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Articles sur Montherlant (hors presse)

21. Qui était le père d'Henry de Montherlant ?, par Henri de Meeûs


Tout le monde avait l'honneur d'être étrange à la maison (sauf mon père),
et je l'étais moi aussi.”

(Montherlant, Préface des Convulsionnaires), NRF, n°231, mars 1972)

“Le meilleur des gendres est le tombeau”
(Montherlant, Malatesta, Acte1)


 
 

Joseph de Montherlant à
l'âge de 8 ans.

1 – Joseph-Marie-Charles Millon de Montherlant (1865-1914), père de l'écrivain, est le fils unique de Frédéric de Montherlant (1835-1898), chef de bureau au Ministère des Finances et de Marie Bessirard de La Touche (1843-1870).
Il nait à Paris le 6 novembre 1865 et meurt le 17 mars 1914 à l'âge de 48 ans. Il avait cinq ans à la mort de sa mère.
Le métier de Joseph ? Il est attaché au Ministère des Finances à Paris. Bon chrétien, il est membre de la Conférence de Saint-Vincent- de-Paul.
Joseph aura une sœur Clothilde (1870-1944), femme de lettres sous le pseudonyme de C. de St-Val, mariée en 1892 à Louis Beguin Billecocq (1865-1957), secrétaire d'ambassade, entomologiste, membre correspondant de l'Institut de France, sans postérité.
Louis Beguin Billecocq est donc l'oncle d'Henry ; il en sera le cotuteur (avec la mère d'Henry), au décès de Joseph de Montherlant en 1914.
Mais Joseph aura aussi des demi-sœurs !

 

Frédéric, père de Joseph,
et sa troisième épouse,
née Marie Billecocq, en 1896.

 

2 – En effet, Frédéric de Montherlant (père de Joseph) après le décès de sa première épouse Marie de La Touche, épousera en seconde noces (1872) Clothilde Billecocq (1849-1876), puis en troisième noces (1885) Marie Billecocq (1840-1929). Elles étaient les filles de Théodore Billecocq (1810-1872), directeur des Grâces au ministère de la Justice, et de Camille Vialla.
De son second mariage, Frédéric eut trois filles :

Marie (1872-1941) mariée en 1898 à Albert de Fréville, (1868-1942) chef de département à la Cie de Saint-Gobain, dont postérité,
Geneviève (1873-1919) mariée en 1901 à Henry Auzouy, (1869-1939) banquier, dont postérité,
Thérèse (1875-1922) mariée en 1898 à Emile Poutonnet, dont postérité.

Frédéric de Montherlant, grand-père d'Henry, avait un réel talent pour la peinture et réalisait des aquarelles fort belles. On sait qu'Henry était lui-même très doué pour le dessin.
Frédéric de Montherlant acquit en 1891 une grande propriété à Fontenay-aux-Roses, au n°7 rue des Ecoles, qui était à l'époque en pleine campagne. Il y mourut le 13 avril 1898, et fut inhumé dans la tombe familiale du cimetière de Picpus.

3 – Henry de Montherlant dans son œuvre passera sous silence ses oncles, tantes et cousins du côté paternel. En effet Frédéric de Montherlant ayant eu trois épouses, Joseph de Montherlant seul fils de Frédéric, et du premier lit, devait peut-être garder quelque distance avec ses demi-sœurs issues du second mariage En outre, son alliance avec Marguerite de Riancey très fière de ses origines l'a peut-être éloigné de sa famille paternelle.
Par contre, Henry de Montherlant citera, plus volontiers certains cousins apparentés aux comtes et vicomtes de Riancey la famille de sa mère de plus noble extraction que sa famille paternelle (voir sur ce site la Biographie, au chapitre Enfance et Famille).

Les Camusat de Riancey furent anoblis en 1703.

On remarque cependant que les prénoms des demi-sœurs de Joseph seront repris dans l'œuvre d'Henry de Montherlant, ainsi celui de Marie dans la pièce Fils de Personne, avec Marie Sandoval ; le prénom de Geneviève pour le personnage de Geneviève de Presles, dans la pièce L 'Exil ; et le prénom de Thérèse pour Thérèse Pantevin, qui signe aussi Marie Paradis, dans Les Jeunes Filles.

Montherlant restera en contact épistolaire très épisodique (Monsieur et cher cousin) avec la famille de son oncle Louis Beguin Billecocq par l'intermédiaire du neveu de ce dernier, Claude Beguin Billecocq, né en 1914, conseiller d'ambassade.
Et c'est enfin Xavier Beguin Billecocq, né en 1953, le fils de Claude, qui écrira un livre passionnant et introuvable Des Montherlant à Montherlant paru en 1992 à Paris, dont sont extraites les informations citées ici.

4 – Les Beguin Billecocq sont une famille de hauts fonctionnaires, de diplomates, de juristes. On y trouve un Président des Avocats aux Conseils du Roi et plusieurs directeurs au Ministère de la Justice. Certains membres de cette famille sont Officiers de la Légion d'Honneur.
Famille de la très haute bourgeoisie, souvent alliée à l'aristocratie. Ils ont des armoiries. Cette famille a noué plusieurs alliances avec les Montherlant.

5 – Joseph de Montherlant vu par Faure-Biguet, ami d'enfance de Montherlant et biographe de l'enfance de Montherlant :

“Un petit homme au teint bistre, aux cheveux, aux moustaches et aux grands yeux noirs, aimant par dessus tout les objets d'art et les chevaux, faisant encore à cinquante ans de la haute école au manège. Il n'avait pas seulement l'aspect physique d'un Espagnol, il semble en avoir eu le caractère, taciturne et assez sombre. Il regretta, sa vie durant, de n'avoir pas été officier de cavalerie”.

Commentaire : Les Montherlant aimaient dire qu'ils étaient nobles d'origine catalane. Ce qui était faux, vu que cette famille est originaire du Beauvaisis. Faure-Biguet, qui avait connu le père de son ami Henry, lui a sans doute trouvé des traits “catalans”, ce qu' Henry à l'époque ne démentit pas .

 
 

Joseph de Montherlant (1865-1914)

6 – Joseph de Montherlant a t-il une ressemblance avec le père d'Alban de Bricoule dans Les Bestiaires ?

Montherlant donne le titre de comte et de comtesse aux parents d'Alban de Bricoule, héros des Bestiaires, son roman assez teinté d'autobiographie, publié en 1926.
Voici deux extraits :

Pléiade, Romans I, page 385 : Mme de Bricoule étant malade, et le comte terrorisé à l'idée d'une quinzaine en tête à tête avec son fils, elle demanda à la comtesse de Coantré, sa mère, d'accompagner l'enfant Alban.  ”

Pléiade, Romans I, page 388 : “Au printemps nouveau, Alban avait quinze ans. Il en paraissait davantage, et une ombre ornait sa lèvre. (…) Le comte de Bricoule s'opposait à ce qu'il se rasât, ce qui, disait-il, lui eût donné l'air cabot (nous sommes en 1911) (…) Ce dissentiment sur le chapitre moustaches donnait lieu à des répliques acerbes entre les époux. “Vous voulez que votre fils ait l'air d'un esthète. Alban devenait votre fils, le fils de Mme de Bricoule seule. Elle triompha presque quand Alban, s'étant rasé pendant la séparation des vacances, et sa moustache n'étant pas repoussée au retour, dut se faire des moustaches au crayon que M. de Bricoule ne sut pas découvrir, alors qu'elle les avait remarquées du premier coup. Aveugle quant au visage de son fils, le comte ne devait-il pas l'être quant à son âme ? Cela ne la mécontentait pas trop.
Le comte de Bricoule – tube, veston, lavallière - aimait le monde, les beaux offices, l'écurie, la grandeur d'âme, les gravures anglaises. Sa destination avait toujours été d'être magnifique ; mais ses rentes se faisaient un peu tirer l'oreille, et il était malhabile à les arrondir, n'ayant de connaissances spéciales que dans la généalogie. Depuis l'âge de dix-sept ans il conservait toutes les cartes d'invitations reçues aux dîners et aux bals, et tous les billets de part, classés par degrés de parenté. Il était membre de la Conférence de Saint-Vincent-de-Paul et visitait le château de Versailles chaque année.
En avril 1912, il fit une chute de cheval, et peu après se plaignit du cerveau ; toutefois il se félicitait de ne souffrir que par un accident noble. En juin il était condamné. Il mourut pendant l'été”.

Commentaire :
Il faut laisser Montherlant maître de sa création dans son roman, et ne pas chercher à identifier nécessairement le comte de Bricoule à Joseph de Montherlant. Cependant, on peut noter quelques ressemblances. Notamment celle-ci, ils sont tous deux cavaliers. Dans le roman, le comte de Bricoule fait une chute de cheval, et en meurt en 1912. Joseph de Montherlant, (selon son beau-frère Beguin-Billecocq), alors qu'il vantait toujours son excellente santé, prit le lit un jour de 1914 et aussitôt les médecins le déclarèrent perdu. Il expira quelques semaines après, emporté par un mal implacable sur la nature duquel le beau-frère ne donne pas d'indications. Joseph de Montherlant fut enterré dans le cimetière du village de Montherlant. Une chute de cheval fut-elle la cause de cette mort ? Pourquoi pas ?

 

Marguerite de Riancey (1872-1915),
épouse de Joseph de Montherlant.

 

7 – Les parents d'Henry de Montherlant n'avaient pas le droit de porter un titre de noblesse. Or, ils commencèrent à se gratifier du titre de comte peu avant la mort de Joseph.
En effet, en 1895, à la naissance de leur fils, la simplicité est encore de rigueur. Le petit faire-part de naissance d'Henry (l'écrivain) le 20 avril indique simplement : Monsieur et Madame J. de Montherlant ont l'honneur de vous faire part de la naissance de leur fils Henry- Paris le 20 Avril 1895, 11 bis Avenue de Villars . On remarque cependant que le carton de naissance d'Henry, porte déjà sur le coin supérieur gauche une couronne comtale à neuf perles, et en dessous de la couronne s'inscrit la devise des Montherlant : Tantum pro liliis c'est à dire Seulement pour les Lys.
Le couple conservera cette modestie quand, plus tard, sur la lettre mortuaire du 13 avril 1898 de Frédéric de Montherlant, père de Joseph, il n'est mentionné aucun titre de noblesse, devant le nom de tous les Montherlant énumérés – ils sont nombreux – Ils sont tous avec simplicité Monsieur ou Madame !
Pourquoi, quelques années plus tard — mais quand précisément ? — les parents d'Henry se parent-ils du titre de comte et de comtesse ? Vanité ? Besoin de se hausser du col face à la tribu Riancey qui ne devait pas être dupe ?

Chez eux, pourquoi cette tentative de porter un titre comtal sans en avoir le droit ? Snobisme naïf destiné à tromper ceux qui ignoraient les usages de l'aristocratie ? Poudre aux yeux ?
Complexe de Marguerite, l'épouse, qui se considérait mal mariée ?
Le beau-frère Louis Beguin-Billecocq, diplomate intelligent, cultivé et lucide, (qui n'appréciait pas sa belle-sœur Marguerite) et son épouse Clothilde née Montherlant et femme de lettres devaient se moquer aussi des prétentions du jeune ménage.
Joseph sera déclaré comte par sa femme et son fils sur le faire-part de son décès en mars 1914 !
Joseph mort est désigné en effet sous l'identité de Monsieur Joseph, Marie, Charles Millon, Comte de Montherlant.

Joseph de Montherlant sera enterré dans l'enclos de la famille Millon de Montherlant et de La Verteville au cimetière de Montherlant (Oise).
La tombe de Joseph ne comporte pas de monument. C'est une simple dalle sur laquelle figure une croix où est inscrit :

Ici Repose dans l'Attente de la Résurrection
le Corps de Joseph-Marie-Charles
Comte de MONTHERLANT
décédé le 17 mars 1914
à l'âge de 48 ans.

8 – L'entourage de Joseph de Montherlant.

Faire-part de décès de Joseph de Montherlant.

Les proches dont le nom figure sur le faire-part de décès de Joseph de Montherlant sont :

Monsieur Henry de Montherlant, son fils ; Monsieur Beguin Billecocq, le Comte de Riancey, Monsieur de Fréville, Monsieur Auzouy, Monsieur Poutonnet, ses beaux-frères ; Monsieur Millon de Montherlant, le Vicomte de Riancey, le Baron de Riancey, le Baron Guy de Courcy, le Baron Pierre de Courcy, le Baron Joseph de Courcy, ses oncles

Commentaire :

a) Henry de Montherlant est le futur écrivain, il a 19 ans à la mort de son père. Il ne porte pas de titre. Mais il a permis que son père soit enterré avec le titre de comte, ce qui était une imposture. Est-ce sa mère Marguerite qui, seule, a bravé la vérité et a voulu se faire passer pour comtesse ? Et Henry a-t-il fermé les yeux ? Ou bien la mère et le fils ont-ils jugé bon de donner enfin une consolation post mortem à un homme obsédé par les titres et le milieu aristocratique, et qui fut malheureux dans sa famille ?

Que lit-on dans le roman Les Garçons écrit entre 1965-1967 ? (Romans II, Pléiade, page 474) :
“ La comtesse (nous lui donnons ce titre par courtoisie, car elle n'était comtesse que difficilement)…Montherlant met les choses au point. Il a alors 70 ans.

 
 

Pierre gravée en lettres d'or
à l'entrée de l'ossuaire de Douaumont.

En effet, celui qu'au collège, ses camarades appelaient Le Marquis, a continué à se prétendre comte durant quelques années après la mort de son père et de sa mère. Jusqu'à quand ? Je l'ignore. Mais il continuait ainsi à jouer le jeu de ses parents. La preuve ? On lit en effet son nom Cte de Montherlant sur la plaque de marbre, placée au plus tôt en 1932, à l'entrée de l'Ossuaire de Douaumont où Montherlant, entre 1920 et 1924, exerça la charge de premier secrétaire général. Cela prouve que jusqu'en 1932,au moins, Montherlant se laissait appeller par son titre de comte.
Le Maréchal Pétain l'avait choisi sur base de ses bons états de service et de ses blessures de guerre. A cette époque, sans aucun doute, Montherlant s'est appuyé sur ce titre pour bien se situer socialement et commencer sa vie d'écrivain. Jusqu'à quand ? Gide, entre autres, trouvait qu'à ses débuts Montherlant faisait sonner un peu trop ses origines aristocratiques. La vérité impose de dire que, sur aucune couverture de ses livres, il n'indiquera le titre nobiliaire.

b) Le Comte de Riancey (1870-1925) est le beau-frère de Joseph, et donc le frère de Marguerite. Son prénom est Henry. C'est l'un des deux célibataires qui vivra avec sa mère la comtesse Emmanuel de Riancey, grand-mère de Montherlant, dans la Villa St Ferdinand à Neuilly, et qui, incapable de s'intégrer dans la vie moderne et sans argent, joue au jardinier et à l'homme de peine.
Il sera l'un des deux modèles des Célibataires le roman publié en 1934 par Montherlant. C'est lui le prototype de Léon de Coantré. Il meurt au Touquet-Paris-Plage le 20 février 1925, à l'âge de 55 ans.
Etrange personnage, furtif, disparaissant dès que quelqu'un arrivait. Les intimes le croyaient toujours vêtu d'un pyjama. Ils le voyaient s'affairer autour des pelouses, des roses et de la serre. Le jardin était admirablement entretenu (…) (Sipriot, tome 1, page 19)

c) L'oncle Monsieur Millon de Montherlant

doit être Camille de Montherlant (1840-1921), Attaché au Ministère des Finances, époux d'Adélaïde de La Touche et frère de Frédéric de Montherlant, père de Joseph.

d) L'oncle, le Vicomte de Riancey,

est le beau-frère de la comtesse Emmanuel de Riancey, et l'oncle de Marguerite de Montherlant-Riancey,(la veuve), et donc le grand-oncle d'Henry de Montherlant. Il se prénomme aussi Henry. Il est né en 1858. Il est célibataire , mais ce n'est pas lui l'autre célibataire de la Villa Saint Ferdinand, croqué par Montherlant. Sa date de décès m'est inconnue.

e) Le Baron de Riancey

est Robert né en 1861, officier de cavalerie, qui épousera en 1897 Marie-Thérèse de Villiers. C'est à lui que la comtesse Emmanuel de Riancey, sa sœur, confiera son petit-fils Henry de Montherlant en 1918 pour le faire monter en première ligne au 360e Régiment d'Infanterie, où il avait le grade de commandant.

f) Le Baron Guy de Courcy (1849-1928)

est l'homme qui a réussi dans les affaires. Il est le frère de Marguerite de Courcy, comtesse de Riancey, grand-mère de Montherlant.
Montherlant a repris certains de ses traits pour décrire l'oncle Octave, Baron de Coëtquidan, dans Les Célibataires.
Guy de Courcy aidera à plusieurs reprises Henry de Montherlant en cherchant à le caser dans sa société d'assurances. Henry de Montherlant y fut même quelques temps un petit employé avant de s'engager au front en 1918. Entre l'oncle et le neveu, le courant ne passa jamais.

Voici ce que Sipriot rapporte (tome 1, page 21 et 22) :

“Guy de Courcy était directeur de la Compagnie maritime des assurances générales, le richard de la famille, autrement dit, l'homme qui la faisait vivre. C'est dans les bureaux de la rue de Richelieu, que Montherlant commença en 1914 sa vie professionnelle. Montherlant fut agent d'assurances pendant deux ans (…) Montherlant a toujours voulu faire croire que sa famille avait de la fortune….
Guy de Courcy, Montherlant le décrivait tiré à quatre épingles avec une énorme perle. Aussi excentrique dans le genre soigné que son frère Pietro pouvait être clochard avec ses pantalons tire-bouchonnés maintenus par des ficelles. Veuf de bonne heure, inconsolable, Guy de Courcy n'allait jamais aux mariages. On le voyait arriver à tous les enterrements habillé de noir, en jaquette. Son visage était admirable avec une barbe courte, une façon de se coiffer tout à lui qui, dit Montherlant, le faisait ressembler à un vieux romain de la Royauté (…) Austère, triste et feignant de l'être, ferme, l'oncle Guy avait le goût des phrases définitives, l'austérité, l'intégrité…

Dans une lettre écrite à sa grand-mère, datée du 9 mars 1918, Montherlant écrit : “Vous croyez que c'est parce que je suis prévenu contre Guy que je m'offense de certains traits de son attitude ; mais je crois que c'est parce que j'ai trop vu de traits dans son attitude que je suis prévenu contre lui . Vous direz que personne ne nous a tant couverts d'argent ? C'est à lui qu'il fait plaisir en donnant. (…) Le personnage est infiniment infatué, égoïste, et d'une étroitesse d'esprit qu'il est rare de rencontrer chez un homme d'affaires ayant sa réputation. Tout en lui respire la façon dont il se fout de vous, de ma mère et plus que tout de moi. (etc…)
Le neveu n'aimait guère son grand-oncle et n'hésitait pas à le dire à la sœur de celui-ci !

g) Le Baron Pierre de Courcy, dit Pietro (1856-1941)

célibataire, est le frère de Guy et de la grand-mère (Riancey née Potier de Courcy) d'Henry de Montherlant. Il vivra avec cette dernière, avec les époux Montherlant et leur fils Henry, et avec son neveu, Henry de Riancey dans la Villa Saint Ferdinand C'est lui qui servira de modèle à Elie de Cœtquidan dans Les Célibataires. Un incroyable personnage, habillé à la diable, quasi clochard, à charge de sa sœur, ne faisant rien, s'occupant des chats de la maison, et surtout ne voulant pas s'insérer dans le monde.
Lourde hérédité ! Mais il meurt à l'âge de 85 ans !
Après Les Célibataires, Montherlant n'écrira plus rien à son sujet.

9 – Dans une interview donnée à la fin de sa vie à Jean-José Marchand (dans Archives du XX è siècle, p25-6, Ed Jean-Michel Place, 1980), voici comment Montherlant décrit son père Joseph :

“ Mon père était un homme très sérieux, un peu terne, un peu morose, très bon chrétien, toujours faisant partie des conférences Saint-Vincent-de-Paul des paroisses où il se trouvait, faisant des retraites chez les Jésuites (…), enfin vraiment très catholique. (…) Cependant, mon père aimait aussi beaucoup le monde, les chevaux, la chasse (…) ; enfin il aimait les objets d'art, sans qu'on puisse dire qu'il était un intellectuel, au contraire, il en était assez loin.

10 – Joseph de Montherlant vu par Sipriot (extraits de “Montherlant sans masque, tome 1, pages 126 et suivantes) :

“Joseph de Montherlant a travaillé à la Direction des Finances. Il avait en commun avec son fils l'idée que vivre dans un bureau, c'était se constituer prisonnier.
Il existe plusieurs photographies de Joseph Millon de Montherlant. Elégant, toujours en toilette de ville, parfois chapeau haut de forme. Ses yeux sombres un peu rêveurs, la finesse des traits, la moustache relevée au fer, celle qui donne l'air tendre et entreprenant, ce visage, cette allure, c'est le chic d'un autre monde, de tout un passé d'illusions et de fierté. Joseph Millon dut se fixer sur des modes, des façons de vivre qui flattaient son cœur mais étaient au dessus de ses moyens. C'est sans doute en observant son père que Montherlant a pu constater que le pire ennemi d'un homme c'est lui-même dès qu'il se croit et se veut autre qu'il est. Un faible qui se croit fort se console de son incapacité par sa paresse et son orgueil.
Joseph Millon de Monthelant fut sûrement un solitaire. Seul de son avis dans la famille et toujours contrarié dans ses desseins. “

Sipriot déclare sans nuances que le père d'Henry de Montherlant était un être falot, fragile ; il laisse sous-entendre d'autres faiblesses fâcheuses. Qu'en sait-il ? Il le décrit comme dépensier, coureur, aimant les châteaux (ce n'est pas une tare d'aimer les châteaux, Joseph n'en possédait pas, mais ses ancêtres avaient été châtelains de plusieurs beaux châteaux), passionné de chevaux et de champs de courses, (pourquoi sous-entendre que Joseph fréquentait les champs de course ?) et tenant ferme à une religion dont il ne veut pas qu'elle encombre sa vie. (nouvelle affirmation gratuite et sans preuve de Sipriot)

 

Montherlant affirme au contraire que son père était un très bon chrétien. Pourquoi ne pas croire le fils ? Pourquoi essayer de diminuer le père ?
Sipriot attribue aussi à Joseph des convictions politiques réactionnaires, qui n'étaient que celles de son milieu. Joseph était un ancien élève des Jésuites. Il aurait été, selon Sipriot, réfractaire à toute nouveauté, refusant chez lui l'électricité et le téléphone. Sipriot signale que jusqu'à la mort de sa grand-mère en 1923, Montherlant s'éclairera à la lampe à pétrole. Or son père est mort en 1914. La grand-mère et le petit-fils étaient dans ce cas tout aussi allergiques au progrès moderne que Joseph de Montherlant. .
Sipriot s'étonne que le couple Montherlant ait commencé son histoire dans la richesse : propriétaire d'une automobile de grand luxe en 1900, d'une maison confortable, un mariage fastueux, etc. Sipriot se trompe ! En réalité, l'automobile était la propriété du grand-père le vicomte de Riancey, la maison de Neuilly était louée par la grand-mère Riancey qui y logeait son frère de Courcy (Cœtquidan dans Les Célibataires) et son fils Henry de Riancey (Coantré dans Les Célibataires)
Le mariage des parents d'Henry le 29 mai 1894 n'eut que l'apparence du luxe, car si on lit les mémoires assez féroces du beau-frère, Louis Beguin-Billecocq, les jeunes époux avaient loué pour une journée le trousseau de la mariée, ainsi que les bijoux ! Le couple Montherlant avait donc peu d'argent.
Il ne faut pas oublier que le père de Joseph, (grand-père d'Henry), Frédéric de Montherlant, qui se maria trois fois, vivait encore.
Ce n'est donc pas du côté Montherlant qu'on trouvera beaucoup d'argent, ni du côté des Riancey appauvris par le grand-père Emmanuel de Riancey (1846- 1905) jouisseur et dépensier.

11 – Joseph de Montherlant était donc un pur produit de sa classe sociale. De petite noblesse, ambitieux, ayant épousé une jeune fille d'un milieu supérieur au sien, quoique pauvre, allié à de très bonnes familles, il essayait de garder son rang, n'ayant pu embrasser une carrière militaire.
Fonctionnaire dans un Ministère, il se serait bien vu officier ce qu'il ne fut jamais.
Homme de petite taille (comme son fils Henry qui adulte mesure 1m 68), aimant l'équitation, chrétien pratiquant (on voit sur de nombreuses photos où il apparaît la présence d'un abbé (l'abbé Alfred Henry, ami de la famille), collectionneur de cartes postales (d'après son beau-frère Louis Beguin Billecoq), et non pas d'antiquités (comme le fait croire son fils), pas un lettré contrairement à sa sœur Clothilde, devant vivre vu ses moyens limités dans la maison de sa belle-mère Riancey avec son bizarre beau-frère Riancey et l'oncle de sa femme, l'encore plus étrange Pietro de Courcy, deux originaux complètement déclassés. Cette proximité avec les deux magots devait faire horreur à Joseph de Montherlant, obsédé par le qu'en-dira-t-on et la façade sociale.
Cette promiscuité fut pénible pour lui, d'autant plus que sa femme et sa belle-mère formaient bloc contre lui, et qu'Henry son fils unique était le chéri des deux femmes. Je fus élevé par les femmes, écrira Montherlant.
Joseph n'a donc jamais compris son fils, et le courant ne passait pas. Mon père n'était pas un intellectuel, écrit Montherlant.
De sa femme, il dut vite se lasser, car elle était perpétuellement souffrante suite à la naissance
d'Henry, et les soins de sa santé, le fait de changer sans cesse de médecin coûtaient fort cher. Sa femme refusait les invitations dans le monde prétextant ses indispositions, ce qui forçait Joseph à sortir seul, lui qui aimait tant le grand monde.

 
 

Henry de Montherlant
tenant la main de son père.
Nemours, 1898.

12 – Joseph de Montherlant fut un élève des Jésuites du collège de la rue de Madrid. Son beau-frère Beguin Billecoq qui fut élève dans le même collège n'eut guère de contacts avec lui, car Joseph “était animé de prétentions excessives. Son penchant pour tout ce qui touchait au Second Ordre était si exacerbé qu'il ne fallait pas s'étonner de le voir dès la fin de ses études et son entrée au ministère, fréquenter d'une manière assidue les salons du Faubourg Saint-Germain et y être accrédité grâce à l'élégance de son nom, à sa bonne éducation, et à sa tenue irréprochable. Dans ces réceptions mondaines, parmi ses nombreuses danseuses, l'une d'elles avait fait sur Joseph de Montherlant une impression particulière. C'était une blonde aux cheveux mousseux, de taille moyenne, au corsage un peu étroit, mais joliment enveloppée dans sa robe de bal ; avec ça, hautaine, distante, ayant l'air de faire une grâce quand elle accordait une valse. C'était Marguerite de Riancey, fille du vicomte Emmanuel de Riancey et de Marguerite de Courcy.”
Joseph très épris la demanda en mariage.
Les Riancey répondirent oui sans enthousiasme. Mais il ne fallait pas être trop difficile car la mariée n'avait pour dot qu'une rente de survie assurée par son père.

13 – Portrait du comte de Bricoule, père d'Alban, dans Les Garçons

Dans ce très gros roman de 413 pages publié en 1969, dans l'édition de la Pléiade (Romans II), le comte de Bricoule n'est pas cité sauf dans un passage terrible. La comtesse, sa femme, se meurt d'une tuberculose, crache le sang, et reste au lit des journées entières.
Voici ce qu'on peut lire à la page 810 :

“Chaque soir, l'après-dînée, son père (d'Alban) venait s'asseoir au chevet du lit de sa femme, la petite chienne fox sur ses genoux, qu'il caressait affectueusement, et restait là un quart d'heure sans que ni lui ni sa femme prononçassent une seule parole. Ce n'était pas précisément par animosité mutuelle ; c'était parce qu'ils n'avaient rien à se dire, ce qui s'appelle rien ; peut-être aussi parce qu'il préférait sa chienne à sa femme. Le quart d'heure écoulé, il allait dans sa chambre, pour y annoter des livres sur les chevaux.

Il s'agit du seul passage sur le père dans ce très gros roman !

14 – La famille vue par la comtesse de Bricoule dans Les Garçons

Sa famille était composée d'imbéciles exclusivement, et elle l'avait toujours traitée comme telle, avec la même désinvolture avec laquelle elle traitait les professeurs et les prêtres d'Alban. C'était l'horrible coutume de ce temps-là, d'arriver en visite sans s'annoncer. Mme de Bricoule faisait dire qu'elle était trop mal pour recevoir ; on devine la tête des cousins, d'autant qu'Auteuil est loin. Les cousins publiaient donc plus que jamais qu'on avait affaire à une fausse malade, affligée de langueurs, de vapeurs, d'humeurs ; elle crachait le sang qu'on disait encore que c'était purement nerveux. Elle reçut pourtant des cousins deux ou trois fois, qui ne se donnaient même pas la peine de composer leurs faces hilares. Comme elle ne pensait qu'à son mal, et ne parlait que de cela, elle les assommait ; ils filaient au plus vite, non sans l'avoir complimentée sur sa bonne mine (qui était le rouge aux pommettes des poitrinaires) et lui avoir dit en partant : “Je suis content de vous avoir trouvée si bien. (Pléiade, Romans II, page 812)

15 – Noël chez les Beguin Billecocq

 

 Henry de Montherlant à l'âge de 6 1/2 ans.
Décembre 1901.

 

Un récit délicieux (et féroce) raconté par le beau-frère de Joseph de Montherlant, Louis Beguin Billecocq, qui décrit une visite du jeune Henry, à l'âge de 8 ans, chez son oncle et sa tante Beguin Billecocq :

“Quand Henry eut cinq ou six ans, nous l'invitions à venir partager, aux environs de Noël, la réception où nous groupions les enfants de la famille. La petite fête consistait en une représentation de guignol, distribution de cadeaux et d'étrennes et goûter traditionnel.
Je me souviens notamment de l'année 1903 (
Henry a 8 ans) où Clothilde (sœur de Joseph de Montherlant) et moi avions distribué aux enfants des cadeaux acquis dans les bazars lors de mon voyage en Afrique du Nord (…) Comme de coutume, Henry était conduit par une gouvernante, stylée à l'anglaise, vêtue de bleu horizon, gants blancs. Cette personne prenait un siège et restait là, raide, immobile et silencieuse. Henry était vêtu d'un costume de velours noir avec grand col de guêpière. A peine débarrassé de son manteau, il se précipita sur la main des dames qu'il baisa d'un geste automatique, répétant on ne peut mieux la leçon apprise. Cette petite mise en scène étonna ses jeunes cousins et cousines qui le considéraient un peu de travers, ne sachant s'ils pouvaient jouer avec lui. Par cette attitude manquant quelque peu de simplicité, si jeune encore, mais bien innocemment et sans le savoir, Henry préludait à cet “épate-bourgeois ” qui ne fut pas un élément négligeable de ses succès littéraires. “(Extraits des mémoires de Louis Beguin Billecocq, (oncle d'Henry de Montherlant), publiés dans l'ouvrage Des Montherlant à Montherlant, par Xavier Beguin Billecocq”, Paris 1992.
N'ayant aucune affinité avec sa belle-sœur qui le snobait, on comprend que le beau-frère n'en eut pas davantage avec son neveu.
Par contre Joseph de Montherlant s'entendait fort bien avec son beau-frère Beguin Billecocq qui essayait de le distraire de sa vie assombrie par la mauvaise santé de son épouse Marguerite de Riancey, perpétuelle indisposée refusant toutes les invitations dans le monde dont son mari raffolait.

16 – Tableau généalogique simplifié de l'ascendance paternelle d'Henry de Montherlant :

Henry (1895-1972), écrivain, membre de l'Académie française
2° seconde génération : Joseph Millon de Montherlant (1865-1914), Attaché au Ministère des Finances, marié à Marguerite de Riancey (1872-1915)
3° troisième génération : Frédéric Millon de Montherlant (1835-1898), Attaché au Ministère des Finances, peintre paysagiste, marié à Elisabeth de La Touche (1843-1870)
4° quatrième génération : Charles Millon de Montherlant (1798-1879), propriétaire de terres dans l'Oise, sur les communes de Valdampierre, Laigneville, Juvignies, Sailleville, Soutraines et Rousseloy. A sa mort, Maître Hamelet, Notaire à Chambly inventorie 84 hectares qui restèrent en indivision entre les enfants. Le partage n'eut lieu qu'en 1890. Charles était Maire de Valdampierre, puis de Fromonville, membre du conseil royal d'agriculture. Marié à Adine de Malinguehen (1803-1889). Charles est inhumé auprès de ses ancêtres à Montherlant.
5° cinquième génération : Antoine Nicolas Millon de Montherlant (1769-1843), propriétaire, juge de paix du canton de Méru, membre du conseil royal d'agriculture, marié à Marie-Sophie Daudin de Pouilly
6° sixième génération : François Millon, seigneur de Montherlant et de La Verteville (1726-1794),
Avocat au Parlement, Député du Tiers aux Etats généraux de 1789, membre du conseil royal d'agriculture, guillotiné Place de la Nation le 23 juin 1794, inhumé au cimetière de Picpus, marié à Geneviève-Rosalie Dumoulin de Paillart
7° septième génération : Antoine Millon, seigneur de Montherlant et de La Verteville (1693-1777), Coureur de vin à l'Echansonnerie-Bouche du Roi Louis XIV, Exempt des Gardes de la Porte du Roi, acquit en 1755 les seigneuries de Montherlant et de La Verteville, marié à Jeanne Budin de Wavignies

Cimetière de Montherlant (Oise),
et l'enclos de la famille Millon de Montherlant
et de la Verteville.

Sources

  • Des Montherlant à Montherlant, par Xavier Beguin Billecocq, Chronique des souvenirs oubliés (1794-1915), 198 pages, Chez l'Auteur, Paris 1992
  • Pierre Sipriot, Montherlant sans masque, tome I, Robert Laffont, 1982
  • Les Bestiaires d'Henry de Montherlant, Pléiade, Roman I, Gallimard
  • Les Garçons d'Henry de Montherlant, Pléiade, Roman II, Gallimard