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Articles sur Montherlant (hors presse)

4. Montherlant vu par Pierre Drieu La Rochelle

Extraits du Journal (1939-1945) de pierre Drieu La Rochelle

 
   

16 déc. 1939

“Les gens ne sont pas contents que je ne sois pas au front. Je commence à leur laisser entendre que cela m’ennuie à crever, toute cette politique vaseuse de l’Europe. Tout cela a une morne couleur de déjà vu. On ne peut plus coucher avec une femme qu’on a eue vingt ans plus tôt. Malraux et Montherlant restent aussi dans leur trou.

Retourner dans une popote au front ? Ah non, alors. Je ne suis plus d’âge à supporter la table d’hôte, même transfigurée par la douleur et la mort. Et j’ai horreur des corvées, des besognes…, etc.”

3 mai 1940

“J’ai rompu avec la NRF qui est dans l’ordre littéraire et artistique ce qu’est le parti radical dans l’ordre politique : un timide abandon ou une sournoise inclination vers le communisme…

… Mais lisez une page des derniers écrivains naturels de la France - Beyle (je prétends que Beyle écrit bien), Vigny, Musset, Michelet, Barbey, Montherlant - et vous laisserez tomber les pages maladroites et froides de Bergson et les pages industrieuses de Proust. L’un et l’autre ont utilisé avec un grand discernement et une grande diligence tout l’acquis de la littérature et de la philosophie, mais ce n’est que reconstitution et adaptation aux besoins bien calculés du temps.”

18 mai 1940

… “Il n’y aura plus de littérature française après cette guerre. Claudel et Valéry sont morts. On verra trop le jeu de Mauriac et de Giraudoux, la perfidie sexuelle de l’un, l’ambiguité morale de l’autre. Et la jeune génération est nulle.
Effondrement de la “virilité” de Montherlant, de Drieu.
Bernanos, Céline ne sont que des sentimentaux exaspérés, Giono aussi, des chaotiques. Malraux rebondira dans quelque reportage de guerre, je suppose qu’il y est enfin parti…
Je suis dans mon 9ème étage, dans mon pigeonnier au dessus de Paris et je regarde une agonie…. Où sont les amis ? Boyer dans un régiment de réserve générale d’artillerie, Petitjean dans les chasseurs à pied, Malraux est-il parti ? Que fait Montherlant ?” (note de l’éditeur : Montherlant avait pensé s’engager en 1939 mais avait eu une congestion pulmonaire. En mars 1940, il est sur le front comme correspondant de guerre de Marianne, et il est légèrement blessé par un éclat).

23 mai 1940

“(…) Je pense aux hommes que j’aime dans l’écriture, à Bernanos, à Céline, à Giono, à Jouhandeau : ce sont les vrais. Je pense un peu à Malraux. Je n’aime plus Montherlant. Il y a aussi le pauvre petit Eluard et un ou deux que j’oublie (…).”

20 juin-jeudi 1940

“(…) Montherlant qui faisait des agaceries aux communistes et écrivait dans Commune et Le Soir continuera à se terrer comme il l’a fait depuis son explosion de septembre 1939. (note de l’éditeur : Faut-il admettre que Drieu se trompe d’année et pense à l’Equinoxe de septembre (1938, recueil d’essais violemment hostile aux accords de Munich ?). Alors il fut très brave parce que c’était de la frime.”

22 septembre 1941

“L’activité littéraire, c’est ce qu’il y a de moins mal en France. Cela me fait passer plusieurs heures par semaine avec quantité de personnes de second plan, et cela m’oblige à les lire ce qui est pire encore. Les rares hommes de talent, je ne les vois guère. Je dépense bcp de temps à ce travail et pourtant je n’y apporte pas ce dernier soin qui ferait (note de l’éditeur : il faudrait sous-entendre La Revue) aussi bien qu’elle peut l’être dans la décadence de tout. A part qqs pages de Montherlant, je n’ai guère publié grand chose de propre.”

22 avril 1942

“L’affaire de la NRF a traîné tout ce temps. J’ai réclamé un comité : on me l’a offert, privé insolemment des personnes qui auraient pu lui donner un caractère de concorde : Valéry a demandé Mauriac et a refusé Montherlant et Jouhandeau. Il y aurait eu aussi Gide, Claudel et Giono (éperdument neutre et égocentriste) ; je viens de refuser après un long et nonchalant retard. Du reste, il n’y a pas de papier. Les requins qui s’agitent dans la mer de papier au comité corporatif me l’ont refusé, car je suis haï de tous, de tous qui sentent mon mépris assez répandu.”

4 mai 1942

“(…) Les négociations pour former un comité à la revue ont naturellement échoué. Gide, après avoir accepté, a refusé. Claudel poursuit de sa haine Montherlant anti-chrétien (note de l’éditeur : Paul Claudel, pressenti, écrit à Paulhan : “Soit, mais à la condition que les traces de cet immonde putois de Montherlant soient d’abord désinfectées.” (dans Andrieu & Grover, op. cit., p. 489)

Valéry m’en veut de ce que j’ai dit de lui dans les Notes. Paulhan est ravi que tout cela soit escamoté. Mais je ne veux pas le laisser maître de la revue si facilement, moi le couvrant. Pourtant ma paresse sera plus forte que ma très relative animosité. Quelle horreur d’avoir approché de plus près ce monde des lettres. Enfin, il faut connaître. J’ai vu tous ces petits écrivains de second ordre trembler et osciller entre Paulhan et moi. …

La vieille génération - Gide, Valéry, Claudel - se dérobe avec ses vieux procédés de dérobade, ce qui est plus odieux que jamais. Valéry a profité de l’ancien régime tant et plus, tout en faisant le délicat. Claudel, l’ennemi de Voltaire, a servi le gouvernement maçon et les juifs. Gide au fond était à son aise dans le régime qui vénérait sa pédérastie, son prélassement asocial.

Au contraire, la jeune génération est plus franche : Giono (!), Montherlant, Bernanos, Mauriac, Giraudoux ( !), Léger, Supervielle.

Essayé de lire le dernier livre de R. Rolland (note de l’éditeur : Le voyage intérieur). Quel ignoble style ! Quelle pensée vulgaire ! Encore un normalien. Quelle basse engeance.”

14 décembre 1942

“La pièce de Montherlant, La Reine Morte (note de l’éditeur : Drieu a écrit la critique de la Reine morte dans la NRF de février 1943, pp. 249-256. L’article a été repris dans Sur les écrivains, pp. 271-278). S’il n’existait pas, je l’aurais inventé, à demi : mon orgueil est moins naïf et plus sournois que le sien. Et je ne saurais jamais écrire comme il écrit. Je suis assez faible pour qu’il me semble que le fait qu’il a été m’a plus qu’à demi dispensé d’être.”

10 septembre 1943

“(…) Dans notre génération il restera Malraux, Bernanos, Montherlant, Breton, Aragon, Giono, Jouhandeau : c’est encore assez bien. Que l’Esprit les soutienne si le sang leur manque.”

18 janvier 1945

“La distinction qu’il y avait autrefois dans l’Eglise tenait sans doute à la noblesse. Ce que celle-ci a donné à la littératutre française : Montaigne, Ronsard, Retz, Saint-Simon, La Rochefoucauld, Mme de La Fayette, Vauvenargues, Cholderlos (?), Chateaubriand, Vigny, Lamartine, Musset, Villiers, Montherlant, j’en oublie.”