)

Son mariage avec Robbie va aggraver la situation financière de Massot.

En janvier 1933, Gide reçoit une lettre d’appel au secours du père de Pierre, le Comte A. de Massot :

(…) aucun de vos ouvrages ne m’est étranger et si la pensée m’a souvent choqué, du moins la forme m’a toujours séduit, et je m’explique très bien l’admiration de mon fils pour votre œuvre. Je sais aussi l’affection qu’il a pour vous et celle que, de votre côté, vous lui portez. Ce que vous ignorez, et qu’il vous a caché, soit par délicatesse, soit par une pudeur toute naturelle, c’est la misère dans laquelle il vit, surtout depuis son mariage qui a contribué à accroître pour lui les difficultés et les nécessités de la vie. Sa carrière littéraire, comme je l’avais prévu et comme je lui ai souvent répété, n’a été pour lui qu’une suite d’amères déceptions. N’ayant, par ailleurs, aucune fortune personnelle et pas de situation qui lui permit de …, il n’a pas tenu le coup. (…)Nous avons fait pour lui et pour son ménage tout ce qu’il nous était possible mais, nous vivons sur ma pension de retraite, et nous devons nous limiter. Je m’approche de mes 80 ans et tous ceux de mes amis auxquels j’aurais pu m’adresser ont déjà quitté ce monde. C’est donc de votre côté que, sur les conseils et à la demande de Pierre, je me suis tourné pour vous prier d’user de vos relations et du crédit que vous donne votre notoriété littéraire, pour essayer de lui trouver une situation. Vous connaissez mon fils aussi bien et peut-être mieux que moi, par conséquent, vous verrez ce qui peut lui convenir (…)

Gide envoie à Pierre de Massot aussitôt un chèque de 1.000 frs. On constate dans cette correspondance que Gide aide fréquemment et financièrement ses correspondants souvent fauchés. Gide avare ? Non, je ne le pense plus.

- Lettre 98 de Pierre de Massot à Gide, 31/7/1935 = Depuis le 15 mai, je travaille, comme ouvrier, dans une usine, de 9h30 du soir à 8h du matin, exactement. Vous jugez de ma fatigue et de mon abrutissement. Il le fallait, cependant, pour vivre… Cette usine est une fabrique de fromage.

C’est en 1938 que Massot est employé à la Metro-Goldwyn-Mayer (voir notes lettre n°116 de Gide à Massot)
Gide comme Montherlant, et moins que lui encore, ne parlent quasi pas de Massot dans leur œuvre. Pourquoi ? Sont-ils gênés par l’homme ?
Gide dans son Journal ne parle jamais de Massot ! Or Massot lisant en 1939 le Journal de Gide s’en aperçoit avec horreur. Il n’est jamais cité. “Si l’absence de mon nom m’a peiné, et nul ne le saura que vous et moi, c’est parce que j’ai jugé ainsi très exactement la place que j’ai tenue dans votre esprit et votre cœur. Rien d’autre, je vous le jure (…)
Depuis 1923, cette fin d’après-midi où je vous rencontrais pour la première fois dans ce petit café-tabac de la place de l’Opéra, je vous ai aimé, non pas seulement d’affection, mais bien d’amour. Ah ! que de fois j’ai souffert de n’avoir pas vingt ans de moins et de n’être pas beau…C’est tout, déchirez cela et oubliez-le, mais je voulais vous l’avoir dit…Depuis tant d’années, je gardais ce secret dans mon cœur…Ne m’en tenez pas rigueur en vous, n’est-ce pas ?”
(lettre 122, 16/8/39 de Massot à Gide.)

Gide et Pierre de Massot s’écriront encore, mais brièvement, une vingtaine de lettres, pas plus, espacées jusqu’en 1950.
Comme écrit Montherlant : “Personne n’aime personne !”.

Lettre 131 de Pierre de Massot à Gide (15 mai 1945) : “Songez que je ne vous ai pas revu depuis 1938, et qu’un moment, j’ai pensé que jamais je n’aurais la joie de vous revoir. J’espère que vous n’avez pas oublié combien tendrement je vous aime, et combien douce m’était votre fidèle affection. (…) toute la semaine de 8 heures du matin à 6 heures du soir, je travaille dans une compagnie d’assurances d’où il m’est impossible de m’évader.”

Henry de Montherlant et Pierre de Massot

Massot a connu Montherlant AVANT Gide ! En effet, c’est Massot qui fait découvrir à Gide les livres de Montherlant en 1927 “Merci pour m’avoir permis de connaître ce Montherlant qui me plaît entre tous, et que j’ai lu avec un sensible plaisir. Qu’il a du mal à être parfaitement naturel ! Et quel besoin le poursuit de soigner sa ligne. N’importe, cette ligne est belle, et lui-même est charmant.” (Gide à Massot, lettre 24, 1927)

Dans une lettre à Gide datée du 22 février 1929, Massot écrit ceci : “Notre cher Montherlant, qui a si joyeusement démasqué le député du Moi (Barrès s’éloigne, article de Montherlant), comme je voudrais, après son gentil témoignage dans la revue du Capitole, qu’il garde un peu dans ses écrits de cette fougue qu’il prodigue dans Alger, comme je voudrais que, cessant de se garder à droite, de se garder à gauche, comme Jean le Bon, il dise tout simplement : “Eh bien oui, c’est comme ça !”
Qu’écrivait donc Montherlant dans cette revue du Capitole en 1928 (pages 209 à 215) ?
Un article intitulé Acheminement vers Gide, dont voici quelques extraits :

“J’ai été lent à venir à Gide. Tempérament, éducation, forme d’art m’opposaient à lui. J’ai dit à Frédéric Lefèvre :
“Je ne sais pas ce que c’est l’inquiétude”. Jamais je ne me suis exprimé plus mal. Ma pensée était : “Je n’aime pas l’inquiétude pour l’inquiétude”. Et c’est un peu contre Gide que je disais, contre un Gide entrevu surtout à travers ses commentateurs (…) Corydon, livre où il y a encore de la feinte, et si inutile ! De la petite précaution, et pour ne tromper personne ! On s’étonne aussi, connaissant la culture de Gide, que sa thèse, – pardon, la thèse du nommé Corydon – ne soit pas davantage étayée. Gide, sur un sujet de cette importance, se devait de donner un monument. Corydon est-il un monument ?
“Si le grain ne meurt a réparé cela. Ce livre est important dans notre littérature, par ce qu’il apporte de nouveau, important dans l’œuvre de Gide, qui enfin s’y montre direct. Maintenant on est tout à fait à l’aise pour lui serrer la main. Et Gide doit mesurer combien on espérait ce livre, et combien peu nécessaires étaient ses louvoiements, à ce fait imprévu, et qui mériterait une longue réflexion : plus qu’aucune de ses œuvres, celle-ci a valu à son auteur un accroissement immédiat d’autorité (…)
“Fit-on des réserves sur son caractère, sur son art ou sur sa morale, quand on voit ceux qui l’attaquèrent on ne peut pas ne pas être avec lui. Le dire. L’écrire. Et le proclamer hautement et violemment, un jour, s’il le fallait, ce qu’on est presque enclin à souhaiter.”

Lettre 42, Massot à Gide, 22/8/1929 : “J’ignore où vous pouvez être, et je n’ai pas pensé à le demander à Montherlant que j’ai vu ces jours-ci”.

 

Pierre de Massot,
ami de Montherlant.

 

En 1936, Massot écrira dans Vendredi, (1er mai 1936), Remarque sur Henry de Montherlant, page 5,
“Montherlant est le plus grand de sa génération, et peut-être l’un des plus grands écrivains de notre temps.”
Massot demeurera très lié avec Montherlant qui se suicidera deux ans après la mort de Pierre de Massot.
Massot a toujours considéré Montherlant comme l’exemple de l’écrivain qui avait réussi à sauvegarder une totale liberté.

Massot, lors de la parution des Jeunes Filles, se portera à la défense de Montherlant dans un virulent article intitulé
Mr François Mauriac ou le Serpent à plumes publié dans Vendredi du 14 août 1936. Il taxera Mauriac de jalousie et de tartufferie : “Lorsqu’en chrétien M. François Mauriac se place devant sa conscience, ne lui arrive-t-il pas quelquefois d’être gêné, voire épouvanté ?”
Mauriac jugera cet article “effroyable, trop effroyable pour avoir la moindre portée”, écrit-il à sa femme. Le 15 août. Mauriac adressera une lettre de remontrance à Massot.

Lettre à Massot, non datée, de Montherlant ému sans doute par la situation très précaire de Pierre de Massot :
“L’impécuniosité et la maladie s’abattant sur le même être savent avoir raison des plus durs courages ; je ne doute pas qu’elles auraient eu raison du mien”.

De 1956, année où il quitte le Parti communiste, à sa mort en 1969, Massot va consacrer toutes ses forces à des groupes d’extrême-gauche, d’inspiration trotskyste. Au milieu de la Guerre d’Algérie, il signera le Manifeste des 121. Il vibrera en mai 68, persuadé que l’heure de la vieille utopie anarchiste est venue.

De 1947 à 1958, il va donner des articles aux Nouvelles Littéraires (où les articles de Montherlant paraissaient toujours en première page).

En 1961, il passe de longs mois au sanatorium d’Assy.

En 1966, après la mort d’André Breton, il tombe dans une profonde dépression qui nécessite une hospitalisation de plusieurs mois.

Pierre de Massot finira sa vie avec sa compagne Micheline Kunosi qui lui permettra de vivre tant bien que mal quelques années encore.


Il meurt le 3 janvier 1969.

Pierre de Massot, dessiné par Picasso.

Note

(1) François de Massot est le fils de Pierre de Massot et de Robbie (Lila Robertson). Il sera traducteur, écrivain, travaillera aussi dans l’industrie cinématographique. Il est un convaincu de l’extrême-gauche, et fréquente de très près les milieux trotskystes depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Il fut travailleur bénévole dans la Yougoslavie de Tito. Très proche des dirigeants du Parti Communiste International, Marcel Bleibtreu et Pierre Lambert, il prononcera l’éloge funèbre de Pierre Lambert lors de ses funérailles en 2008. Il a écrit un livre sur La Grève générale de mai-juin 68 en France, édité par L’Harmattan.

Ouvrages de Pierre de Massot

  • De Mallarmé à 391, 1922
  • Essai de critique théâtrale, 1922
  • Réflections on Rrose Selavy. The Wonderful Book, 1924 : (fantaisie consacrée à Marcel Duchamp)
  • Parisys ou Sans dessous de soie, 1925 (textes sur le music-hall)
  • Saint-Just ou le Divin Bourreau, 1925
  • Portrait d’un bull-fog, 1927
  • Etienne Marcel, Prévôt des Marchands, 1927
  • Soliloque de Nausicaa, 1928
  • Prolégomènes à une éthique sans métaphysique ou Billy, bull-dog et philosophe, 1930
  • 5 poèmes, 1946
  • Mot clé des mensonges, 1954
  • Galets abandonnés sur la page, 1958
  • Tiré à 4 épingles, 1959
  • Mon corps, ce doux démon, écrit en 1932 et publié en 1959
  • Oui, 1960
  • Le Mystère des Maux, 1961
  • Marcel Duchamp, 1965
  • Francis Picabia, 1966
  • D-S, 1967
  • André Breton ou le Septembriseur, 1967

La plupart des ouvrages de Pierre de Massot sont publiés sous la forme de minces plaquettes, tirées à très peu d’exemplaires, chez des éditeurs confidentiels.
En 1992, l’éditeur Arfuyen publie Le Déserteur qui est un choix de poèmes, sélectionnés par Gérard Pfister, grand spécialiste de Pierre de Massot et qui est l’auteur en 1975 d’une thèse de doctorat intitulée Etude sur Pierre de Massot(1900-1969).

Articles de Pierre de Massot sur Montherlant

  • Pierre de Massot, A propos du “Démon du bien” d'Henry de Montherlant, un romancier se confesse, in Petit Journal, 17 juillet 1937
  • Pierre de Massot, Le Stade et le mariage, Vu et lu, 4 août 1937
  • Pierre de Massot, Montherlant 1938. Nouvelles Littéraires, 14 mai 1938
  • Pierre de Massot, Montherlant et le corps humain. Comœdia, 26 juillet 1941
  • Pierre de Massot, Les Enfances de Montherlant, par J-N Faure-Biguet. La Nouvelle Revue Française, XXXème année, n°336, 1er février 1942
  • Pierre de Massot, Le Voyageur solitaire est un diable, La Nouvelle Revue Française, 1er octobre 1942

Sources

  • Pierre de Massot, Le Déserteur, œuvre poétique 1923-1969 avec les notes de Gérard Pfister, aux Editions Arfuyen, Paris 1992
  • Correspondance (1923-1950) André Gide - Pierre de Massot, publiée par le Centre d’Etudes gidiennes, avec des notes de Jacques Cotnam, mars 2001, 259 pages
  • Pierre de Massot, André Breton Le Septembriseur, chez Eric Losfeld, 1967
  • Pierre de Massot, Mon corps, ce doux démon (écrit en 1932), 1959
  • Revue Etant donné, Marcel Duchamp, n°2 (consacré à Pierre de Massot), 1999